Texte de l’homélie :
Sept lectures ! Sept lectures de l’Ancien Testament au lieu d’une pour les dimanches ordinaires ! 7 lectures, c’est long ! Mais pourquoi ce chiffre ? Ce soir, l’Église nous invite à passer une veillée au coin du feu … du feu pascal bien sûr !
Saint Augustin appelle la veillée pascale « la mère de toutes les saintes veillées ». Elle nous invite à prendre le temps pour relire les récits des anciens, pour faire mémoire.
En se référant à l’Exode, le Missel de 1970 appelle cette veillée :
« Une veille en l’honneur du Seigneur. » (Ex 12, 42)
Nous venons de proclamer : « Christ est ressuscité ! » et – en pratiquant la salutation pascale chère aux Orthodoxes - vous répondez bien sûr « Oui, il est vraiment ressuscité ! ». Cette salutation pascale permettra de vous réveiller – si besoin était – entre les trois parties de cette homélie.
- D’abord, je vais essayer de montrer pourquoi cela nous fait du bien de nous plonger dans les Écritures pour mieux apprécier la grâce de la résurrection.
- Dans une deuxième partie, je vous parlerai des quatre nuits évoquées par les quatre premières lectures.
- Dans une troisième partie, je vous dirai quelques mots du baptême qu’évoquent les trois autres lectures de l’Ancien Testament.
Scruter les Écritures pour mieux goûter la grâce de la résurrection
La grâce de la Résurrection est tellement inouïe que nous avons besoin de nous arrêter pour essayer de comprendre. Il s’agit bien sûr de scruter les Écritures pour mieux voir comment la résurrection était annoncée dans l’Ancien Testament :
Le refrain « selon les Écritures » que l’on retrouve souvent au sujet de la Résurrection se réfère d’abord à cela :
Nous pensons bien sûr aux disciples d’Emmaüs qui cheminent avec Jésus :
Pour la tradition juive ancienne, Abraham ne doutait pas que Dieu, qui ressuscite les morts, fût capable de rendre la vie à son fils lorsqu’il se disposait à le sacrifier. Sauvé de la mort « le troisième jour », Isaac apparaît comme la figure du Ressuscité. Comme le dit l’épître aux Hébreux :
« Abraham pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration. » (Hb 11, 19)
Le Psaume 15, qui suit cette lecture, a été lu dès l’époque apostolique dans la perspective de la résurrection du Christ (Ac 2, 25-28).
La troisième lecture – le récit de la traversée de la mer Rouge où les hébreux sont sauvés et les égyptiens noyés – est incontournable pour Pâques.
Cependant, il est intéressant de noter que la majorité des lectures de l’Ancien Testament qui ont été choisies pour cette veillée pascale n’annoncent pas de manière très explicite la résurrection.
Elles font partie d’un fond catéchétique très ancien puisqu’il s’enracine dans la tradition juive.
Cela nous incite à élargir notre regard pour voir combien la bonne nouvelle de Pâques s’enracine dans l’Écriture. Cette bonne nouvelle a surpris les bons Juifs qu’étaient les apôtres mais s’inscrit cependant dans une logique : la logique de l’amour de Dieu pour nous.
Il y a une cohérence de cette bonne nouvelle du mystère pascal avec la manière dont Dieu a conduit son peuple dès les origines. Pendant la vigile pascale, nous écoutons les lectures pour voir comment Dieu sauve son peuple. C’est le mouvement que suit le début de la quatrième prière eucharistique : le bon grain de la résurrection plonge ses racines dans cette histoire de l’amour de Dieu pour nous.
L’histoire du salut est le dessein bienveillant du Père (Ep 1, 9-14) se poursuivant dans le temps, avant de s’achever dans la Gloire.
La première chose qui peut nous faire du bien dans cette veillée, c’est de voir que Dieu a de la suite dans les idées. Il est patient. À de multiples reprises le peuple de Dieu aurait pu disparaître, mais Dieu était là qui veillait. La résurrection, si je puis dire, n’est pas un coup d’éclat isolé. C’est le sommet de la fidélité de Dieu à son amour pour nous. Nous pouvons puiser aujourd’hui encore à cette fidélité de Dieu. Cela nous aide à repartir et à espérer aujourd’hui. La cohérence qui va de la création à la résurrection se poursuit maintenant.
Nous sommes donc invités à nous laisser enseigner par le passé pour vivre notre présent. Ce qui vaut pour l’humanité en général vaut pour chaque homme en particulier.
C’est le sens de la prière que nous avons prononcée tout à l’heure :
Les 4 nuits (les 4 premières lectures)
Selon le Targum palestinien (Targum Neofiti sur Ex 12, 42), les Juifs commémoraient durant la nuit de la Pâque (Pessah) le souvenir de « Quatre Nuits », celles de la création du monde, du sacrifice d’Abraham, de l’Exode et de la venue du Messie (la liturgie a choisi pour cela Isaïe 54, 5-14). Nous assumons en quelque sorte ces quatre nuits en célébrant notre vigile pascale.
La nuit de la création
Dans cette première nuit, le Seigneur se manifesta pour créer le monde. L’esprit d’amour de Dieu planait sur les eaux. De fait, la première Parole de Dieu alors que c’était le tohu-bohu et que les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme, c’est :
« Que la lumière soit ! »
« Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne. »
Ce beau récit est scandé par le refrain : « et Dieu vit que cela était bon ». Dieu a créé un monde qui est beau. Comme il est bon de savoir que le monde n’est pas né du hasard mais d’un Dieu bon qui a tout fait avec sagesse et par amour. Ce n’est pas le monde du non-sens et de l’absurde.
Ce qui est vrai de l’univers est vrai aussi de chacun d’entre nous : nous ne sommes pas là par hasard. J’aime bien la phrase d’un rabbin juif :
Nous sommes invités à cultiver cet émerveillement comme le psalmiste qui nous a offert une si belle prière (Psaume 103 ou Psaume 32). Si la création est belle, la re-création qui advient dans la mort et la résurrection de Jésus est plus belle encore, comme le dit l’oraison :
La nuit du sacrifice d’Isaac
C’est pour Abraham la nuit de la foi lorsqu’il doit offrir Isaac, le fils de la promesse. Dans cette seconde nuit, le Seigneur apparut à Abraham. Abraham était disposé à offrir ce qu’il avait de plus cher :
« Ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac » (Gn 22, 2)
Dieu répondit à sa foi et sa confiance :
« Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste, mon fils » (Gn 22, 8)
Et de fait, quelques versets plus loin :
« Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. »
Combien l’exemple de notre père dans la foi est précieux dans les nuits que nous pouvons traverser !
Avec Jésus, un pas supplémentaire a été franchi : ce que le Père n’a pas voulu pour Abraham – la mort d’Isaac par sacrifice – il l’a accepté pour son propre Fils offert en sacrifice pour le calvaire. Il est allé encore plus loin dans la nuit. Mais le dénouement est plus admirable encore puisqu’il a ressuscité son Fils le troisième jour.
La nuit de l’Exode
Dans cette troisième nuit, le Seigneur apparut en Égypte pour sauver les premiers-nés d’Israël. Parmi les lectures de l’Ancien Testament, celle de l’Exode est tellement incontournable qu’elle trouve une place dans l’Exultet que nous avons chanté tout à l’heure :
Dans cette nuit est né le peuple de Dieu. Dans cette situation désespérée Dieu est intervenu à main forte et à bras étendu. Le peuple ne fut ni englouti par la mer, ni massacré par ses persécuteurs. Comme le dit le Psaume 30 :
« Devant moi, tu as ouvert un passage » (Ps 30, 9)
La Pâque que Jésus veut nous faire vivre va plus loin encore : Il ne nous libère pas seulement d’un esclavage extérieur mais d’un esclavage intérieur beaucoup plus redoutable encore, celui du péché.
Combien il est précieux pour nous de savoir que Dieu, « dans l’impossible ouvre une issue » (hymne du bréviaire).
La nuit de la venue du Messie et de l’époux
Cette quatrième nuit est la nuit de la venue du Messie. Pour nous chrétiens, cette dernière nuit s’est déjà dissipée avec la venue de Jésus dans sa chair. Mais elle est encore à venir pour les noces éternelles.
Pour parler de cette dernière nuit, la liturgie a choisi un beau passage du prophète Isaïe que nous avons écouté pour la quatrième lecture. Il y prend l’image de l’amour conjugal :
« Ton époux, c’est Celui qui t’a faite, son nom est ’Le Seigneur de l’univers’. Ton rédempteur, c’est le Saint d’Israël, il s’appelle ’Dieu de toute la terre’. Oui, comme une femme abandonnée, accablée, le Seigneur te rappelle. Est-ce que l’on rejette la femme de sa jeunesse ? – dit ton Dieu.
Un court instant, je t’avais abandonnée, mais dans ma grande tendresse, je te ramènerai. Quand ma colère a débordé, un instant, je t’avais caché ma face. Mais dans mon éternelle fidélité, je te montre ma tendresse, – dit le Seigneur, ton rédempteur. (…)
Même si les montagnes s’écartaient, si les collines s’ébranlaient, ma fidélité ne s’écarterait pas de toi, mon alliance de paix ne serait pas ébranlée, – dit le Seigneur, qui te montre sa tendresse. »
Dieu nous donne cette belle perspective de l’union définitive avec Dieu qui fait que « à la résurrection, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel » (Mt 22, 30). L’union avec Dieu nous comblera totalement.
C’est le désir de Dieu ; encore faut-il que ce soit aussi le nôtre et que nous soyons prêts pour L’accueillir comme nous y exhorte la parabole des dix jeunes filles que nous avons évoquée tout à l’heure dans un chant auprès du feu :
« Au milieu de la nuit, il y eut un cri : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.” » (Mt 25, 6)
Comme nous l’avons vu rapidement dans ces quatre nuits évoqués par les quatre premières lectures, chacune comporte sa dimension d’épreuve. Chaque fois nous sommes surpris. Mais nous savons – dans la foi – que Dieu fera tout contribuer à notre bien (Rm 8, 28).
Le baptême (les 3 dernières lectures de l’Ancien Testament + l’épître)
Nous sommes dans la période du « déjà » et du « pas encore ». Déjà le Messie est venu sur terre et nous a sauvés. Mais nous ne sommes pas encore au ciel dans ce face à face définitif avec Dieu.
Comme le dit saint Paul :
« La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. » (Rm 13, 12)
Pour cette période intermédiaire, le Seigneur nous accompagne par Sa grâce et Sa Parole.
Je retiendrai trois éléments qui ressortent davantage des lectures 5 à 7, sachant qu’elles ont été choisies en relation étroite avec le sacrement du baptême qui est administré traditionnellement pendant cette nuit.
La grâce du baptême
C’est la septième lecture qui en parle de la manière la plus explicite :
« Je vous prendrai du milieu des nations, je vous rassemblerai de tous les pays, je vous conduirai dans votre terre. Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères : vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu. » (7e lecture : Ez 36)
C’est une grâce purement gratuite à laquelle nous avons accès « sans argent et sans rien payer ». Il s’agit de se laisser sauver par Dieu :
« Voici le Dieu qui me sauve : j’ai confiance, je n’ai plus de crainte. Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ; il est pour moi le salut. » (Cantique Isaïe 12, 2)
Mais la grâce n’agit pas en nous sans nous. Pour collaborer à la grâce, nous sommes invités à renoncer au mal et à professer notre foi. C’est cet engagement que nous renouvellerons dans quelques instants.
En mettant l’accent sur la sagesse et la Parole de Dieu, les cinquième et sixième lectures nous présentent le baptême plutôt sous l’angle de l’illumination.
La Loi et la Sagesse pour mener une vie droite
« Écoute, Israël, les commandements de vie, prête l’oreille pour acquérir la connaissance. » (6e lecture : Ba 3, 9s)
« Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. » (5e lecture : Is 55, 7)
« La Sagesse est (…) la Loi qui demeure éternellement : tous ceux qui l’observent vivront, ceux qui l’abandonnent mourront. Reviens, Jacob, saisis-la de nouveau ; à sa lumière, marche vers la splendeur : ne laisse pas ta gloire à un autre, tes privilèges à un peuple étranger. Heureux sommes-nous, Israël ! Car ce qui plaît à Dieu, nous le connaissons. » (6e lecture : Ba 3, 9s)
La Parole de Dieu pour mieux le connaître
Tout à l’heure, nous ne nous contenterons pas de renoncer au mal. Nous exprimerons notre foi en Dieu. C’est en nous nourrissant de sa Parole que nous apprenons à mieux connaître le Seigneur.
« Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez. » (5e lecture : Is 55, 7)
Il y a de beaux versets dans la sixième lecture, du livre de Baruch, qui nous donnent l’eau à la bouche :
« Qui donc a découvert la demeure de la Sagesse, qui a pénétré jusqu’à ses trésors ? Celui qui sait tout en connaît le chemin, il l’a découvert par son intelligence. Il a pour toujours aménagé la terre, et l’a peuplée de troupeaux. Il lance la lumière, et elle prend sa course ; il la rappelle, et elle obéit en tremblant.
Les étoiles brillent, joyeuses, à leur poste de veille ; il les appelle, et elles répondent : « Nous voici ! » Elles brillent avec joie pour celui qui les a faites.
C’est lui qui est notre Dieu : aucun autre ne lui est comparable. » (6e lecture : Ba 3, 15s)
D’un côté la Sagesse de Dieu nous dépasse infiniment :
« Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. »
Nous sommes invités à considérer la hauteur et l’excellence des pensées de Dieu.
D’un autre côté, cette Sagesse s’est fait tout proche. « la Sagesse est apparue sur la terre, elle a vécu parmi les hommes. » Elle a pris un visage humain en Jésus. Vivre selon la sagesse consiste à suivre le Seigneur.
Nous sommes invités à considérer l’efficacité de la Parole de Dieu, comparée à celle d’une pluie bienfaisante.
« La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »
Nos frères protestants nous donnent quelques leçons à ce sujet.
Au terme de cette longue homélie, confions-nous à la Vierge Marie qui nous accompagne dans nos nuits et veut nous guider vers cette union pleine et définitive avec Dieu,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Exode 14,15-31.15,1a.
- Livre de l’Exode 15,1b-2.3-4.5-6.17-18.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 6,3-11.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 16,1-7 :
Le sabbat terminé, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus.
De grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau dès le lever du soleil.
Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? »
Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre, qui était pourtant très grande.
En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de frayeur. Mais il leur dit :
— « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé.
Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” »