Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs, avouons-le, le métier de berger ne nous évoque plus grand chose aujourd’hui. Les moutons que nous sont autour d’entreprises pour tondre leur gazon dans l’esprit de l’éco-pâturage : ils sont en autonomie complète, dans un enclos, et n’ont pas de berger.
C’est dans la montagne que nous trouvons les vrais bergers. Nous pouvons alors observer leur rôle . ils veillent à ce que les brebis trouvent les bons pâturages qui leur permettront de vivre, avec une nourriture le moins toxique possible.
Il y a quelques années, j’avais été marqué par cette histoire d’un troupeau de vaches qui s’étaient échappé et avaient brouté la luzerne ou le trèfle, et il avait fallu leur transpercer l’estomac au bon endroit pour les soigner. Ces vaches auraient eu besoin d’un bouvier, car le bétail se jette aveuglément sur ce qui doit pouvoir rassasier sa faim. Le berger et le bouvier sont donc l’intermédiaire entre l’herbe et la bête.
Cela peut être fort riche d’enseignement pour nous. Nous avons bien souvent un rapport consumériste avec le monde, parfois même compulsif : il suffit d’un numéro de carte bancaire et d’un clic pour que notre rêve devienne réalité… Il ne s’agit pas forcément de produits nocifs, mais lorsque le monde devient le pur produit de notre désir, quand il perd son altérité, quand il ne nous résiste plus, alors, il devient un poison.
Voilà toute la place du berger : être là entre nous et le monde. Mais comment va t-il faire pour nous faire échapper à cette malédiction d’être complètement identifiés au monde qui nous entoure, Il le fait par Sa voix. Le monde touche nos sens, mais la voix du berger rejoint notre cœur. Elle m’arrache à mon instinct.
Dans la Bible, quand Dieu veut faire échapper Son peuple à la dureté de cœur, Il lui demande d’entendre Sa voix, comme le dit le psaume :
« N’endurcissez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur… »
Voici cette voix qui me fait échapper à mes déterminismes, qui me rejoint dans ce qu’il y a de plus personnel, qui fait émerger cette personne en moi.
Et c’est sans doutes ce qui nous rejoints dans le Christ : Sa voix. Comment l’entendons-nous ? nous ne sommes pas comme les apôtres à l’entendre physiquement… C’est mon expérience et c’est sans doutes aussi la vôtre : il est bon de relire la Parole, il est bon de connaître la doctrine, mais ce n’est pas encore la voix du Seigneur. Elle se fait entendre quand nous fermons le livre, quand nous méditons, et quand une voix – au delà même des paroles – rejoint notre cœur dans une soif profonde. Il faut une vraie vie d’intériorité pour entendre cette voix. C’est le moment aujourd’hui, alors que nous avons sans doutes moins d’activités à l’extérieur – pour y consacrer du temps. Nous ne pourrons pas sans cette vie intérieure, sans ces ressources intérieures profondes et réelles.
Cette voix, elle rend possible une présence divine.
Voici une petite anecdote du Père Lamy que vous connaissez peut-être. Un jour, les amis de Jacques Maritain lui demandent de dire quelque mots sur la Saint Vierge ; ils s’attendaient sans doutes à un grand discours théologique, et le Père Lamy simplement de répondre : « Elle est bonne. Elle est très bonne. »
Reconnaissons que cette parole n’est ni riche ni originale, mais voici que l’auditoire est ému aux larmes : la voix du Père Lamy a comme manifesté son cœur, et par là même manifesté le cœur de la Vierge Marie auquel il était si uni…
Nous pouvons nous demander pourquoi cette voix du Bon Pasteur nous rejoint tellement, si profondément… C’est parce qu’elle vient d’au-delà de mort. Celui qui a passé par les ravins de la mort dont parle le psaume, ce n’est pas nous, c’est le Christ qui les a traversés pour nous. Vous Rappelez-vous de la Résurrection : Marie Madeleine est là, elle cherche son Seigneur. Elle voit quelqu’un, elle l’interroge :
« Dis-moi où tu as mis le corps de mon Seigneur… »
Mais elle ne le reconnaît pas.
Quand Il prononce son nom, quand Il parle, quand Il fait entendre Sa voix, alors oui, elle Le reconnaît. Elle reconnaît que c’est cette voix qui a traversé les flots de la mort et les abîmes de la souffrance pour pouvoir la rejoindre et la sauver, parce que ces blessures – comme dit Pierre dans sa deuxième lecture - ont un pouvoir de guérison :
« Par ses blessures, nous sommes guéris. »
Alors, pour reconnaître cette voix, il faut accepter d’être appelé par son nom. Combien de temps faut-il pour cela ?
Nous sommes tous bien d’accord pour le salut en masse, mais c’est tellement plus difficile d’admettre que j’ai besoin d’être sauvé… Et à chacune des étapes de notre vie, il faut se le redire : j’ai besoin d’être sauvé parce que je suis perdu. Il faut que le Seigneur devienne le pasteur de mon âme, sinon je serai comme les Pharisiens de l’évangile :
« Ils ne comprirent pas ce que Jésus voulaient leur dire… »
Oui, j’ai un « petit » Pharisien qui sommeille en moi, qui en rien ne veut se laisser ni rejoindre, ni éclairer, ni guider par le Bon Pasteur.
Chers frères et sœurs, cette voix qui nous dit toute la bonté de Dieu qui a livré Sa vie pour nous. Le Christ veut qu’elle résonne par d’autres bouches que la Sienne. Cette journée du Bon Pasteur est instituée pour que beaucoup d’autres voix fasse résonner cette unique voix du Bon Pasteur. C’est cela être prêtre : c’est prétendre faire entendre sur la Terre la voix de Dieu. C’est donc bien plus que délivrer un message. Certes, il faut connaître le message, mais il n’attirera pas si c’est celui d’un maître, d’un pédagogue et non d’un témoin qui donne sa vie, qui témoigne d’une vie toute donnée.
Voyez Pierre dans la première lecture : il dit quelques mots, mais l’auditoire en a le cœur transpercé, quand bien même il trahi, est un témoin inconditionnel de Son Seigneur qui sait trop sa faiblesse pour ne s’appuyer que sur la grâce et aller jusqu’au bout de sa vocation - le martyre. Et cela s’entend dans sa voix, dans sa prédication.
Alors, chers jeunes qui nous écoutez aujourd’hui, c’est vrai, c’est un défi extraordinaire que d’être prêtre. C’est être appelé à redire les paroles même du Christ, mais avec sa voix, c’est à dire avec la grâce qui les accompagne. Cette grâce que l’on paie – c’est vrai – au prix de son sang et de ses larmes parfois, mais cette grâce rend Dieu attirant, voire irrésistible.
Le prêtre, c’est celui qui fait aimer Dieu. Voilà sa vocation. Puissiez-vous en goûter toute la joie, si Dieu vous appelle sur ce chemin,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Actes des Apôtres 2,14a.36-41.
- Psaume 23(22),1-2ab.2c-3.4.5.6.
- Première lettre de saint Pierre Apôtre 2,20b-25.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 10,1-10 :
En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit.
Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix.
Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
Jésus employa cette image pour s’adresser à eux, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole :
« Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés.
Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »