Texte de l’homélie
Frères et sœurs bien-aimés,
Vous auriez aimé avoir un peu plus de lectures ? Pourquoi tant de lectures de l’Ancien Testament ?
C’est une caractéristique très claire de la vigile pascale. Voici ce qu’en dit l’introduction au missel romain :
Sauf circonstances particulières, on fera donc au moins trois lectures de l’Ancien Testament. Cependant, s’il fallait encore diminuer le nombre de ces lectures, on ne descendra jamais en dessous de deux. L’une d’entre elles consistera toujours dans le récit de l’Exode (3e lecture). » (introduction au missel romain).
Pourquoi tant de lectures de l’Ancien Testament pour cette nuit pascale ? Pour répondre à cette question, je partirai de l’Évangile qui nous est donné. Ce sera la première partie. Dans une deuxième partie, je retiendrai quelques éléments des trois premières lectures. Rassurez-vous, je ne vais pas faire une homélie par lecture !
Les femmes au tombeau
En se rendant au tombeau, les femmes vont aller de surprise en surprise. Première surprise : la pierre est roulée. Deuxième surprise : la présence d’un jeune homme vêtu de blanc. Troisième surprise : le message qu’il leur donne : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. »
D’après Saint Marc, quels sont leurs sentiments ? La joie et l’enthousiasme ? Non :
« Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. »
Dans son évangile, Saint Marc insiste sur la difficulté que les apôtres et les disciples ont eu à croire en la résurrection. Pourquoi ? Parce que cela sort totalement de leurs schémas. Jusque là, il y avait bien eu quelques résurrections (la fille de Jaïre, le jeune homme de Naïm, Lazare). Dans ces cas-là, c’était comme une réanimation. Ces trois personnes ont vécu encore un certain nombre d’années et ils sont morts une deuxième fois, pour de bon si j’ose dire.
Mais la résurrection de Jésus n’a rien à voir avec celle de la fille de Jaïre, du jeune homme de Naïm ou de Lazare. À différence de la fille de Jaïre ou du jeune homme de Naïm, personne, sinon le Père du Ciel, ne l’a pris par la main pour le relever. À la différence de Lazare, personne ne l’a appelé à l’extérieur du tombeau après avoir roulé la pierre. À la différence de Lazare, personne n’a eu à enlever ses bandelettes ; les bandelettes sont restées sur place sans réussir à étreindre le corps qu’elles contenaient.
Le Christ a échappé à la mort.
Dès les premières apparitions, nous voyons bien que Marie-Madeleine, les apôtres ou les disciples d’Emmaüs ont bien du mal à le reconnaître. Son aspect n’est plus le même. Et pourtant c’est bien lui qui s’adresse à Marie-Madeleine d’une manière unique. C’est bien lui qui porte les marques des clous et du coup de lance.
Bref, on comprend l’attitude des femmes qui sont complètement déconcertées. La résurrection de Jésus ne rentre pas dans leurs cadres ; ce sont plutôt leurs cadres qui vont devoir s’ajuster pour rendre compte de la réalité de ce qu’ils expérimentent. C’est à partir de leurs rencontres avec Jésus dans ses apparitions qu’ils vont essayer de comprendre ce qui se passe, qu’ils vont pouvoir adapter leur concept de résurrection à la personne de Jésus.
Au point de départ, la surprise était si grande qu’ils ne savaient pas trop si c’était une bonne ou une mauvaise surprise. Ce n’est que progressivement que leur cœur s’est enflammé. Tous les signes convergeaient dans le sens d’une nouvelle inouïe qui dépassait complètement ce qu’ils pouvaient imaginer.
Pour comprendre l’événement de la résurrection, pour en avoir l’intelligence, les disciples vont se plonger dans les Écritures. C’est la méthode employée par Jésus avec les deux disciples d’Emmaüs. Il leur ouvre les Écritures (cf. Lc 24, 27.32) et c’est ce qui opère un changement dans leur cœur : ils passent du découragement à l’enthousiasme.
La résurrection n’arrive pas « comme un cheveu sur la soupe », si vous me permettez l’expression. Dans l’Ancien Testament, vous ne trouvez pas beaucoup de prophéties très explicites sur la résurrection. En revanche, comme aimait le dire le pape Benoît, il y a un logos ; il y a une cohérence dans l’action de Dieu. La grâce de la résurrection ne tombe pas du ciel sans une préparation. D’ailleurs, une expression revient comme un leitmotiv lorsqu’il est question de la résurrection dans le Nouveau Testament : « selon les Écritures ».
La résurrection s’inscrit dans une profonde cohérence avec l’expérience du peuple de Dieu.
C’est ce que dit la prière d’ouverture :
« Frères, nous voici entrés dans la veillée sainte écoutons maintenant d’un cœur paisible la Parole de Dieu. Voyons comment, dans les temps passés, Dieu notre créateur a sauvé son peuple, et comment, dans ces temps qui sont les derniers, il nous a envoyé son Fils comme Rédempteur. Demandons au Seigneur de conduire jusqu’à son plein achèvement cette œuvre de salut inaugurée dans le mystère de Pâques. »
La création de la nature et de l’homme
« Dieu éternel et tout-puissant, toi qui agis toujours avec une sagesse admirable, Donne aux hommes que tu as rachetés de comprendre que le sacrifice du Christ, notre Pâque, est une œuvre plus merveilleuse encore que l’acte de la création au commencement du monde. »
Dans une très belle homélie antique pour le samedi saint, voici les paroles que l’auteur met sur les lèvres du Christ qui s’adresse à Adam :
« Éveille-toi, ô toi qui dors, je ne t’ai pas créé pour que tu demeures captif du séjour des morts. Relève-toi d’entre les morts : moi, je suis la vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à mon image. Éveille-toi, sortons d’ici. »
Dieu qui a créé l’homme par amour est fidèle. Il n’a pas voulu l’abandonner. La résurrection est une des facettes de l’amour immense de Dieu qui ne peut se faire une raison de perdre celui qui a été créé à son image.
Vous tous que Dieu a créé à son image, Dieu ne veut pas que vous vous perdiez.
Le sacrifice et la délivrance d’Isaac, le fils bien-aimé
En acceptant d’offrir à Dieu son fils unique en sacrifice, Abraham fit un acte de foi en la résurrection, nous dit l’Écriture :
« Dieu, pensait-il, est assez puissant même pour ressusciter les morts. » (Hb 11, 19)
C’est ainsi que le sacrifice d’Isaac et sa délivrance annoncent la mort et la résurrection de Jésus.
Ce que Dieu le Père n’a pas voulu demander à Abraham, il a accepté de le vivre vis-à-vis de son Fils bien-aimé, son unique, celui qu’il chérit depuis toute éternité : son fils bien-aimé est réellement mort sur la Croix.
La leçon, si je puis m’exprimer ainsi, c’est que cela vaut la peine de faire confiance à Dieu. Dieu ne nous abandonne pas. D’ailleurs, le Psaume 15 (qui suit la lecture du sacrifice d’Isaac) a été interprété par la première génération chrétienne comme une prophétie de la résurrection du Christ (Ac 2, 25-29) :
« Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance : tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »
La libération d’Israël par le passage de la mer Rouge
Cette lecture est absolument incontournable. Vous savez combien le passage de la mer Rouge a été un moment fondateur pour le peuple d’Israël. La mort et la résurrection du Christ est un moment fondateur encore plus fort pour l’Église.
Le cantique de Moïse qui suit cette lecture reçoit un écho dans l’Apocalypse :
« Ils chantent le cantique de Moïse, serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau. Ils disent : ’Grandes, merveilleuses, tes œuvres, Seigneur Dieu, Souverain de l’univers ! Ils sont justes, ils sont vrais, tes chemins, Roi des nations. Qui ne te craindrait, Seigneur ? À ton nom, qui ne rendrait gloire ? Oui, toi seul es saint ! Oui, toutes les nations viendront et se prosterneront devant toi ; oui, ils sont manifestés, tes jugements.’ » (Ap 15, 3-4)
Conclusion
En cette nuit sainte, nous revivons le moment déterminant qui a changé l’histoire de l’humanité. Mais nous pouvons hélas rester comme étrangers à cet événement. Quel dommage de passer à côté ! Pour cela, il nous appartient d’accueillir le témoignage des apôtres et disciples qui l’ont vu ressuscité.
Alors nous pourrons avoir part à la joie caractéristique de cette grande fête de Pâques (exultet), la joie de Marie (Regina Caeli) et de tous ceux qui ont cru.
Amen.
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Exode 14,15-31.15,1a.
- Livre de l’Exode 15,1b-2.3-4.5-6.17-18.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 6,3-11.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 16,1-7 :
Le sabbat terminé, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus.
De grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau dès le lever du soleil.
Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? »
Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre, qui était pourtant très grande.
En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de frayeur. Mais il leur dit :
— « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé.
Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” »