Texte de l’Enseignement
Le Père Stéphane-Marie aborde le thème Marie refuge des pêcheurs et la grâce faite au père Lamy à la lumière de la première lecture de ce dimanche : Livre d’Isaïe 62,1-5.
" Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas, pour Sion, je ne prendrai pas de repos, avant que sa justice ne se lève comme l’aurore et que son salut ne flamboie comme une torche.
Les nations verront ta justice, tous les rois verront ta gloire. On t’appellera d’un nom nouveau, donné par le Seigneur lui-même.
Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du Seigneur, un diadème royal dans la main de ton Dieu.
On ne t’appellera plus : « la délaissée », on n’appellera plus ta contrée : « terre déserte », mais on te nommera : « ma préférée », on nommera ta contrée : « mon épouse », car le Seigneur met en toi sa préférence et ta contrée aura un époux.
Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t’a construite t’épousera. Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu." Isaïe 62, 1-5
Pendant l’Exil, le peuple d’Israël au bord du découragement
Nul ne t’appellera plus la Délaissée, l’Abandonnée. Et nul n’appellera plus ta terre Dévastation.
Derrière ce texte, il y a la situation du peuple d’Israël qui a été anéanti en 581 avant Jésus-Christ. Il a été envoyé en exil. Ce qui faisait le pilier du peuple : la royauté, le Temple et la terre, tout a été enlevé au peuple. Donc les fondements, la religion, la politique, tout,…
Et 50 ans près, 538, quelques colonnes d’exilés reviennent, mais -et là est la tranche où se situe le texte- jusqu’en 521, on n’a pas touché au Temple, à la reconstruction du Temple.
Et il y a un grand découragement, un grand doute, qui nait dans le cœur de ceux qui sont revenus, qui rencontrent beaucoup d’obstacles dans le quotidien, pour s’installer à nouveau. Il y a des gens qui se sont installés à leur place, et qui ne les voient par revenir d’un bon œil, et qui font des chicanes politiques, administratives, etc. La situation est compliquée. Et en même temps, le souffle qui devait repartir du peuple n’arrive pas.
On peut faire une lecture transversale du livre d’Isaïe qui est intéressante, qui reprend l’image de la femme en couche. « Mon peuple est comme une femme qui va enfanter » ; ça y est : elle accouche, et il ne sort que du vent. Et un peu plus loin, « Mon peuple est comme une femme qui accouche et il ne sort que de la paille. Encore plus loin : »Mon peuple est comme une femme qui accouche et il n’y a pas de force pour que l’enfant puisse sortir. C’est seulement à la fin, au chapitre 66 où elle est comme une femme qui accouche et alors, avant même qu’elle n’ait les douleurs, c’est tout un peuple qui sort.
On appelle le prophète Isaïe le cinquième évangéliste parce qu’il a prédit la naissance de Jésus avec la prophétie d’Emmanuel, la Passion avec le serviteur souffrant, mais aussi avec ce sens qui est le cœur de l’Évangile de Saint Jean : qu’est-ce que la vie chrétienne ? C’est naître de nouveau.
Un parallèle avec la vie du Père Lamy : cette vie est-elle vraiment possible ?
Je reprends ce texte d’Isaïe pour le Père Lamy, parce que quand on réfléchi à la grâce que le Père Lamy a reçue à Gray, il se trouve un peu dans la même situation. Le Père Lamy, a eu beaucoup de mal dans son enfance, au fond de son cœur aussi, à accueillir la vie, à vivre vraiment. Le Père Lamy a eu bien des difficultés. Il rentre dans une congrégation en 1879 et, en 1880, l’État interdit à cette congrégation -comme à toutes les congrégations enseignantes- de faire son travail. Et puis au bout de 12-13 ans, le Père Lamy, qui se donnait tout entier comme éducateur auprès des jeunes dans à Troie, se retrouve épuisé, il est malade, l’odeur des enfants l’insupporte. Il est obligé de partir, on l’envoie à la campagne, dans la Creuse. La mission pour laquelle il a été envoyé là-bas ne fonctionne pas. Il rentre à Troie et est envoyé à Saint-Ouen, où il s’occupe magnifiquement d’enfants pendant huit années. Puis c’est la séparation de l’Église et de l’État, la congrégation est dispersée.
L’Évêché donne alors au Père Lamy une paroisse à la Courneuve, petit village. Il reprend une situation épouvantable, la paroisse ayant été laissée en friche par le précédent curé malade. C’est difficile pour lui. Est-ce possible d’être un bon pasteur ? Il n’est pas aveugle devant les difficultés.
Est-ce vraiment possible de vivre cette vie chrétienne ? Est-ce vraiment possible d’être heureux ? Est-ce vraiment possible d’avancer, de ne pas toujours ramer ? Le Père Lamy en est là.
Et le peuple d’Israël en est là. L’enjeu est le même : Est-ce vraiment possible ? Les membres du peuple d’Israël qui reviennent de Babylone en sont là. Et on leur dit qu’ils sont ainsi, abandonnés, délaissés… La réalité leur dit qu’ils sont plutôt dévastés. Comme un peu aujourd’hui si on ose dire qu’on est chrétien on nous répond que c’est plutôt dépassé…
Jésus vient nous rejoindre là où nous en sommes : une renaissance dans l’amour du Seigneur
Jésus, comme il le fit pour la Samaritaine, nous rejoint là où nous en sommes, dans nos préoccupations, dans nos lourdeurs. Mais il donne quelque chose de plus, Jésus parle à un autre niveau, au niveau de son heure, et ici, dans le texte d’Isaïe, nous avons la même chose. Les rescapés rencontrent de grandes difficultés. Mais le Seigneur voit cette histoire d’Amour qu’il est venu annoncer, il donne des noms nouveaux comme peuvent le faire des amoureux : Tu seras une splendeur dans les mains de ton Dieu, une couronne, un resplendissement. Mon désir est en elle. Elle est comme l’épousée. Et c’est cette renaissance dans l’amour que le Seigneur vient annoncer.
Et dans la vie du Père Lamy, la rencontre du Seigneur à travers cette grâce mariale qu’il reçoit, c’est quelque chose qui vient le renouveler, lui faire redécouvrir qu’il est unique, qu’il peut avoir une fécondité devant les difficultés du monde qui l’anéantissent, la guerre qui arrive, la lutte au sein de l’Eglise avec l’arrivée du modernisme, des idées nouvelles… Comment tenir au milieu de ces grands chamboulements ? Le Père Lamy va redécouvrir que dans ce monde, il peut porter une fécondité.
Et c’est là que la grâce mariale vient le rejoindre. Et il est important que nous vivions de cette grâce de Marie pour nous laisser rejoindre par le Seigneur, y faire attention dans notre quotidien, et apprendre à vivre avec la Seigneur cette histoire d’amour.
Vous savez, le Seigneur, ce n’est pas simplement des valeurs qu’il faut incarner, qu’il faut vivre, c’est cette rencontre avec le Seigneur. D’où l’importance de la prière personnelle qui est le lieu de notre relation avec Lui. Cela va nous permettre de vivre cet amour affectif, de demeurer dans le Seigneur.
Est-ce vraiment possible que le Seigneur soit au milieu de nous, qu’il vienne nous visiter ? Avec tous ces malheurs qui nous arrivent…
On a pu remarquer que les premiers commentaires faits après le tremblement de terre à Haïti, les gens ont dit « c’est Dieu qui châtie, c’est Dieu qui n’a pas pitié, qui ne s’occupe pas du pauvre ! » Alors que Dieu a été évacué de nos vies !! Mais là, Il revient tout d’un coup……….
La question est la même dans nos vies : est-ce possible la fidélité, est-ce possible d’accompagner vraiment, d’aimer vraiment ?
Avec Marie, passer des ténèbres à la lumière…
L’histoire de nos vies avec ce regard de Marie tel qu’elle le pose sur le Père Lamy, va être de passer du néant à l’être, d’apprendre, d’émerger, de laisser jaillir dans nos ténèbres la lumière.
Et nous, nous pensons souvent qu’être avec le Seigneur signifie : tout va bien ! Tout roule ! « - Vous êtes avec le Seigneur ? Tout devrait bien marcher ! » Non. Regardez la vie des saints ! Ils descendent dans la profondeur de leurs cœurs. Le Seigneur ne nous fait pas changer de vie, Il ne nous fait pas changer de personnalité, Il ne fait pas changer notre histoire, Il va nous apprendre à le laisser y demeurer, y apporter la lumière, il va nous transfigurer.
C’est la Grâce de la petite Thérèse, de Saint François, de Sainte Catherine de Sienne. La petite Thérèse a des désirs immenses, infinis, alors elle voudrait avoir toutes les vocations (prêtre, martyre, zouave pontifical,…)
Et puis il y a le quotidien, ce qu’il y a dans le fond de son cœur et qui reviendra tout au long de sa vie, et qui va l’amener vers les 10 ans au bord d’une maladie psychique, ce sentiment d’abandon qui s’enracine dans l’histoire de sa famille, dans l’histoire de son accueil après deux frères qui sont morts, elle est abandonnée, est confiée à une nourrice qu’elle n’arrive pas à accepter parce qu’elle vit déjà cet abandon, elle rentre chez elle. Et tout cela va tourner dans sa vie, au plus profond d’elle, comme cette impossibilité de vivre.
Et puis elle va découvrir que aimer Dieu, sa richesse, sa sainteté, ce ne sont pas ces grands désirs, ce ne sont pas les grandes réalisations qu’on peut faire. Et cela nous ramène au cœur de la vision du Père Lamy : « Je me réjouis d’être petit, et d’apprendre la confiance totale ». Ce n’est pas rêver ce que nous sommes, non pas nous sculpter d’une autre manière : cela finit toujours par craquer un jour ou l’autre.
Nous devons accueillir dans notre réalité la lumière du Seigneur et accepter de faire cette confiance totale.
… pour accueillir la lumière du Seigneur…
Alors c’est vrai, quelques fois, nous risquons de nous taper la tête contre les murs, nous risquons de nous décourager, d’être dans le doute. Pourquoi ? Parce qu’on est un peu comme une larve qui devrait devenir papillon et au lieu de devenir papillon, nous sommes en train de faire du fil pour nous enfermer dans un cocon. Nous voyons un peu notre vie comme cela : on se demande où est le papillon !! Et le piège va être de se laisser enfermer par les douleurs du temps présent. Et il faut aller chercher ce regard du Père, et l’Esprit de louange, pour revenir à cette rencontre avec le Père.
Et le Père Lamy va toujours revenir à cette grâce. Il ne parlera plus de Marie, il parlera de Notre Dame des Bois. Cette grâce revient, c’est Marie qui l’a fait exister, qui le rejoint là où il est, qui lui montre combien le Seigneur a besoin de lui, elle le remet dans cette urgence du Royaume.
…et se laisser transformer
Ce regard de miséricorde du Seigneur, ce n’est pas seulement un don que Dieu nous fait. C’est important pour notre vie chrétienne. Nous risquons toujours dans notre relation avec le Seigneur d’espérer que le Seigneur nous fasse une grâce et alors nous irons mieux. Et alors nous pourrons travailler pour le Seigneur. Or le Seigneur fait de nous des fils. Dans ce passage d’Isaïe, il fait une épouse qui va participer à sa fécondité, qui va devenir sa réalisation. Le Seigneur ne nous voit pas simplement comme des récipients, mais comme des acteurs de son Royaume. Nous allons devenir son royaume, son amour, son corps. Et il compte sur nous pour cela. C’est ce que veut dire être fils de Dieu : être héritier, être porteurs nous-mêmes de cet héritage, garant de cet héritage, dispensateurs, gérants de cet héritage.
On voit ici dans l’Ecriture des gens comme Moïse, comme Marie qui se laissent transformer pour devenir eux-mêmes miséricorde.
Moïse qui se laisse former dans le désert - il résiste pendant trois chapitres entiers !! Il descend au fond de son cœur et est appelé à devenir lui-même porteur de ce peuple qu’il guide et qui est infidèle, à faire chair en lui ce regard de miséricorde de Dieu. Et c’est cela qui nous est demandé.
Marie elle aussi se laisse modeler. Jean-Paul II avait insisté sur cela : depuis la présentation de Jésus au Temple jusqu’à la Croix, Marie s’est laissée transformer par ses paroles, par les séparations de Jésus, elle s’est laissée former à la totalité de la mission de Jésus pour pouvoir être debout au pied de la Croix et pouvoir devenir mère des hommes et mère de l’Église, pleinement, exercer cette maternité, pour rentrer dans ce plan d’amour du Seigneur comme porteuse de grâce et non pas subir ce qui arrive. Elle est pleinement active par son cœur, participante.
Et c’est à cela que le Seigneur nous appelle.
Par cette apparition, le Père Lamy est invité à donner naissance au pèlerinage à Notre-Dame des Bois, à créer la congrégation, en réponse aux malheurs du monde, en réponse aux difficultés de l’Église, à sa place comme il aime nous le faire dire dans la formule d’entrée au noviciat : « Je vais servir à ma place dans l’Église ».
Et comment y participer ? Et bien par le sacerdoce. Par le sacerdoce du peuple de Dieu qui est d’apprendre à s’ouvrir, à s’offrir, apprendre notre humanité, à aller recueillir tout ce qui est en nous pour l’offrir à la lumière du Seigneur. Et ici, nous avons cette source et ce sommet qui est le mystère de l’Eucharistie auquel nous sommes appelés à participer (non pas simplement assister) d’une manière plénière pour aller recueillir tout ce que nous sommes et nous offrir au Seigneur, pour ouvrir tout notre cœur au Seigneur.
Vous savez bien que quand Jésus s’offre sur la Croix, c’est là qu’Il apprend à être vainqueur, c’est là que commence la victoire. Chez le Père Lamy, revient beaucoup cet amour de la Croix.
Nous devons ouvrir au Seigneur ce que nous vivons, notre souffrance. Ce n’est pas une zone interdite pour la Présence de Dieu. Il peut aussi rentrer là. Ce n’est pas simple, mais c’est le travail auquel nous sommes appelés, pour lequel nous nous épaulons. Et nous pouvons remarquer que quand nous sommes à côté de quelqu’un qui est dans la détresse, nous trouvons que nous allons mieux que lui, et nous restons auprès de lui, comme Marie qui accompagne Jésus. Et c’est là la délicatesse de cette grâce mariale où Jésus nous donne de comprendre qu’il se passe quelque chose. C’est ça le mystère de la vocation. Essayer d’y proportionner notre cœur pour aider celui qui vit, de trouver les moyens, de trouver la force. Et cela, Il le fera à travers notre cœur, à travers la délicatesse, à sa place. Il y a une place pour le Seigneur et c’est à nous de la préparer.
La grâce mariale reçue par la Père Lamy : le courage d’avancer
Prenons cette image : dans Isaïe, 62 : il reprend cette idée d’amour extraordinaire de Dieu pour l’Église, cet amour vrai qui donne la liberté, qui donne la croissance par le don de soi à l’autre. Et la bien-aimée est comparée à une gazelle, la gazelle du désert qui est en fait un bouquetin. Et si on regarde de l’extérieur, on voit le bouquetin qui saute de rochers en rochers et on se dit qu’il va se casser le cou !! Mais Dieu a mis dans son corps un instinct sûr pour lui permettre de passer de rochers en rochers.
Et la grâce mariale que le Père Lamy reçoit, c’est comme une mise au cœur de cet instinct qui va permettre d’avancer de difficulté en difficulté, de drame de la vie en événement de la vie, où le Seigneur va accompagner, tout comme Marie a suivi l’Agneau partout où il est allé jusque dans sa descente dans la vulnérabilité, pour toujours nous apprendre à rester en contact avec Celui qui est le plus intime à nous-mêmes.
Et c’est cela qui est extraordinaire. C’est que chez le Père Lamy qui était un bon prêtre, un prêtre dévoué, il y a quelque chose de différent maintenant : c’est que son cœur va rester en communication constante avec le Seigneur. Et il peut retrouver par cette grâce mariale Celui qui est plus intime à son cœur et le laisser agir sur le « tout » de sa vie. La vie mariale d’oraison, de relation personnelle, d’ouverture à la lumière de Dieu, elle vient nous donner ce sens que Dieu peut nous rejoindre, il est vraiment l’Emmanuel, Dieu avec nous, il se fait Sauveur, il nous permet de nous relever. Non pas de manière magique, mais en donnant cette présence et cette force.
Par Marie, découvrir que Dieu est l’Emmanuel, Lui faire sa place dans notre cœur
« Pour l’amour de Sion, je ne me tairai pas, je ne prendrai pas de repos. » Et c’est ne pas prendre de repos jusqu’à ce que nous ayons laissé rentrer le Seigneur dans notre vie.
Et le Père Lamy le fait pour lui-même, c’est sa mission pour tout homme qu’il rencontre : apprendre à regarder chacun avec ce regard d’amour du Seigneur, au delà de l’enveloppe extérieure, des défauts et des qualités, apprendre à voir l’invisible, à voir ce que Dieu voit dans son plan d’amour. « Ainsi, tu seras la joie de ton Dieu. »
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Tout va parler du Ciel
Et c’est ainsi que cette grâce mariale nous amène à la joie. C’est ainsi que le Père Lamy nous amène à travers cette grâce mariale à la joie, à une fécondité nouvelle. Le Père Lamy va continuer sa vie avec ses difficultés, mais tout est changé, tout va devenir une source de fécondité, tout va parler du Ciel.
Vivre dans cette dépendance du Ciel, être branché sur l’heure de Jésus, découvrir la présence de Dieu dans chacune de ses Créatures, c’est cela Marie Refuge des pêcheurs, Espérance pour les pêcheurs qui peuvent alors se voir avec une autre lumière qu’est ce regard intérieur du Seigneur.