Texte de l’homélie
« Ne prenez pas modèle sur le monde présent. »
Marie et Nicolas, chers amis
A la fin de la très sérieuse préparation au mariage que nous avons parcourue ensemble, j’ai conseillé aux fiancés de choisir un texte qui puisse exprimer quelque chose de leur cheminement, quelque chose de leur désir, de comment ils se projètent. C’est très beau de prendre ce passage de la lettre de Saint Paul apôtre aux Romains qui exhorte de ne pas prendre exemple sur le monde présent.
Quel est le modèle du couple que le monde présent nous offre ?
C’est assez particulier : que ce soit à la radio, à la télévision ou dans les journaux, il semblerait que le couple soit cette alliance spontanée, fusionnelle où tout va bien, et il n’y a rien à redire. Le couple est ainsi dans une forme de performance, un chemin extraordinaire et sans aucun nuage.
Ce modèle qui nous est présenté par nos médias à travers les magasines et les séries télévisées ne reflète pas la réalité et il met sur les couples une pression incroyable. Il est pourtant facile de constater que tout un chacun a ses limites, et que la vie à deux demande un travail sur soi-même.
C’est intéressant que cette phrase de l’apôtre Paul, prononcée il y a des siècles, soit si actuelle :
« Ne prenez pas modèle sur le monde présent, sur l’image du couple telle qu’elle nous est présentée actuellement. »
Ne pas prendre ce modèle, car ce n’est pas encourageant, au contraire, cela fragilise.
Dans votre cheminement, chère Marie, cher Nicolas, je suis témoin combien vous avez expérimenté dans votre couple que chacun doit travailler sur soi-même et que le fait d’aimer n’a rien de spontané. Arrêtons de penser que cela se fait tout seul. Pour commencer, je suis contre l’idée qu’il y ait une personne qui nous soit pré-destinée dans notre vie : « l’homme de ma vie », « la femme de ma vie », je n’y crois pas du tout, parce que cela veut dire que cela se fait sans nous, que l’union serait déjà écrite dans les cieux depuis toujours, dans une version idéale. Ce n’est pas le couple tel que nous le présente le Seigneur, ni Saint Paul :
Transformez-vous !
Nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre : à l’inverse, on se fait l’autre à l’autre, on se modèle l’un à l’autre ; cela n’a rien à voir. Ce travail de tout instant que vous devez faire en couple, on le fait aussi au sein d’une communauté religieuse. Même si l’on vient de familles assez semblables, si l’on vient du même village et de la même rue, on se fait l’un à l’autre, on n’est pas fait l’un pour l’autre.
Aimer n’est pas spontané. Tout comme vous, chaque couple en fait l’expérience. Et il faut ce travail patient sur soi-même dont on ne parle pas assez : l’image éthérée et romantique qui nous est données échapperait à la volonté des époux. Il y a une transformation à opérer.
Et j’en ai été le témoin de cette transformation progressive du caractère de chacun des fiancés qui s’est opérée avec la grâce de Dieu. Ce que vous êtes et que vous apportez dans le couple a demandé des modifications et un travail sur soi.
« Transformez-vous en renouvelant votre manière de penser. »
Ce petit texte de Saint Paul apôtre aux Romains est extraordinaire. Oui, il y a quelque chose à renouveler quand on est en couple. C’est vrai aussi dans une relation d’amitié, et dans la vie communautaire, car si l’on est tenté de penser que l’autre est « comme moi », on sait bien qu’il n’y a pas d’amour entre clones. L’amour naît de la séduction, de l’attirance de ce que l’autre a de différent de moi. Comme l’apôtre le dit dans un autre passage :
« Nous sommes plusieurs membres et nous n’avons pas tous la même fonction, et pourtant, nous sommes un seul corps.
Les dons sont différents, et pourtant, c’est un même esprit qui nous habite. »
Marie et Nicolas, je pense que nous pouvons nous réjouir que vous l’ayez réalisé. Car, à travers cette dimension-là, vous avez ainsi expérimenté quelque chose de Dieu : Dieu est autre que moi. L’altérité est le fondement de tout couple ; et en même temps, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Ce n’est pas si facile : une autre manière de penser, une autre manière de faire les choses, un autre rapport au temps. C’est même redoutable, et c’est pour cela que vous venez devant l’autel du Seigneur : c’est pour demander les grâce. Et c’est ce que nous faisons à chaque communion : nous demandons la grâce d’« aimer l’autre comme autre que moi ».
Cet acte est divin, et non pas simplement humain. Il faut un sursaut de grâce, un surcroît d’âme pour y parvenir dans un esprit de communion. Quand on y regarde de plus près, la Trinité est bien à la fois la différence des personnes – Père, Fils et Esprit-Saint - dans la communion en un seul Dieu : altérité et communion. Ne pas voir la différence comme une menace n’est pas gagné d’avance. C’est une occasion de rentrer en lien avec l’autre qui appelle une transcendance, quelque chose qui nous dépasse, qui est plus grand que nous et qui va plus loin que nous.
Nous le savons, le Chrétien est celui qui porte en lui-même plus grand que lui-même. Et c’est pour cela qu’il est capable d’entrer en communion avec tous ceux qui sont éloignés.
Dans la vie matrimoniale, à travers la différence homme/femme, différence de caractère, de rapport au temps, tout cela nous habite. Et il faudra, comme tout couple, continuer à le faire, comme des galets qui se polissent l’un contre l’autre, par le contact. C’est la vérité de la vie de couple, contrairement à ce que nous propose le monde présent avec cette évidence et ce romantisme extatique qui mettent sur le couple une pression inutile. La réalité est que nous sommes des hommes et des femmes avec un chemin à faire. Et au début de ce chemin, il faut opérer une conversion intérieure.
Dans la lettre de Saint Paul apôtre qui fait écho à cette belle page d’Évangile selon Saint Matthieu, on voit bien :
« Si vous ne devenez comme des enfants, vous n’y entrerez pas. »
C’est aussi une question d’humilité : aimer n’est pas spontané. Cela demande un acte d’humilité car accueillir l’autre demande de se faire plus petit que l’autre, d’être dans une attitude de simplicité. Et c’est ce que vous êtes venus demander aujourd’hui au Seigneur dans ce sacrement.
Faites confiance, c’est un chemin d’humilité
On ne vient pas demander le mariage à l’Église car on se sent supérieur aux autres ; c’est par parce que l’on prend conscience que le mariage, c’est l’union de deux pauvres qui viennent supplier devant l’autel du Seigneur la grâce de la communion.
Qu’est-ce qu’une communauté religieuse : des hommes et des femmes pauvres qui se mettent à la suite du Seigneur et supplient pour recevoir un surcroît de grâce, un surcroît d’âme.
Et c’est bien ce que l’on célèbre aujourd’hui . Et c’est tellement encourageant, ça nous fait tellement de bien, Marie et Nicolas, parce que vous nous rappelez la question de la confiance qui est centrale dans une vie de couple, dans une vie de Chrétien.
Et l’on voit bien combien c’est attaqué. Car, si l’autre est différent, est-on bien certain qu’il n’est pas une menace pour moi ? et cette confiance, on voit bien que dans les couples, dans les familles, dans les paroisses, c’est toujours à reposer. Ainsi, à travers votre cheminement, à travers ombre et lumière, vous avez fait l’expérience de la confiance en Dieu.
Ce n’est pas parce qu’il y a des tempêtes que ce n’est pas béni de Dieu. Ce n’est pas parce qu’il y a un travail à faire sur soi que Dieu n’est pas présent.
Oui, c’est une belle célébration que celle-ci. C’est un beau moment qui nous est donné, car cela nous donne à chacun de regarder à l’intérieur et de se demander où nous en sommes de ce renouvellement, comme nous dit Saint Paul, où en sommes-nous de cet esprit d’enfance, de la simplicité à la manière de Thérèse de Lisieux.
L’enfant est celui qui se laisse guider, qui, avec confiance, prend la main de son père et qui sait qu’avec lui, il ne craint rien. C’est ce que vous voulez expérimenter aujourd’hui, c’est ce que vous voulez vivre dans la suite de votre vie matrimoniale, Marie et Nicolas.
C’est ce que nous sommes aussi invités à vivre : cette confiance dans le Seigneur, cette confiance l’un en l’autre dans le couple, qui nous emmène plus loin que nos peur, nos raisonnements, notre envie de tout contrôler, d’avoir une emprise ; car si l’on a pas de confiance, c’est le contrôle et l’emprise qui sont au rendez-vous.
Ainsi, nous allons demander cette grâce pour vous dans la prière, chers fiancés. Mais nous allons aussi prier pour nous, pour demander que le Seigneur nous renouvelle intérieurement. _ J’ai vraiment la certitude qu’à ce moment de l’échange des consentements, des grâces nous sont données à nous tous qui sont ici présents.
Vous tous ici rassemblés, demandez des grâces pour vous-même, pour votre couple (si vous êtes en couple), pour votre famille, pour l’Eglise : demandez un cœur nouveau et un esprit nouveau, pour être les témoins d’un Dieu qui nous appelle à son admirable lumière
Amen !