Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs
Nous écoutons le discours missionnaire du Seigneur en Saint Marc : ll recommande de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas d’argent…
Il faut se rendre compte : une douzaine d’hommes, peu instruits, envoyés aux quatre coins du monde habité, sans en connaître la langue, dans un univers parfaitement païen, avec la mort au terme de leur parcours… Et ces douze apôtres, rejoints par Paul et bien d’autres, ont tout à construire, planter les églises, éviter les déviances, se défier des persécutions : des juifs pour commencer, puis bientôt des Romains. Vous vous souvenez de la litanie impressionnante que dresse saint Paul :
« Cinq fois, j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet ; trois fois, j’ai subi la bastonnade ; une fois, j’ai été lapidé ; trois fois, j’ai fait naufrage et je suis resté vingt-quatre heures perdues en pleine mer.
J’ai connu la fatigue et la peine, souvent le manque de sommeil, la faim et la soif, souvent le manque de nourriture, le froid et le manque de vêtements. » (2 cor 11, 24)
Ne croyons pas que ce sont des contes du passé. J’ai été très impressionné en passant au MEP de rencontrer une jeune femme, Jia d’origine asiatique, tout à fait lucide, décidée à partir évangéliser la Corée du Nord (premier pays persécuteur), à travers une mission d’infirmière, sachant très bien que la moindre imprudence ou la première trahison la livrerait à la prison ou au camp de redressement…
Pourquoi évoquer cela, frères et sœurs ? Parce qu’il me semble que ces vies très exposées nous révèlent quelque chose de notre relation à Dieu. Paul, Jia, sont suspendus au secours de Dieu. Et pour eux, la prière - ce lien intime avec Dieu - a cessé d’être une option, elle est devenue une nécessité. Voyons dans la vie de Saint Paul toutes les fois où le Seigneur vient lui parler : « sois sans crainte, parle, ne garde pas le silence, je suis avec toi… »
En effet, il a besoin d’être confirmé dans sa mission…
Et nous-mêmes, si la prière n’est pas une nécessité, sommes-nous vraiment dans notre axe ? Est-elle un luxe dont on peut se passer ? Si elle n’est pas vitale, est-elle vraiment prière ? Il semble qu’à un moment nous devions basculer pour dire comme les apôtres :
« A qui irions-nous Seigneur ? tu as les paroles de la vie éternelle. »
Défions-nous d’une vie peu exposée, trop installée…
J’aime cet épisode des Pères du Désert :
On n’est guère bavard au désert, alors l’ancien l’emmène au fleuve, ils y descendent. L’ancien tout à coup plonge la tête sous l’eau de son disciple, et l’y maintient, celui-ci se débat, l’ancien le relâche…
Le disciple est hors de lui :
— « Pourquoi as-tu fait cela Abba ? »
L’ancien répond :
— « Quand tu désireras Dieu, avec autant de force que tu as désiré l’air, alors tu sauras prier ! »
Et Jean Tauler prend cette image des psaumes : le cerf coursé par les chiens, qui désire l’eau vive, et il nous dit :
Si Dieu devient cette eau désaltérante qui redonne vie, qui nous fait échapper à la mort, alors il se pourrait que nous ayons franchi une étape dans l’apprentissage de la prière, dans notre union à Dieu. »
Ce que nous disons de la prière peut aussi s’appliquer à la mission, car nous ne pouvons la considérer comme une activité parmi d’autres. Le vendredi soir, certains vont boire un verre avec les copains, d’autres parcourent les rues de Paris pour annoncer le Christ. Cette mission est-elle pour nous une nécessité ? Le Christ sort-Il par tous les pores de notre peau presque malgré nous… ?
Saint Paul avait bien saisi cette différence :
« Annoncer l’Évangile, en effet, n’est pas pour moi un titre de gloire ; c’est une nécessité. » (1 Co 9, 16)
Une nécessité au sens où saint Paul se sent poussé par cette force de l’Évangile qui l’habite. C’est l’expérience d’Amos dans la première lecture : Amasias, prêtre officiel du roi, demande à Amos d’aller ailleurs, voire de se taire. Et Amos répond que c’est impossible car il n’est pas un prophète officiel, il n’en fais pas un métier qu’il pourrait remplacer par un autre.
« Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : “Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.” »
Quand le lion rugit, qui échappe à la peur ? quand Dieu a parlé, qui refuserait d’être prophète ?
Et Jérémie apeuré par tant de résistance à ses paroles veut tout arrêter, mais il confie :
« Si je dis : Je ne ferai plus mention du Seigneur, je ne parlerai plus en son nom. Il y a dans mon cœur comme un feu dévorant qui est renfermé dans mes os. Je m’efforce de le contenir, et je ne le puis. »
Voilà que Jérémie n’a plus le choix…
Et nous où en sommes-nous ? cette parole nous brûle-t-elle au point que nous devons la communiquer, sans quoi elle nous détruirait ? le feu a-t-il pris en nous ? ou vivons encore beaucoup trop tranquilles ? Et cette mission, vous l’avez compris, elle est très large : certes, c’est évangéliser dans la rue, mais pour les parents c’est éduquer leurs enfants, pour le patron, faire vivre la justice dans son entreprise, pour l’enseignant, c’est transmettre à ses élèves compétence et droiture, pour la dame de la cantine, c’est cultiver un lien personnel avec chacun des jeunes pour transmettre autant qu’elle le peut, quelque chose de la foi qui l’habite…
Ce désir de transmettre le Christ devient alors un tourment, un bon tourment certes…
Certains ont pris très au sérieux cette parole de Paul :
« Évangéliser est une nécessité. »
Permettez-moi de citer le cas de cette jeune polonaise dont le procès de béatification vient d’être ouvert : Helena Kmieć née à Cracovie en 1991. Après le lycée, elle poursuit des études d’ingénieur. elle commence à faire du bénévolat et à rechercher un travail missionnaire. Par un service de volontariat liée à une congrégation religieuse, elle est envoyée en 2012, en Hongrie en Zambie, en Roumanie et enfin en Bolivie où elle va être tragiquement assassinée le 24 janvier 2017 à l’âge de 25 ans.
Quel était son secret ? elle le confiera dans ses lettres :
Le plus grand don c’est que je connaisse Dieu et je ne peux pas le garder pour moi, je dois le partager en Le faisant connaître ! Si je peux aider quelqu’un, le faire sourire, le rendre plus heureux, lui apprendre quelque chose, je veux le faire ! »
Oui frères et sœurs, que la prière comme la mission cessent d’être des « à-côtés ». Qu’elles deviennent des nécessités, qu’elles soient vitales, vitales pour nous, vitales aussi pour les autres. Notre vie trouvera ainsi sa plénitude, sa juste sainteté, tout ce qui nous empêche d’avancer sur ce chemin sera éliminé…
Nous serons vraiment dépossédés de nous-mêmes. Nous serons riches du Christ, et d’autres aussi le seront.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Amos 7,12-15.
- Psaume 85(84),9ab-10.11-12.13-14.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 1,3-14.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 6,7-13 :
En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. »
Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ.
Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. »
Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir.
Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.