Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs, accueillir la grâce de la résurrection suppose de faire tout un chemin. C’est en quelque sorte le chemin qu’ont parcouru les disciples d’Emmaüs dont le récit précède immédiatement le passage d’évangile de ce jour.
Ces étapes que je vais présenter ne sont pas exactement chronologiques. Elles s’interpénètrent ; elles se complètent les unes les autres.
- La première étape consiste à accepter le fait que Jésus soit ressuscité. La résurrection est quelque chose de tellement inattendu pour les disciples qu’il leur a fallu du temps pour se faire à l’idée. Jésus en avait parlé, mais cela ne correspondait à rien pour eux.
- La deuxième étape consiste à intégrer l’épisode de la passion. Nous le voyons de manière évidente avec les disciples d’Emmaüs : tant qu’ils sont bloqués dans le passé : « cela n’aurait pas dû être ainsi », il ne peuvent pas reconnaître Jésus qui pourtant est devant leur yeux.
- La troisième étape consiste à reconnaître Jésus. Le plus souvent, les disciples Le reconnaissent à sa manière d’agir : le nom qu’Il prononce, la fraction du pain, l’ordre de jeter le filet…
Accepter le fait de la résurrection
Le tombeau vide
Le premier pas est la constatation du tombeau vide. C’est très concret et cela a quelque chose de brutal auquel on ne peut se soustraire, qu’on ne peut contourner : le corps n’est plus dans le tombeau. L’explication la plus spontanée est que quelqu’un soit venu enlever le corps (cf. Jn 20,13). C’est l’explication que les pharisiens ont demandé aux gardes de colporter (Mt 28,11-15). Bien sûr, ce n’est pas une preuve directe de la résurrection mais cela a constitué pour les disciples un signe essentiel (CEC 640).
Qu’est-ce que je fais de cette nouvelle qui me déconcerte ?
Le témoignage de ceux qui ont vu Jésus
Un deuxième pas consiste à accueillir les apparitions de Jésus (cf. CEC 641ss). Les apparitions sont relativement nombreuses : Marie-Madeleine et les saintes femmes (cf. Mt 28,9-10 ; Jn 20,11-18)…
L’Évangile nous dit que les disciples n’ont pas cru les saintes femmes de retour du tombeau et « leurs propos leur ont semblé du radotage » (Lc 24, 11 ; cf. Mc 16, 11.13). Dans l’évangile de Saint Marc en particulier, Jésus « leur reproche leur incrédulité et leur obstination à ne pas ajouter foi à ceux qui l’avaient vu ressuscité » (Mc 16,14). Plus la nouvelle est inattendue, invraisemblable, plus il faut du temps pour la « digérer ».
C’est normal, c’est profondément humain.
Le réalisme de ces apparitions
Dans l’évangile de ce jour, Jésus les invite à voir ses mains et ses pieds, à Le toucher. Il mange même une part de poisson grillé pour montrer qu’Il n’est pas un ectoplasme. Clairement, cela ne se passe pas dans leur imagination ; il y a une vraie réalité dans ces apparitions.
Pour nous aussi, il s’agit d’accueillir ce témoignage. Cela requiert une certaine humilité d’accueillir la parole de quelqu’un qu’on peut imaginer moins fiable que nous-mêmes.
Intégrer l’épisode de la passion
Les disciples d’Emmaüs - le passage d’Évangile qui précède immédiatement celui que nous venons d’entendre - n’étaient pas en mesure de reconnaître Jésus ressuscité, tant qu’ils étaient bloqués sur le scandale de la Croix. Ce qui leur manquait, c’est d’intégrer « les souffrances du Messie ».
C’est pourquoi Jésus, lorsqu’il rejoint des disciples d’Emmaüs sur leur chemin, ne leur dit pas d’entrée de jeu : « arrêtez de vous lamenter ; c’est moi, je suis ressuscité. » En effet, il faut une ouverture pour pouvoir croire. Et Jésus commence par enlever les obstacles que ces deux hommes ont pour croire. Leur obstacle principal, c’est : « pourquoi la souffrance et la Croix de Jésus ? »
Ensuite, ils seront en mesure de s’ouvrir à la bonne nouvelle de la résurrection.
Comme Saint Pierre, nous refusons la Croix :
« Quand Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter, Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : ’Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas.’ » (Mt 16, 21-22)
Or la résurrection est incompréhensible sans la Croix. La souffrance et la Croix ne sont pas un accident de parcours qui aurait échappé à la volonté de Dieu. Elles font vraiment partie du dessein de Dieu :
« Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26)
C’est en relisant notamment le quatrième chant du Serviteur dans le prophète Isaïe qu’ils comprennent que la passion et la croix font partie du dessein de Dieu. Le « selon les Écritures » montre la cohérence de tout cela. Ils ont alors la « vision » du dessein bienveillant de Dieu. Pour l’homme, cela demeurera toujours une mystérieuse nécessité.
Cela revient dans la première lecture de ce jour :
« Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. »
Mais aussi dans l’évangile :
« Il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : ’Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour’. »
La résurrection n’efface pas la dureté de la passion et de la croix. D’ailleurs Jésus prend soin de montrer Ses mains et Ses pieds transpercés à ses apôtres : c’était important pour eux et pour nous. De la même manière, le pardon n’efface pas l’offense.
C’est vrai encore pour nous aujourd’hui. Nous aimerions que la foi en la résurrection nous exonère de la souffrance. La foi ne nous fait pas échapper à la souffrance mais elle nous donne de l’intégrer dans le dessein de Dieu.
Ce qui est vrai de la résurrection de Jésus est vrai aussi de notre résurrection spirituelle : tant que nous n’avons pas consenti à certains deuils, nous ne pouvons pas renaître ; tant que nous n’avons pas baissé les armes en reconnaissant humblement nos péchés, le pardon de Dieu ne peut pas nous régénérer.
Reconnaître Jésus
Il ne suffit pas d’accepter l’idée que Jésus soit ressuscité ou même d’accepter que la croix fasse partie du dessein de Dieu. Encore faut-il reconnaître Jésus quand Il apparaît. C’est une difficulté pour tous. Chaque fois, les disciples sont déroutés par la manière dont Jésus apparaît. Ils ne Le reconnaissent pas. Il suffit de penser à Marie-Madeleine et à tous les autres. Dans l’Évangile de ce jour, cela commence par la stupeur car ils croient voir un fantôme.
Pourquoi ? Parce que la résurrection de Jésus n’a pas grand-chose à voir avec celle de Lazare. Celle de Lazare est un retour en arrière ; celle de Jésus est un bon en avant. Jésus entre dans une nouvelle manière d’être avec un corps glorieux. Et cela est mystérieux pour nous.
On voit bien cet « inconfort » des disciples dans l’Évangile :
« Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. » (Lc 24, 41)
C’est un peu la même chose dans l’évangile de saint Jean :
« Aucun des disciples n’osait lui demander : ’Qui es-tu ?’ Ils savaient que c’était le Seigneur. » (Jn 21, 12)
On les sent un peu perplexes. En quelque sorte, ils considèrent que cela est trop beau pour être vrai.
Il y a une vraie présence de Jésus ressuscité au milieu d’eux. “Comme ils en parlaient encore, lui-même était là au milieu d’eux”. Jésus ne vient pas du dehors, Il apparaît subitement. Il n’entre pas : Il était déjà présent.
À quoi les disciples Le reconnaissent-ils ? Non pas à Son apparence physique mais à Sa manière d’agir. Quand Jésus ressuscité prononce son nom, Marie-Madeleine sait que c’est Lui ; quand Il rompt le pain, les disciples d’Emmaüs Le reconnaissent. Dans l’évangile de ce jour, ce qui les fait sortir de leur perplexité, c’est lorsque Jésus prit un morceau de poisson grillé « et le mangea devant eux ». Dans l’évangile de Jean, les apôtres se rendent compte que c’est Jésus quand leurs filets se remplissent alors qu’ils ont jeté le filet sur son ordre.
C’est précieux aussi pour nous. Jésus est déjà présent au milieu de nous comme Il nous l’a promis. Nous Le reconnaissons également à Sa manière d’agir dans notre vie.
Conclusion :
À ces trois étapes, il faudrait en ajouter une quatrième : proclamer « la conversion en son nom pour le pardon des péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem ». Comme le disait Jean-Paul II, la foi se renforce en la donnant. C’est exactement ce que fait saint Pierre à partir de la Pentecôte et que nous voyons dans la première lecture. C’est à partir de la Pentecôte que la vie de Saint Pierre et des autres apôtres a vraiment changé.
Cette bonne nouvelle, nous ne sommes pas appelés à la garder précieusement comme une pièce de musée. Nous sommes appelés à la communiquer. C’est la proclamation du kérygme.
« À vous d’en être les témoins. »
Que la Vierge Marie, bien présente au Cénacle, nous aide à accueillir jusqu’au bout la bonne nouvelle de Pâques !
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Actes des Apôtres 3,13-15.17-19.
- Psaume 4,2.4.7.9.
- Première lettre de saint Jean 2,1-5a.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 24,35-48 :
En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Comme ils en parlaient encore, lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit.
Jésus leur dit :
— « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. »
Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement.
Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux.
Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »
Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.
Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins. »