Homélie de la Fête de la Congrégation : Cœur Immaculé de Marie, refuge des pécheurs

15 janvier 2024

« En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu’un seul homme a obéi. »

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Texte de l’homélie

Nous célébrons aujourd’hui la fête patronale de notre Congrégation que notre fondateur, le Père Lamy a choisie. Il aimait beaucoup invoquer Marie sous ce titre : deux mois après son envoi à La Courneuve, il commença à réunir tous les dimanches “La Congrégation du Saint et Immaculé Cœur de Marie”, qui devint en mai 1903 “l’Archiconfrérie du Saint et Immaculé Cœur de Marie, Refuge des pécheurs”.

Pour comprendre ce titre, il faut remonter au 3 décembre 1836. Ce jour-là l’abbé Desgenettes, curé de Notre-Dame des Victoires dans le quartier de la bourse à Paris, est complètement découragé. Sur une inspiration intérieure, le dimanche suivant, il consacra sa paroisse au Cœur Immaculé de Marie refuge des pécheurs. L’effet fut spectaculaire et immédiat : il y eut tellement de grâces de conversion que de très nombreuses paroisses de France et de l’Europe vont faire la même démarche. Si bien que Notre-Dame des Victoires va être un haut lieu spirituel, centre de la dévotion à Marie, refuge des pécheurs.

Pour vous parler de cette fête, je suivrai trois étapes :

  • d’abord le découragement et même la désespérance auxquelles conduit le péché ;
  • puis le signe d’espérance qui nous est donné en Marie Refuge des pécheurs ;
  • et enfin, les fruits que cela produit.

Première constatation désolante : le péché envahit tout

Tout part du découragement de l’abbé Desgenettes devant l’état de sa paroisse. Il se sent impuissant pour travailler à la conversion des gens, devant les maux du monde/

« Le 3 décembre 1836, à la messe de 9 heures, il avait la pensée très forte de l’inutilité de son ministère dans cette paroisse. Il y avait comme une voix qui lui disait : “Tu ne fais rien, ton ministère est nul ; vois, depuis plus de quatre ans que tu es ici, qu’as-tu gagné ? Tout est perdu, ce peuple n’a plus de foi.” »

Quelque part, cela nous remet dans un contexte similaire à celui que décrit l’épître aux Romains dont est extraite la deuxième lecture. Au début de l’épître aux Romains, nous voyons que la logique du péché peut se décliner dans deux directions : d’un côté, une décadence morale dont on ne voit pas le bout ; d’un autre côté, une forme de condamnation des pécheurs.

Déchéance morale

Quand il parle des païens, Saint Paul déclare :

« Se prétendant sages, ils sont devenus fous. » (Rm 1, 19)

Dieu laisse la dynamique du péché suivre son cours :

« Dieu les a livrés, par les convoitises de leurs cœurs, à l’impureté où ils avilissent eux-mêmes leurs propres corps. »

Si bien que l’humanité s’enfonce dans la perversion. On retrouve ce même constat, fait par Dieu lui-même, au livre de la Genèse avant le déluge :

« Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti sa conduite sur la terre. » (Gn 6,12)

Le chapitre 1 de l’épître aux Romains paraît écrit pour notre époque où nous avons l’impression d’une décadence morale qui n’a pas de fin. Il y a comme une inversion des « valeurs » où l’on essaie de justifier des comportements par des lois mauvaises, où l’on nomme bien ce qui est un mal. Il y a une vraie logique mortifère.

Cette déchéance ne laisse pas Dieu indifférent. Il ne peut s’y résoudre. Si Dieu laisse l’homme faire l’expérience douloureuse de sa déchéance, c’est pour qu’il renonce à prendre un chemin de mort, comme l’exprime le prophète Ézéchiel (Ez 18,23 et 33,11) :

« Est-ce que vraiment je prendrais plaisir à la mort du méchant — oracle du Seigneur Dieu — et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de ses chemins et qu’il vive ? »

Condamnation des pécheurs

Face à cette décadence, nous trouvons d’autres personnes qui essaient de suivre les commandements de Dieu mais tombent dans le jugement à l’égard des autres. Il leur est tellement difficile de comprendre la miséricorde de Dieu :

« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 15)

C’est le chapitre 2 de l’épître aux Romains. Saint Paul interpelle ceux qui s’arrogent le droit de juger les autres, alors qu’ils sont eux-mêmes pécheurs :

« Tu es inexcusable, toi, qui que tu sois, qui juges ; car, en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même puisque tu en fais autant, toi qui juges. » (2,1)

Saint Jacques nous le dit :

« Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton frère ? » (Jc 4, 12)
« Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (Mt 7)

Dans un cas comme dans l’autre, les hommes se trouvent esclaves de la dynamique du péché, une dynamique destructrice qui conduit à la mort. Saint Paul lance un véritable appel au secours :

« Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? » (7,24)

Saint Paul est encore plus explicite au chapitre 11 (v. 32) :

« Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde. »

Bien entendu, ce n’est pas Dieu qui pousse les hommes à la désobéissance. Dieu s’en sert pour manifester la grandeur de sa miséricorde d’une manière encore plus éclatante.

Un signe d’espérance nous est donné en Marie Refuge des pécheurs

Il est très beau de voir que dans ce contexte de désespérance face au péché, le bon Dieu inspire une démarche à l’abbé Desgenettes. Je reprends le récit qui nous a été fait :

« Cela (l’impuissance à convertir les gens) l’obsédait tellement qu’il n’arrivait pas à chasser cette idée jusqu’au moment où il a entendu d’une façon très distincte : “Consacre ta paroisse au très saint et immaculé cœur de Marie”. Et il retrouva la paix.
Après la messe, il se rappela qu’il avait été distrait et se rappela aussi des paroles qu’il avait entendues. Mais il ne voulait pas y croire. Et de nouveau, il entendit : “Consacre ta paroisse au très saint et immaculé cœur de Marie”. »
Comme il n’arrivait pas à écarter cette idée, il s’est dit finalement : “C’est toujours un acte de dévotion à la Sainte Vierge qui peut avoir un bon effet ; essayons.” »

Au point de départ, nous voyons que sa conviction est pour le moins mitigée. Il ne voit pas très bien ce que cela peut faire.

Si l’on regarde les choses de plus près, nous voyons pourquoi le cœur Immaculé de Marie est offert comme remède face à la double logique du péché. D’une part, il est immaculé ; Marie est toujours restée indemne du péché. D’autre part, son cœur est un refuge pour les pécheurs car Marie n’a jamais été dans le jugement. Elle est l’ennemie du péché et l’amie du pécheur.

L’homme confronté à son péché est tenté par la fuite : la fuite devant sa responsabilité, la fuite de lui-même, la fuite devant Dieu. On le voit bien dès après le premier péché :

« Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin.
Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : ‘Où es-tu donc ?’
Il répondit : ‘J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché.’
Le Seigneur reprit : ‘Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ?’
L’homme répondit : ‘La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé.’
Le Seigneur Dieu dit à la femme : ‘Qu’as-tu fait là ?’
La femme répondit : ‘Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé.’ » (Gn 3)

Le péché nous fait fuir de la face de Dieu. C’est une réaction presque spontanée.

Dans cette fuite, Dieu offre le cœur de Marie comme refuge (cf. homélie du cardinal Lustiger). Marie nous accueille avec une infinie délicatesse et ne nous juge pas. Elle est la divine chiffonnière. Elle ne voit pas d’abord notre péché mais notre être d’enfant de Dieu, aimé par Lui. Elle nous voit comme Ses enfants avant de voir notre péché. Un peu comme Jésus, Marie est là pour sauver, pas pour juger.

« Elle est une chiffonnière divinement habile qui trouve toujours quelque petite chose à dorer. C’est une bien bonne avocate ! Comme Elle est adroite ! » (Père Lamy, Abécédaire)

« Vierge bienheureuse … nous, tes petits serviteurs, nous te félicitons de tes autres vertus, mais de ta miséricorde, nous nous en félicitons nous-mêmes. La virginité, nous la louons, l’humilité, nous l’admirons, mais la miséricorde a, pour des malheureux, une saveur plus douce. La miséricorde, nous l’étreignons avec plus de tendresse, nous nous en souvenons plus souvent, nous l’appelons avec plus de fréquence. » (Saint Bernard)

Le cœur de Marie est grand :

« Nul ne peut mesurer la longueur et la largeur, la hauteur et la profondeur de sa miséricorde. En longueur, elle vient jusqu’au dernier jour en aide à ceux qui l’invoquent. Sa largeur couvre toute la terre, sur laquelle s’étend sa miséricorde. Sa hauteur est telle qu’elle a restauré la cité céleste, et sa profondeur a obtenu la rédemption de ceux qui sont assis dans la nuit et dans l’ombre de la mort. Par elle le ciel a été rempli, l’enfer vidé, les ruines de la Jérusalem céleste ont été relevées, ceux qui sont dans l’attente ont retrouvé la vie qu’ils avaient perdue. Telle est la puissance de sa charité, aussi riche de compassion que d’efficacité secourable. » (Saint Bernard)

Grâce à Marie, la spirale mortifère du péché peut s’inverser

Pour une vie nouvelle

Si Marie accueille le pécheur, ce n’est bien évidemment pas pour qu’il demeure dans le péché. La miséricorde n’est pas bonasse ; elle a en vue la conversion. Comme l’artiste voit déjà l’œuvre qu’il va réaliser dans le bloc de marbre qui est devant lui, Marie voit le saint qui peut apparaître en celui qui est jusque-là plongé dans le péché. Marie est là au principe de notre recréation. Elle est là pour nous introduire dans la vie nouvelle.

Comme le dit saint Paul :

« Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. » (Rm 6, 4)

Cette finalité est bien indiquée dès la première lecture :

« Seigneur, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. » (Sagesse 11, 23)

La patience de Dieu est loin d’être une acceptation défaitiste !

Cette vie nouvelle nous est donnée par le Christ

Marie met au monde celui qui nous sauve de nos péchés. C’est « à cause de Jésus Christ et de lui seul » (Rm 5, 17) que nous sommes sauvés. C’est inscrit dans Son nom :

« Tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : ‘ le Seigneur sauve ‘) car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »

Marie agit dans Sa dépendance et avec Lui. Cet amour re-créateur de Dieu a un coût très élevé ! C’est le prix de la passion et de la mort de Jésus, le prix de la présence de Marie, debout au pied de la Croix.

Paul l’exprime avec un étonnement admiratif :

« C’est à peine si quelqu’un voudrait mourir pour un juste ; peut-être pour un homme de bien accepterait-on de mourir. Mais en ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. » (5,7-9)
« Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, comment, avec son Fils, ne nous donnerait-il pas tout ? » (8,32)

À la logique accusatrice du péché et du jugement sur les autres se substitue l’émerveillement et la louange devant la beauté de l’amour de Dieu.

Pour que Marie puisse agir, il faut lui donner un permis de construire ! C’est la consécration.

Il s’agit de céder à Marie le droit de construire en nous. Se consacrer à Jésus par Marie lui donne la possibilité concrète d’agir en nous. Elle respecte toujours notre liberté. Elle n’agit pas en nous sans nous. La consécration à Marie, un moyen tout simple comme Naaman le Syrien. Il y a une forme de disproportion entre la consécration et l’effet qu’elle produit en nous.

Le 11 décembre 1836 (le dimanche suivant), le curé annonça à la grand messe qu’il y aurait, le soir, à sept heures, un office de dévotion pour implorer de la miséricorde divine, par la protection du cœur de Marie, la grâce de la conversion des pécheurs. Il n’y avait que 10 personnes à la messe. Pendant toute la journée, il se demandait s’il y aurait quand même quelques personnes le soir et, à sa grande surprise, il y eût 400 ou 500 personnes dont la plupart ne savaient même pas pourquoi elles venaient.
Au début, les gens ne participaient pas beaucoup, mais à la fin, ils ont redoublé d’ardeur, notamment pour invoquer Marie sous le titre de Refuge des pécheurs.
Le résultat de la consécration est surprenant et miraculeux : il y a de nombreuses grâces de conversion.

Conclusion :

D’abord, parce que nous sommes nous-mêmes pécheurs, donnons à Marie la possibilité d’agir en nous, d’intervenir pour nous.

Ensuite, n’hésitons pas à présenter ce refuge qu’est Marie, de l’indiquer pas seulement par nos paroles mais par nos manières de faire : non pas en nous comportant comme des juges mais comme des frères.

Amen !


Références des lectures du jour :

Lecture du livre de la Sagesse 11,23 -12.2

Seigneur, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres car tu n’aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui.
Et comment aurait-il subsisté, si tu ne l’avais pas voulu ? Comment aurait-il conservé l’existence, si tu ne l’y avais pas appelé ?
Mais tu épargnes tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, maître qui aimes la vie, toi dont le souffle impérissable anima tous les êtres. Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent, pour qu’ils se détournent du mal, et qu’ils puissent croire en toi, Seigneur.

Cantique

R/ Dieu est la joie de mon cœur… (1 Sam 2)

Mon cœur bondit de joie pour le Seigneur,
mon front se relève pour mon Dieu ;
ma bouche se rit de mes rivaux ;
oui, j’exulte en ton salut.

L’arc des forts se brise,
mais les chétifs ont la vigueur pour ceinture ;
les repus s’embauchent pour du pain,
les affames n’ont plus à travailler.
Le Seigneur fait mourir et fait vivre
il fait descendre aux enfers et en ramène.

Le Seigneur appauvrit et enrichit ;
il abaisse, mais aussi il relève.
De la poussière, il retire le faible,
et du fumier, il relève le pauvre
pour l’asseoir, au rang des princes,
lui assigner un trône de gloire.

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5, 12.17-19

Frères, par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde et par le péché est venue la mort, et ainsi la mort est passée en tous les hommes du fait que tous ont péché.
A cause d’un seul homme, par la faute d’un seul Adam, la mort a régné ; mais combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en plénitude le don de la grâce qui les rend juste.
De même que la faute commise par un seul a conduit les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie.
En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu’un seul homme a obéi.

Commencement de l’Évangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 1, 1-25

Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ, Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret. Il avait formé ce projet, lorsque l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit :
« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : ‘ le Seigneur sauve ‘) car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela arriva pour que s’accomplit la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
« Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel qui se traduit : « Dieu avec nous ».