Texte de l’homélie de mariage :
Un journaliste malicieux posait la question suivante au pape Benoît XVI : « Combien y a t-il de manière d’aller vers Dieu ? »
Fort de la mauvaise réputation qui avait été faite à ce saint homme, comme étant dur et dogmatique : « Panzer Cardinal », l’homme de presse pensait qu’il allait répondre comme dans Rabbi Jacob : « Dieu est catholique !", et quelle ne fut pas sa surprise lorsque ce fin intellectuel qu’est Benoît XVI, cet universitaire qui allie à la fois intelligence et humilité – alliage si difficile à trouver dans le cœur de chacun – lui répondit la chose suivante :
« Il y a autant de chemins que de personnes.
Il y a un chemin pour chacun, et chacun a son chemin pour aller vers Dieu. »
Cette réflexion du pape Benoît XVI m’a habitée dans la très sérieuse préparation au mariage qu’ont faite Marie et Séverin ; nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, et il est vrai que ce sont vos différences qui m’ont marqué au départ.
Vos différences de parcours personnel, vos différences de parcours professionnel, et, même si vous avez été éduqués dans la Foi catholique, vos différences spirituelles. Vous avez reçu – pour ainsi dire - tous les stample de la foi catholique : le baptême, la communion, la confirmation, mais, vous en mettez pas le curseur au même endroit dans votre vie spirituelle.
Toutes ces différences peuvent éventuellement poser question, mais, je me suis toujours rappelé de cela : « Chacun a son chemin, et il y a un chemin pour chacun ».
Faut-il gommer nos différences ?
En effet, accueillir la différence de l’autre est quelque chose de difficile pour tout un chacun. Moi qui suis religieux et vis en communauté avec des frères que je n’ai pas choisi – et peut-être même surtout pas choisis… (que cela ne sorte pas de ces murs !) – je dois tous les jours accueillir la différence de culture, de milieu, de nationalité, d’âge… j’ai fait un pacte avec ce frère qui vit avec moi de l’accompagner comme il m’accompagne.
Oui, c’est toujours une gageure que d’accueillir la différence, non pas comme une menace, mais comme une condition à la communion.
Lorsque l’on étudie un peu la théologie, au séminaire, par exemple, et que l’on approfondit le mystère de la Trinité, on s’aperçoit qu’entre le Père, le Fils et le Saint Esprit - ces trois personnes divines - il y a bien plus de différence qu’entre n’importe quelle personne humaine, et en même temps, il y a bien plus de communion qu’entre n’importe quelle personne humaine.
Oui, accueillir la différence de l’autre, c’est entrer dans une certaine humilité. Nous avons tous cette tentation de l’orgueil : rendre l’autre à notre image, à notre ressemblance, pour des raisons de principe et d’éducation, de certitudes sur la meilleure manière de faire (n’est-ce pas celle que l’on nous a enseignée ?) : « pourquoi fais-tu autrement que ce que ma maman m’a appris ? »
L’aide précieuse de la Foi
Frères et sœurs, nous sommes toujours invités à un décentrement de nous-mêmes. Le décentrement de soi-même, c’est pas un synonyme de l’amour ?
L’amour, c’est précisément l’accueil de l’autre comme autre que soi, non pas comme une menace, mais comme un chance. Et ce n’est pas si facile.
Il y a peut-être une condition à cet accueil de la différence de l’autre et de son chemin et c’est la raison d’être de notre présence dans cette église : ce regard tourné vers le tout autre, celui qui est autre que nous.
Très certainement, la vie spirituelle, la vie de prière aident beaucoup tout un chacun à se tourner vers le Seigneur et à accueillir l’autre comme différent de soi, à rentrer dans un chemin d’humilité, de douceur, d’émerveillement.
C’est ce que nous rappelle l’Apôtre Paul dans la première lettre qu’il a adressée aux Corinthiens :
« Si je manque d’amour, les plus belles choses que je pourrais faire ne me servent à rien. »
« Si je manque – traduisons – d’humilité, de douceur, de patience, qui sont autant de synonymes, tout ce que je pourrais faire ne me sert à rien.
Oui, frères et sœurs, dans ce texte souvent employé pour les messes de mariage, Saint Paul nous dit quelque chose de très central : L’amour fait confiance. Et c’est là aussi un des signes de l’accueil de l’autre comme différent de soi.
Lui faire confiance
Faire d’abord confiance au Seigneur, puisque la communion demande la transcendance, l’accueil de l’autre avec un grand A – Dieu Lui-même, le Tout Autre – si différent de nous.
Mais aussi la confiance dans l’autre, dans son chemin, dans sa propre volonté, dans son amour pour moi, et cette différence vécue comme une chance.
L’Apôtre Paul nous redit quelque chose de très fort dans cette première lecture :
« L’amour fait confiance, il espère tout, il ne passera jamais. »
Alors, nous pouvons nous tourner vers le Seigneur pour demander cette grâce. Et, si vous êtes là aujourd’hui, devant l’autel du Seigneur, Séverin et Marie, c’est avec votre humanité, votre passé, vos expériences, votre vie professionnelle, spirituelle, familiale. Et vous apportez tout cela au Seigneur et Il le regarde avec bienveillance.
Si vous êtes là, c’est vraiment pour demander cette grâce. Qui dans son cœur ne ressent pas de la dureté ? Loin de la confiance, il y a de la méfiance par rapport à l’autre. Loin de l’accueil de l’autre, ne voulons nous pas être celui ou celle qui détermine l’autre tel qu’il sera, à mon image et ressemblance…
Marie et Séverin, par votre engagement, vous nous aidez : cela nous fait du bien d’être là, à vos côtés, de vous soutenir et de vous voir dans vos chemins respectifs.
Vous nous aidez, car ce qui est vrai pour vous, est vrai pour tout couple, est vrai pour toute réalité humaine, pour toute communauté humaine. On le sait bien, vivre ensemble, que ce soit dans la vie en société, dans l’entreprise, dans le couple ou dans la vie religieuse, en paroisse, vivre ensemble demande toujours un décentrement, une sortie de soi-même, une confiance envers l’autre.
Accueillir la fragilité de l’autre
Ainsi, nous voulons redemander au Seigneur cette grâce de la confiance. Car on sent bien qu’en nous, il y a quelque chose qui s’oppose. Le désir de tout contrôler, le désir de tout maîtriser, que rien ne m’échappe, le risque zéro, c’est en nous… (c’est en moi, en tous les cas !).
Et si, comme religieux, je prie tous les jours dans ma communauté, c’est précisément pour me décentrer de moi-même et accueillir mon frère de communauté tel qu’il est, tout particulièrement dans ses fragilités. C’est bien là que l’on voit la confiance : accueillir l’autre non pas en tant que SuperMan ou SuperWoman, mais parce qu’il est fragile, parce qu’il a aussi des défauts, parce qu’il a aussi cette difficulté dans tel ou tel aspect de son existence.
C’est bien pour cela que nous sommes dans cette chapelle : pour demander cette grâce particulière pour vous deux, et nous le demandons aussi pour chacun d’entre nous, qui sommes ici ; cette grâce particulière d’accueillir la fragilité de l’autre : celle de sa santé, celle de son caractère, et même celle de sa vie professionnelle…
On le sait bien, nos vies ne sont pas de long fleuves tranquilles qui se déroulent sans encombre, loin de là. Et si nous n’avons pas cette présence du Seigneur dans notre cœur, on voit la fragilité comme un obstacle, quelque chose qui s’oppose à l’amour, alors qu’au contraire, un amour mature, un amour fort c’est un amour qui sait révéler à l’autre sa propre fragilité, sa propre vulnérabilité.
Frères et sœurs, chère Marie, cher Séverin, nous nous tournons vers le Seigneur pour demander Sa grâce, cette grâce qu’Il nous donne dans son Eucharistie chaque fois que nous communions. Et c’est pour cela que nous participons à la messe : pour demander qu’Il change notre cœur de pierre en cœur de chair. Nous demandons une grâce particulière pour être ouvert à l’autre.
Pour Marie et Séverin, pour tous les couples présents dans cette assemblée, pour tout un chacun, demandons cette grâce particulière d’être témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,
Amen !