I. L’appel
1- L’enracinement dans la vocation
"Nous ne manquons d’aucun don de la grâce" (Cf. 1re Epître aux Colossiens (1 ; 4-9) :
Vous connaissez tous le fameux chemin de Damas… Dans ce récit, conté dans les Actes des Apôtres, la chute au bas d’un cheval appartient à l’imagerie. Paul est tout simplement tombé. Dans son cœur, il s’est senti appelé. Cet appel de Paul constitue une formidable source d’Espérance pour chacun d’entre nous, par le fait qu’il nous témoigne que nous avons chacun un appel particulier. Il n’est pas de vie sans vocation, sans mission, quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve ! Si je suis sur cette terre, c’est que je suis dépositaire d’une vocation à vivre de foi, d’espérance et de charité. Si j’ai été créé, c’est que je suis appelé à cette vocation à la communion, à devenir à l’image et à la ressemblance de cette communion qu’est la Trinité. Vous avez aussi cette vocation à être source d’espérance. L’appel de l’homme est appel à la vie.
Nous sommes souvent témoins, surtout dans les situations de précarité, mais parfois aussi pour nous-mêmes, d’une forme de désespérance qui fait se demander : « A quoi je sers, à quoi bon tout cela, je ne comprends pas ce que je fais ici-bas… » Il est alors très précieux de reprendre conscience des choses que l’on sait. Une retraite offre précisément ce temps choisi pour se remettre face à ce que nous savons, pour se rappeler que nous sommes témoins de l’espérance lorsque nous redisons à chacun : « vous avez une vocation, et vous ne manquez de rien pour l’accomplir. La Présence du Seigneur vous a donné grâce sur grâce ».
L’Eglise croit à ce primat de la grâce, Elle croit que le Seigneur nous précède en tout. Même à travers les incompréhensibles méandres de nos existences, Elle invite à croire au chemin que le Seigneur nous trace. Le Seigneur nous appelle, quelles que soient les circonstances de notre vie, quelles qu’en soient les difficultés, les épreuves. Il nous appelle. Vous ne manquez d’aucun don de la grâce ; de cela, soyez-en les témoins, dans toutes les réalités de votre vie et plus particulièrement auprès des personnes que vous rencontrez. Nous sommes ce que nous sommes sous le regard de Dieu, bien avant ce que nous sommes sous le regard des hommes. L’avoir ne me donne pas l’être. L’accumulation des biens ne me donne pas le fait d’exister. Que dans votre regard les personnes prennent conscience de cela. Et cela est capital pour St Paul que de l’affirmer.
"Il est fidèle, le Dieu par qui nous sommes appelés."
L’ambiance dans laquelle baignait St Paul apparaît à bien des égards assez semblable à la nôtre. Avant sa conversion, lui-même était citoyen romain et pharisien. Dans l’esprit de ses contemporains, le monde connu se limitait à la Méditerranée. Et cet univers déployait un éventail étonnant de cultures, de religions. Dans cette situation nous reconnaissons assez bien notre propre réalité. Et Paul allait malgré tout annoncer le Christ à ceux qui ne le connaissaient pas. Pour beaucoup de personnes, il n’est pas du tout évident d’affirmer que toute vie a une vocation, parce que beaucoup confondent vocation avec réussite. Or je suis appelé non pas parce que je réussis, mais parce que je suis aimé. Plus la personne est en situation de souffrance, plus il faut le lui redire… et déjà le vivre soi-même… On peut le dire simplement par la présence, par la fidélité. J’aime bien cette insistance de St Paul « Il est fidèle, le Dieu par lequel… »
On assimile souvent fidélité et statisme. Mais les deux sont pourtant tout à fait différents : la fidélité implique de rentrer dans une dynamique de don. Telle est la fidélité de Dieu. La fidélité n’est pas quelque chose de statique, mais invite à rentrer dans une forme de dynamique. Je peux très bien manquer de fidélité parce que je ne me pose pas la question de ce que je n’ai pas encore donné dans mon engagement. Telle est la logique de l’amour ! Je peux très bien manquer de fidélité en n’étant pas en mouvement. Il est important de se rappeler de cela.
"Raviver en nous le don spirituel" (Cf. 2e Epître à Timothée)
A l’intérieur de l’Eglise se déploient plusieurs appels. Or l’homme grandit dans son appel en en prenant conscience et en se remettant face à la fidélité de sa vocation. Il est important de pouvoir prendre ces temps de recul sans lesquels on se fatigue et on se décourage. Quelle est la manière de grandir dans l’amour si ce n’est en se remettant face à notre finalité, à notre objectif ? Il existe des moyens variés dans l’Eglise. Les Semeurs bénéficient d’une grâce particulière. Du coup il est fondamental de reprendre conscience de cette grâce reçue, et de la confronter à ce à quoi elle nous engage.
Lorsque Saint Paul écrit à Timothée, il encourage. Beaucoup de lettres de Saint Paul ont pour objectif d’encourager les chrétiens, au cœur de cette tentation très forte du paganisme. C’est la même chose pour nous aujourd’hui où il n’existe en vérité qu’une poignée de chrétiens engagés. Les jeunes chrétiens engagés se définissent aujourd’hui très clairement comme appartenant à une minorité. Saint Paul exhortait et enseignait pour soutenir les gens dans leur vie de foi et les remettre face à la beauté de leur vocation.
"Ne rougit donc pas". N’aies pas honte de l’Evangile ! Ne rougis pas de l’Eglise ! Malgré ses fragilités, ses erreurs, Elle est aussi experte en humanité. Soyons fiers de ce que nous portons, plutôt que de succomber à la logique de culpabilisation où nous pousse notre société. Nous perdons de vue à quel point l’Evangile a façonné nos sociétés occidentales. Soyons fiers de ce que nous avons reçu ! Ayons cette conscience. Nous avons été appelés, et c’est un honneur, c’est une grâce.
Encourageons-nous nous aussi les uns les autres, dans ce monde où tant de choses nous tirent vers le bas…
2- La disproportion dans l’appel (Cf. 1 Co 1 ; 26-31)
"Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi« »Considérez votre appel". Considérez ceux qui sont à côté de vous, dans l’Eglise. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants… La grande majorité n’est pas constituée de ceux-là. C’est la même chose dans notre communauté. Nous avons nous-mêmes une telle fragilité, et notre église est une telle Eglise de pauvres… Son équilibre se crée lorsque nous nous portons les fardeaux les uns des autres. Saint Paul nous le rappelle : nous avons à nous porter les uns les autres. Nous avons parfois tellement tendance à nous juger. Qu’il est beau de lire :
Ce qui est sans naissance, voilà ce que Dieu a appelé"
La vraie sagesse n’est pas humaine ; ayons ce regard de foi dans nos fragilités, même au plan personnel. Si l’un ou l’autre de nos prochains nous paraît plus en difficultés, cela représente aussi un témoignage d’accueillir. En tant que groupe, il faut voir ce que nous sommes capables de porter. Nous sommes incorrigibles, toujours enclins à succomber à cette tentation de la toute-puissance, d’une Eglise forte, bien établie, à l’image de ce que notre société, société de forts, nous invite à désirer. Or une société se juge à la capacité qu’elle a de laisser la place aux plus fragiles.
"Sortir de notre logique d’efficacité"
Il est vrai que les choses fonctionnent parfois moins bien et plus lourdement lorsque l’on tente de laisser la place aux plus faibles. Mais il faut sortir d’un certain régime d’efficacité ! C’est le Seigneur qui est au cœur de votre engagement. Il y a une disproportion dans l’appel, un abîme entre ce à quoi on a été appelé et ce qu’on est… C’est cela qui fait que l’Eglise est l’œuvre de Dieu.
Le témoignage n’est pas aussi fort lorsqu’un groupe ne fonctionne qu’avec des gens bien équilibrés… La logique du monde fait que les gens aiment à se retrouver avec ceux qui leur ressemblent. Mais en tant que chrétiens nous avons un autre témoignage à porter. Nous devons porter ce regard de foi sur l’autre. C’est Lui, le Christ, qui est notre sagesse, et elle s’oppose à la sagesse du monde, à cette logique du monde qui est souvent la logique du plus fort. Pour Paul, profondément christocentrique, c’est au contraire quand je suis faible que je suis fort. Ce paradoxe réside au cœur de l’Evangile, et c’est lui qui a traversé les siècles. Cette fragilité sonne comme une béatitude. En tant que Semeurs d’Espérance, vous avez aussi cette grâce particulière à conjuguer, à travers les rencontres que vous faites dans les gares, de soutenir des critères différents : ce qui aux yeux du monde est sans valeur a de la valeur pour vous ! Mais il faut être vigilant : nous avons si vite fait de nous aligner sur le registre du monde ! Ce regard est sans cesse à revêtir.
Il ne faut pas être découragé par rapport à l’exigence de la vie baptismale. On ne s’engage pas parce qu’on parvient déjà à remplir sa vocation ! On s’engage au contraire pour y arriver.
II. La Croix
1- Les difficultés comme source d’audace (Cf. Actes des Apôtres 16 ; 6-12)
Il y a des portes qui se ferment, mais ces difficultés doivent retentir pour nous comme autant de sources d’audace. L’Esprit souffle… A nous de L’accueillir, à nous de nous sentir convoqués à l’audace.
Quel est ce macédonien, cette personne qui m’appelle, moi ? Les hommes et les femmes de notre temps ont un besoin considérable d’entendre notre témoignage. Notre chemin se trace à travers les difficultés. Quelle audace est possible dans telle ou telle situation d’incompréhension, de rejet, de lutte ? St Paul a du faire face à des difficultés considérables… Frappé de coups de fouets, rejeté parfois même par sa propre communauté. Mais c’est précisément dans cette adversité que l’espérance vient se loger, poussant à affirmer envers et contre tout qu’un chemin est toujours possible. Cette foi ne relève pas de l’optimisme, ni d’une confiance d’ordre psychologique, mais de la certitude que le Christ Lui-même a tracé un chemin là où il n’y en avait pas ! L’optimisme se tarit vite ; l’espérance, en revanche, croit que notre réalité est dans la main de Dieu.
2- La fécondité des difficultés (Cf. 2 Co 4 ; 8-18)
Quelle fulgurance… ! Partout, nous sommes pressés, terrassés, annihilés… Mais nous pouvons porter du fruit. Ce que nous vivons, nous le vivons aussi pour d’autres. On ne s’approche pas des personnes fragiles, rejetées, en restant indemnes ! Nous vivons nous aussi inévitablement une forme de rejet, comme par une sorte de communion avec ceux qui sont rejetés. Et par ailleurs, en tant que chrétiens, nous n’avons pas non plus le désir d’une facilité de vie, puisque nous savons que ce sont les difficultés, les épreuves qui vont révéler qui nous sommes en vérité, tel le bain de révélateur qui fait apparaître l’image sur la photographie argentique. L’épreuve nous dit ce que nous portons. Elle nous révèle à nous-mêmes.
Ce que je vis ici retentit dans l’Eternité. Ma vie n’est pas seulement pour cette terre. La seule manière de nous préparer à l’Eternité est de vivre au mieux ce qui nous est demandé au quotidien.
Nous portons un regard d’espérance sur l’autre lorsque nous ne le regardons pas seulement dans son apparence, mais à l’aulne des choses invisibles qu’en tant que chrétiens nous qualifions d’essentielles. Vous avez à redire cette parole de Paul, à refaire sans cesse mémoire de cela. Lorsque je regarde une personne, si ce qui est visible me saute peut-être à la figure, je dois décider et m’efforcer de voir au-delà.
"Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ", confie St Paul aux Colossiens (1 ; 24) Les épreuves que je vis complètent dans ma chair ce qui fait défaut à la Passion de Jésus… Mais que manque-t-il à la Passion de Jésus ? Ne manifeste-t-elle pas la perfection de l’Amour ?
Eh ! bien ce qui manque, c’est de l’annoncer. Si personne ne manifeste cette perfection d’Amour, si personne ne la rend visible, si je ne la vois pas dans quelqu’un, comment la connaîtrais-je ? Il faut lui donner une visibilité.
3- La Croix du Christ au cœur de la prédication (Cf.1 Co 1 ; 17)
La Croix du Christ est littéralement incontournable chez St Paul. Sa réalité habite l’apôtre comme aucune autre, parce qu’elle se tient au cœur de l’appel qu’il ressentit sur le chemin de Damas. "Je suis Jésus que tu persécutes« entendit-il. Pendant longtemps en effet, Paul a été un farouche persécuteur des chrétiens. Il a causé la souffrance d’autres personnes. Il a été à l’origine du mal, pensant faire le bien, comme c’est le cas si souvent… »La Croix, folie pour ceux qui se perdent ou bien puissance de Dieu ?« Rappelez-vous ce passage des Actes de Apôtres qui se déroule à l’Aréopage, lieu où les Grecs se réunissaient pour parler. St Paul tente dans son discours de rejoindre la sagesse grecque avec les termes de la sagesse grecque. Il y évoque la statue au Dieu inconnu, parle du mouvement, de la vie et de l’être, qui sont des notions philosophiques grecques fondamentales. Mais lorsqu’il se permet d’annoncer un Dieu »mort et ressuscité…" tout est fini, la porte de la sagesse grecque se referme, et l’écoute se rompt irrémédiablement…
Devant la Croix de Jésus, il n’y a pas de demi-mesure possible. Cela passe ou casse. Elle est sagesse pour ceux qui se sauvent, folie pour ceux qui se perdent. Pour Paul, la Croix est un peu comparable à la nuée lumineuse, qui était clarté pour les hébreux mais ténèbres pour les égyptiens. De même, la Croix de Jésus apparaît soit comme une grande ténèbre, comme l’absurde par excellence, soit comme la plus grande des lumières.
"Ne pas réduire à néant la Croix du Christ"
Prenons garde de ne pas réduire à néant la Croix du Christ ! Le danger de notre foi à nous, aujourd’hui, est de la psychologiser à outrance. La prise en considération de certains aspects d’ordre psychologique n’est pas erronée, mais, à un moment donné, nous sommes tout de même convoqués à annoncer cette bonne nouvelle de l’Amour de Dieu qui se manifeste et vient nous sauver ! La souffrance est si intimement liée à la nature humaine… C’est bien pour cette raison qu’il faudra toujours prêcher sur la Croix du Christ.
Il est vrai qu’un certain langage chrétien a pu paraître, à une certaine époque, quelque peu masochiste. Aujourd’hui, à l’inverse, il me semble que l’on insiste beaucoup sur le bonheur. Beaucoup, et peut-être trop. Le Christ n’est pas venu nous promettre le bonheur absolu ici-bas. La souffrance traverse notre condition d’hommes ; elle fait partie intégrante de notre nature et, face à elle, la Croix du Christ est l’Espérance. La véritable source d’espérance.
Je me suis rendu au Brésil à plusieurs reprises. Là-bas une secte très puissante, l’Eglise du Règne de Dieu, prêche à qui mieux mieux l’annonce de la fin de la souffrance. Autant vous dire qu’elle rencontre un vif succès… Mais l’Evangile n’est pas là.
Le même glissement s’opère avec les différents courants du New Age, qui parlent de l’amour comme de quelque chose de divin, réutilisent à leur sauce de nombreux éléments de la tradition ou de la foi chrétienne, mais ne s’approchent à aucun moment de la Croix du Christ. Eluder cette dimension-là de la foi n’a rien de chrétien. Le Christ ne nous promet pas le bonheur pour cette terre (cf. Ste Bernadette).
"La Croix, signe et école de l’Espérance"
Mais au-delà de la souffrance, la Croix du Christ nous apprend surtout une Espérance. Comme cela est important pour ceux que vous rencontrez !
Au tout début de ma vie religieuse, à Compiègne, je visitais fréquemment un centre de détenus dont la grande majorité était musulmans. Je me souviens de leur question : « Pourquoi vous, les chrétiens, brandissez-vous comme fierté un instrument de torture ? » _ Aujourd’hui il nous paraît simple de faire le signe de Croix, d’en porter une autour du cou… mais nous la cantonnons ce faisant à sa seule dimension transcendante. Or le Christ vient épouser toutes nos lourdeurs, nos difficultés humaines…
Auprès de vos amis, vous autres Semeurs, venez simplement en tant qu’humble signe. Le signe qu’au cœur de leur vie, même la plus douloureuse, le Seigneur les a rejoints. Vous ne vous approchez pas d’eux avant tout pour résoudre leurs problèmes.
Pour parler de l’Evangile à nos contemporains, nous faisons souvent appel aux valeurs humanistes. Au-delà, il me semble cependant fondamental de ne surtout pas perdre l’audace de prêcher sur la Croix. Cela ne plait à personne. Mais si nous omettons, si nous fuyons cette réalité de l’Evangile, c’est l’essence-même du christianisme, c’est l’espérance, qui part.
Voilà l’objet d’un formidable combat spirituel, parce que dès que l’on parle de souffrance cela implique qu’il faut s’accueillir soi-même dans sa vulnérabilité.
Quand bien même nous serions rejetés, ayons donc cette audace de parler, en tentant, bien évidemment, de choisir les bons mots. Et lorsque nous prions, ne demandons pas en premier lieu que nos difficultés se résolvent, mais demandons bien plutôt la force de les porter.
Le chemin vers Dieu passe par là et il est essentiel de l’affirmer, même si cela peut faire bondir autour de nous, même si cela peut choquer. Jean-Paul II disait en d’autres termes : « on peut méditer sur la vie de Jésus, prier, faire de la théologie, lire les Ecritures… mais il n’y a rien qui ne puisse mieux nous faire connaître Jésus que d’avoir part à Sa Passion ». Notre fondateur le Père Lamy invitait lui aussi à prendre le temps de méditer la Passion de Jésus.
4- La Fragilité de l’apôtre
"La puissance d’un apôtre « faible, craintif et tout tremblant » (Cf. 1 Co 2 ; 1-6)"
St Paul nous rappelle l’humilité de l’approche de l’autre. Son exemple nous enseigne à ne pas aller vers l’autre riche d’une confiance en soi de l’ordre de la domination, mais de venir à lui dans la fragilité de ce que nous sommes. Et le Bon Dieu nous place souvent dans des situations de petitesse et de vulnérabilité (fragilité de santé, d’organisation…) pour nous dire que nous ne sommes pas invités à nous rendre vers les plus petits à la manière du monde, mais bien comme l’un d’entre eux.
Pour que votre foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu" (1 Co 2 ; 5)
St Paul marque une très forte opposition, jusque dans le choix de ses termes mêmes, entre la manière d’agir du monde et la manière d’agir de Dieu. Il nous faut choisir notre camp. Ce décalage entre sagesse des hommes et sagesse de Dieu est particulièrement repérable au sein des mouvements non-chrétiens d’action sociale. Trop souvent, la personne n’y réside pas au centre, et la fragilité se voit davantage considérée comme une menace. A l’opposé, Jésus invite sans cesse à accepter cette forme de pauvreté qui nous anime. Cela demande d’accomplir de manière personnelle un véritable itinéraire spirituel.
S’approcher de l’autre comme d’un mystère sacré (Cf.2 Co 4 ; 6-7)
Nous portons un trésor, aime à répéter St Paul, mais nous le portons dans un vase d’argile. Si l’on n’y prend pas garde, il est terriblement facile de passer à côté. En tant que Semeurs, vous choisissez d’aller à la rencontre de personnes crucifiées. Cela demande de s’approcher de la personne comme on s’approche d’un mystère.
« La terre que tu foules est une terre sacrée » dit Dieu à Moïse. Il nous faut adopter ce regard différent qui accueille l’autre comme un mystère sacré.
Demeurer au plus près de la Croix
Pour le chrétien, la contemplation de la Croix de Jésus est contemplation de l’Amour désintéressé. Comme Semeurs d’Espérance, vous êtes au contact de la Croix de Jésus, et ne devez pas mettre l’accent ailleurs. Rien n’est moins facile pourtant que de garder notre boussole orientée vers cet arbre-ci !
Les gens, en grande majorité, connaissent les Semeurs par le biais des veillées d’adoration. Mais le cœur même du charisme du groupe réside dans la rencontre de vos amis dans les gares. Il existe quantité de groupes de prière formidables, de mouvements d’aide sociale très généreux, ou encore de lieux de conférences offrant des enseignements de grande qualité. Mais dans la démarche des Semeurs d’Espérance c’est l’unité des trois qui me paraît extrêmement importante et extrêmement précieuse. Bien plus encore, si, au sein-même de cette unité, il y a bien quelque chose à laquelle il ne faut pas renoncer, c’est l’apostolat dans les gares. Il vous invite à vous recentrer en permanence sur votre mission de témoins de l’Espérance, pas de l’espérance de gagner au loto, de devenir très riche après avoir connu la misère, non…. Mais de l’espérance que ce qui est douloureux au cœur d’une existence peut devenir chemin vers Dieu.
Ce qui nous a attiré, nous, chrétiens, c’est ce qui répugne au monde. Que votre action demeure dans une dimension de gratuité ! Voilà qui est si important et si beau. Que vous vous rendiez présents auprès de vos amis comme les simples témoins de cette présence de Jésus. C’est ainsi me semble-t-il, sans s’imposer, qu’il vous faut continuer, afin de rejoindre en vérité des personnes simples. Parfois l’on se sent d’autant plus inutile qu’on n’apporte rien de concre, mais, vases d’argile, nous portons dans nos intérieurs creux un trésor inouï.
« Celui qui dès le sein maternel m’a appelé ». Vous avez été appelés… sinon vous ne seriez pas là ! Dans l’exercice de cet apostolat, il vous faut demander au Seigneur la grâce d’être fidèle le temps de votre engagement. Cette fidélité à une présence gratuite est à cueillir au cœur de votre appel. Ce qui est repoussé, c’est ce qui vous a attiré, vous, parce que c’est auprès de lui que le chrétien reconnaît ce rayonnement unique : la lumière de la Croix de Jésus.
5- L’incontournable nécessité d’annoncer l’Evangile et de s’identifier aux hommes (Cf. 1 Co 9)
La Parole de Dieu habite St Paul. Son être est pétri par l’Evangile. Il rappelle le prophète Jérémie, qui, à un moment donné, se rebiffe contre Dieu et déclare : je ne l’écouterai plus ! Je ne parlerai plus jamais de la Parole de Dieu ! Et puis, comme dans l’impossibilité de tenir une semblable décision, il se reprend en avouant que la Parole « est en [lui] comme un feu dévorant. »
De même St Paul confesse : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile ! » Quelle fulgurance extraordinaire dans ses écrits !
St Paul a témoigné du désir de rejoindre chaque condition humaine, de se rapprocher le plus possible de chacun, dans sa réalité. Nous retrouvons là la spiritualité de Charles de Foucault, ou des prêtres ouvriers.
Je me suis fais l’esclave de tous pour en sauver à tout prix quelques-uns"
.
Avec St Paul, puissiez-vous vous aussi avoir à cœur ce souci du Salut de ceux que vous rencontrez. A vous de trouver les différentes manières, implicites ou explicites, de leur exprimer votre soif de Vie Eternelle, pour eux aussi.
Cette horizontalité de la relation à nos frères est indissociable de la transcendance de la relation avec Dieu, et dans l’Eglise cette double dimension est à cultiver avec attention, en soignant tout à la fois l’aspect social, fraternel et dans le même temps l’aspect spirituel, liturgique. Rien de moins aisé que de tenir les deux dans le même désir, mais il est indéniable que le Salut ne se fera pas dans une relation d’individu isolé à Dieu solitaire, et sans une amitié, sans un rapprochement les uns des autres.
Horizontalité et verticalité : entre ces deux dimensions, l’Eglise oscille perpétuellement… Actuellement, il me semble qu’Elle témoigne d’un réel souci d’annonce explicite, mais bien peu de celui de rejoindre l’autre, de se rendre proche des plus petits. Peut-être parce que les catholiques se reconnaissent comme une minorité et marquent donc le besoin de réaffirmer leur identité.