Texte de l’homélie
Frères et sœurs bien-aimés,
Je me faisais une réflexion ce matin en relisant les lectures proposées par la liturgie sur la manière dont la Pentecôte était présentée dans la première lecture des actes des Apôtres. La Pentecôte est présentée comme une théophanie, c’est à dire une manifestation de Dieu.
Dans la Bible, il y a un certain nombre de théophanies. Mais il y a quelque chose qui a attiré mon attention dans la manière de présenter cette révélation, cette présence de Dieu. Autant le coup de vent ou la langue de feu sont des évocations qui existent ailleurs dans la Bible, mais le fait de comprendre l’autre dans sa langue maternelle est une manifestation tout à fait nouvelle. Celui qui ne parle pas mal langue, je le comprend dans ce qui fait mes fondations, mes racines et mon éducation.
Au fond, c’est une très belle explication du Saint-Esprit : Il nous donne d’accueillir, de découvrir le monde de l’autre, tout en parlant notre propre langue.
Vous le savez peut-être, en Hébreu, le mot langue se dit « saffa ». Mais comme souvent en Hébreu, il s’agit d’un mot valise qui signifie aussi « rive », « rivage ». Ainsi, être mu par le Saint-Esprit, c’est comprendre l’autre dans sa manière de s’expliquer, c’est accepter qu’il y ait un vis à vis comme deux rives d’un même fleuve, que je puisse me laisser décentrer pour rentrer dans la « carte du monde » de l’autre, dans sa vision du monde, car chaque langue porte en elle-même une vision du monde.
Ainsi, c’est accepter que nous ayons une manière de nous exprimer et de dire les mystères de Dieu qui soit différente, tout en admettant qu’il y a quelque chose de commun. C’est ce différent et ce commun qui fait vraiment le cœur de la Pentecôte. Et c’est assez unique car c’est la seule théophanie qui se présente sous cet aspect -là.
Pour nous, c’est à la fois très important et très encourageant de savoir que l’autre peut être autre à travers cette affirmation de l’altérité. Avec le signe que, malgré la diversité des langues et des nationalités présentes à Jérusalem ce jour-là – Parthes, Mèdes, Elamites et habitants de la Mésopotamie, le Saint-Esprit a permis que chacun comprenne le mode de fonctionnement de l’autre, alors qu’il n’avaient pas le même.
Voilà toute la difficulté : comment comprendre le mode de fonctionnement, la vision du monde que l’autre a, avec sa langue et son rivage, sans le voir pour autant comme une menace par rapport à ma propre vision du monde, ma propre langue.
Tout cela s’oppose à l’histoire de Babel, avec laquelle on fait le lien à juste titre. Dans le tour de Babel, il n’y avait justement qu’une seule langue, qu’une seule manière de voir les choses, qu’un seul chemin vers Dieu, qu’une manière d’être en communion les uns avec les autres. Il y avait quelque chose de monolithique. Et parfois, cette tour de Babel nous joue des tours car elle fait partie intégrante de notre construction. Dans la tradition juive, on dit que a tour de Babel a été détruite un tiers par Dieu, qu’un autre tiers s’est évanoui avec l’usure du Temple, mais que nous avons aussi une brique de la tour de Babel en nous, dans notre construction personnelle. C’est à dire que nous avons uniquement notre point de vue.
Et c’est le principe du fanatisme qui incarne cette seule manière de voir les choses. Le fanatique est l’homme d’un seul livre, alors que celui qui est mu par l’Esprit amène avec lui une bibliothèque entière et une capacité de rentrer en contact avec ce qui est différent de lui.
Si la tour de Babel nous joue des tours, il est bon que le jour de la fête de la Pentecôte nous puissions nous rappeler qu’accueillir l’autre comme autre que moi – ce que l’on appelle l’altérité et qui n’est pas un mouvement naturel – c’est le fruit du travail du Saint-Esprit en nous qui nous fait nous déplacer intérieurement et sortir de notre zone de confort, sortir de ce qui nous est connu. La langue maternelle est ce qui nous est familier depuis le sein maternel et ça fait partie de nous. Apprenons alors à accueillir ce qui fait partie de l’autre qui n’est pas mien, qui est différent de moi. Au delà des Elamites, des Mèdes et des habitants de la Mésopotamie, on pourrait citer d’autres contrées et d’autres langues.
Comme vous le savez certainement, le Saint Père va venir à Marseille en septembre pour les rencontres des la Méditerranée. Et il a voulu venir dans ces rencontres où il y aura les représentants de trente pays qui trempent leurs pieds dans cet mer. Quand on analyse la composition de ces pays on en perçoit la complexité car il y a tout le Moyen-Orient, plus à l’intérieur de ces pays des habitants qui n’en sont pas originaires et qui apportent avec eux leur propre tradition et leur propre langue et leur propre vision du monde. culture. Et le Saint Père a dit l’importance de ce moment-là : avec les difficultés de santé que nous lui connaissons, il veut être présent autant que faire se peut à cette rencontre de la Méditerranée.
Nous pouvons y voir l’expression de la Pentecôte : j’accueille l’autre qui vient d’un autre rivage et qui parle une autre langue, et je lui dis qu’il est le bienvenu sur ce côté même de la Méditerranée, sur ce côté qui représente ma manière de vivre.
Alors, on voit bien que c’est un sujet de tension et que la tour de Babel nous joue toujours des tours… on pense que l’unité c’est l’uniformité c’est l’uniformité. Vous vous rappelez sans doutes de la devise du troisième Reich : « un chef, un empire, un peule » Un ! avec une seule manière de penser… un seul chemin vers Dieu, l’homme d’un seul livre… le pure, la race « pure », pas de mélange… Voyez, c’est tout le rebours de la Pentecôte.
La Pentecôte nous fait sortir de notre zone de confort. D’une certaine manière, le Saint-Esprit nous dérange, car nous ne sommes précisément pas dans le confort de notre langue maternelle, en tous les cas on fréquente des personnes qui n’ont pas la même culture que nous, et ce jour là à Jérusalem, on voit bien que ce sont des personnes qui viennent de toutes les nations sur la terre, pratiquant toutes les manières d’être possibles et des visions du monde différentes qui y sont réunies.
Et le Saint-Esprit nous dit que si nous sommes attentifs à Lui qui habite en nous, nous qui sommes Son temple, nous pourrons accueillir l’autre comme autre que nous en le respectant dans son propre langage, dans sa propre carte du monde.
Certes, c’est quelque chose qui nous est difficile et qui demande un combat intérieur, parce que la tour de Babel – cette brique qui reste dans chaque personne humaine – nous joue des tours, elle nous fait penser qu’il ne faut qu’une seule manière de faire…
Dans une même famille, c’est pareil ! on pourrait pourtant penser qu’avec le sang commun, la langue commune et la même religion le plus souvent, il y a beaucoup de choses identiques. Et pourtant, faire communion dans la famille, c’est accueillir la vision du monde de l’autre qui n’est pas la même que la mienne. Et il faut faire en sorte que cette autre vision du monde, cet autre rivage, je puisse m’y rendre en esprit, intérieurement, pour voir comment l’autre voit la réalité, comment il me voit.
C’est une déplacement intérieur à opérer pour apprendre la communion. La famille est un bon lieu d’apprentissage à cela, à l’intérieur de la fratrie et avec les parents. On peut apprendre à rentrer en contact avec des manières de faire qui sont différentes. Et au fur et à mesure de l’âge, ces manières de faire s’affermissent et c’est là que l’on voit que l’on a besoin du Saint-Esprit. On en a besoin pour apprendre à être en lien, que la qualité du lien soit au rendez-vous alors que nos manières de faire, nos visions et notre regard sont différents.
C’est quelque chose que l’on peut demander et même supplier, et parfois, ça n’arrive pas. On demande alors pardon au Seigneur, car c’est le sujet de l’engagement et de la liberté de chacun dans la famille et plus largement entre les peuples, c’est peut-être plus simple de commencer par la famille. On est bien souvent freinés par nos manques de libertés face aux engagements qui seraient à prendre. Mais le Saint-Esprit respecte notre liberté et le temps qui nous est nécessaire pour accéder au rivage de l’autre, que nous puissions être sur un autre bord et voir la réalité autrement.
Alors, on va demander cette grâce particulière au Seigneur parce que c’est elle qui nous permettra d’être témoin. C’est cette grâce-là qui nous permettra d’appeler, de sortir parfois de l’entre soi, et le Pape François est extrêmement déterminé sur ce sujet et sa venue à Marseille est certainement un signe de ce point de vue là, un signe de la Pentecôte.
Et nous demandons une nouvelle Pentecôte, c’est à dire une nouvelle manière d’entrer en lien les uns avec les autres, de déraciner en nous la tour de Babel, d’enlever en nous les restants de cette brique qui est dans notre construction personnelle, et de faire qu’elle s’effrite petit à petit pour que nous puissions devenir les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Actes des Apôtres 2,1-11.
- Psaume 104(103),1ab.24ac.29bc-30.31.34.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 12,3b-7.12-13.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 20,19-23 :
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »