Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien-aimés, peut-être vous êtes-vous dit : « Jésus exagère : aux gens qui peinent sous le poids du fardeau, Jésus propose de prendre sur eux son joug ». Il en rajoute une couche si je puis dire. Comment comprendre cette invitation de Jésus ?
Pour cela, je vous propose 3 réflexions :
- d’abord, la grâce du joug est de ne pas être seul mais de tirer la charge à deux ;
- ensuite cela demande une conversion : « devenez mes disciples » sinon, le joug sera vu comme une domination ;
- enfin le repos passe par la douceur et l’humilité du cœur.
La grâce du joug : tirer la charge à deux
La particularité du joug est de n’être pas porté par un seul, mais par deux. D’autres instruments sont utilisés pour faire travailler un seul animal, mais le propre du joug est d’être posé sur deux nuques reliées entre elles, sinon ce n’est pas un joug.
En proposant un joug, Jésus ne veut donc pas accabler celui qui souffre et qui n’en peut plus sous sa charge, mais au contraire répartir la charge sur deux, en adjoignant une autre personne. Proposer un joug à quelqu’un, c’est donc alléger sa charge.
Ce n’est pas tout enlever, certes, mais c’est tout de même un immense soulagement, une véritable grâce.
Jésus ne se présente pas comme celui qui va supprimer toutes les difficultés de la vie, qui va faire disparaître tout ce qui peut peser, mais Il vient le porter avec nous, le tirer à nos côtés. Ce serait faux de faire croire à un disciple qu’il n’aura plus rien à porter, plus de problèmes, plus de difficultés, de tentations, plus aucune charge… Jésus n’ouvre pas le chemin du rêve ou de l’illusion. Il fait face à la réalité de la vie, en proposant un allégement, un soulagement.
Partager le joug fait que nous ne sommes plus seuls pour affronter la difficulté de la vie, sa dureté. Cela change tout quand nous ne sommes plus seuls mais que l’on partage avec un autre la fatigue d’un travail.
De plus, celui qui prend le joug avec nous est Jésus lui-même. Il commence par dire : « venez à moi » avant de parler de son joug.
Le jour de leur vocation, Jésus a dit à ses disciples « venez à ma suite » ; maintenant il emploie une expression légèrement différente, « venez auprès de moi », apportant à son propos une légère modification, dans le sens d’une plus grande proximité.
La particularité du joug est de faire avancer ensemble deux bêtes qui ne se voient pas. Elles sont extrêmement proches, se côtoient sans cesse, se sentent, se touchent, mais ne se voient pas ! Il y a là un très bel éclairage sur la proximité de celui que nous savons extrêmement proche, alors qu’il demeure pour nous invisible…
Oui, Christ est là silencieux à mon côté, et Son silence vient de ce qu’Il est totalement investi et appliqué dans le travail commun… Plus le travail est prenant et exigeant, et plus l’attelage est silencieux. Et c’est encore bien une réalité de la foi.
« Sans moi vous ne pouvez rien faire »
Cette parole du Christ rapportée par l’Évangile de Jean (15.5) rejoint parfaitement l’image du joug. L’image du joug est sans doute la meilleure manière de parler de la synergie. En nous invitant à prendre son joug, le Christ nous invite à une vie en synergie avec lui, une vie telle qu’il ne nous est plus possible de savoir ce qui vient de lui ou de nous. Sous ce joug d’amour et d’humilité, personne ne va faire des comptes, mais chacun va humblement attribuer l’essentiel à l’autre.
« Devenez mes disciples »
Notons tout d’abord que cela demande une conversion, sinon, le joug sera vu comme une domination. On peut regarder le joug comme un panneau avec deux faces : sur l’une est écrit « soumission », sur l’autre « alliance ».
Avant d’être une contrainte (le joug contraint les animaux à marcher au même pas), le joug est d’abord le symbole de l’Alliance avec Dieu. Jésus invite les hommes à prendre son joug, c’est-à-dire à s’allier à Dieu pour marcher à Son pas. Loin d’une relation d’asservissement et de domination, il s’agit ici d’accepter de se laisser guider sur un chemin de vie en s’appuyant sur la force de l’amour du Christ.
De fait, à l’époque de Jésus, dans le contexte de la culture romaine, le joug pouvait évoquer l’image d’une soumission à un vainqueur. Après une guerre, en effet, les vaincus devaient « passer sous le joug », en s’inclinant sous un petit portique appelé « joug », en signe de soumission et d’asservissement.
Dans la Bible, porter un joug dénote un travail très fatiguant, le plus souvent effectué pour un étranger, dans un contexte d’esclavage. C’est ainsi qu’Israël a porté le joug de l’Égypte (Lv 26.13), de l’Assyrie (És 14.25), de Babylone (Jr 28.2), et donc de tous les peuples qui se sont rendus maîtres de lui.
Mais il ne s’agit pas de cela ici : Jésus ne se présente pas comme un dominateur ; Il n’impose pas son joug, Il le propose ! Il n’asservit pas, Il invite :
« Venez à moi, portez mon joug »
L’invitation est adressée à des gens libres, qui ont toute liberté de répondre, d’accepter ou de refuser. Jésus reprend l’invitation de la Sagesse de Dieu du livre du Siracide :
« Venez à moi, gens sans instructions, installez-vous à mon école, mettez votre nuque sous le joug et que votre âme reçoive l’instruction » (Si 51.23,26)
Prendre le joug de Jésus implique d’accepter d’être son disciple. centre
Prendre le joug de Jésus implique un apprentissage. Lorsqu’on veut apprendre à un jeune bœuf - encore sauvage et inexpérimenté - à porter le joug, on l’attelle avec un vieux bœuf, tout à fait expérimenté et particulièrement sage et docile. Sous le joug, nous apprenons à devenir disciples de celui qui se place humblement à notre côté. C’est un merveilleux mais long apprentissage. Porter un joug, en effet, ça ne s’apprend pas en une matinée.
Apprendre à être disciple, apprendre à porter le joug, c’est apprendre à rythmer son pas sur le pas de celui d’à côté ! Et pour nous, ce n’est pas une mince affaire : apprendre à rythmer son pas sur celui du Christ !
Enfin le repos passe par la douceur et l’humilité du cœur
Que faut-il apprendre du Christ ? la douceur et l’humilité.
Pourquoi donc mettre en avant ces deux vertus-là plus particulièrement ? Tout simplement, me semble-t-il, parce que ces deux vertus sont par excellence celles qui sont les plus indispensables lorsqu’on porte un joug, afin que cet engin de travail ne devienne pas un engin de supplice. Plus une bête est douce et humble et plus son joug lui devient doux et léger, et devient aussi doux et léger sur les épaules de l’autre.
En effet, tout comme un attelage avec une bête qui résiste et qui refuse de courber son cou aura du mal à avancer, l’attelage de l’Alliance sera sans cesse freiné par l’attitude arrogante d’un peuple à la nuque raide, rétif à la parole de Dieu. L’expression « nuque raide » évoque une bête rétive sous l’attelage ; dans ce cas, on se doute bien que l’attelage est moins performant. Prendre le joug de la Tôrah (la Loi de Dieu) était donc synonyme de s’attacher à Dieu pour marcher à Son pas. Avoir la « nuque raide », au contraire, c’était refuser de marcher au pas de Dieu.
Pour prendre une image pas très réjouissante : sans doute avez-vous participé à un enterrement où les gens de la famille se proposent pour porter le cercueil. Lorsqu’ils ne sont pas synchronisés, c’est difficile et ils risquent de se faire du mal !
Sous un joug, la douceur est un immense bienfait pour le compagnon d’attelage, car elle évite maintes souffrances. Le moindre geste brusque, en effet, entraîne des à-coups violents qui font que le joug engendre des souffrances. Le moindre écart soudain, la moindre rebuffade fait mal à l’autre, aussi bien qu’à soi-même, d’ailleurs, car le joug blesse les deux nuques.
Si l’orgueil est ainsi la source de l’indocilité, alors on comprend pourquoi Jésus, en plus de la douceur, est amené à parler de l’humilité. Il nous fait comprendre d’où vient Sa douceur, quelle en est la source, pour l’éclairer, nous la faire découvrir, nous l’enseigner et nous montrer ainsi le véritable chemin de la docilité à Dieu.
Ce passage de l’Évangile a ceci d’unique qu’il est le seul de toute la Bible à parler du cœur de Jésus. Personne d’autre que Jésus n’a parlé du cœur de Jésus. Seul le Père Le connaît et seul l’Esprit peut nous Le révéler, car Lui seul peut aussi venir à bout de notre orgueil, qui nous rend aveugles et sourds à ce sujet.
Jésus nous promet le repos. Dans la vie spirituelle, le repos n’a rien à voir avec l’oisiveté. Le repos annoncé par Jésus concerne l’âme, et donc que la fatigue de ceux que Jésus invite doit aussi être celle de l’âme, alors les propos de Jésus ouvrent de merveilleux horizons. La fatigue des épreuves, des soucis, des échecs, des péchés à porter, est d’autant plus pénible qu’elle affecte l’âme, le plus profond de l’être.
En conclusion : demandons cette grâce d’accueillir le joug que Jésus nous propose. Ce n’est pas un piège : ce n’est pas pour nous soumettre mais pour vivre une alliance avec nous. Jésus Se propose de partager nos taches et nos fardeaux, nos joies et nos peines. Joug ne s’entend pas dans le sens de fardeau, mais au contraire dans celui d’aide pour joindre les efforts et tirer ensemble dans la même direction.
C’est d’ailleurs ce que font les époux au jour de leur mariage : ils prennent un joug pour avancer ensemble sur le chemin de la sainteté. C’est Jésus-Christ Lui-même qui le pose délicatement sur les épaules des époux. Et Il le porte avec eux, tout au long de leur vie. C’est ce qui a donné « conjugal » (cf. www.notredamedujoug.fr)
Ce joug est une aide pour traverser les difficultés et les tentations de la vie ; il permet d’être solidaires, unis, conjoints "dans le bonheur et dans les épreuves". C’est vraiment une « équipe » qui est constituée le jour du mariage. Nous pouvons prier pour les époux afin que ce joug les aide à aller haut et loin dans le soutien mutuel,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Zacharie 9,9-10.
- Psaume 145(144),1-2.8-9.10-11.13cd-14.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 8,9.11-13.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 11,25-30 :
En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit :
« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.
Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. »
« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme.
Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. »