Texte de l’homélie :
C’est un évangile qui n’est pas facile à lire et pas facile à entendre non plus. On le connaît bien, il est au cœur même de l’évangile qui vient tout de suite après le message des Béatitudes.
« Aimez vos ennemis. »
Souvent on se demande si l’on a vraiment des ennemis. C’est rare en tout cas que l’on ait des ennemis mortels, des personnes qui nous veulent le mal de façon incurable, qui nous poursuivent. Cela peut arriver, mais ce n’est pas fréquent.
Si on écoute le Seigneur, il est important d’avoir des ennemis pour pratiquer l’évangile. Si on n’a pas d’ennemi, comment pourront-nous être parfaits « comme le Père céleste est parfait » ?
Qui est mon ennemi ?
L’ennemi n’est pas tant l’ennemi mortel qui nous voudrait du mal, c’est celui qui vient toucher mon incapacité d’aimer.
C’est celui qui me fait grimper aux rideaux, qui m’exaspère, qui me donne de l’urticaire, s’il n’était pas là ce serait mieux. Là, tout de suite, devant nos yeux, une liste formidable de personnes s’affiche, parce que nous voyons justement qu’il y a des tas de personnes avec qui nous avons du mal à vivre, et singulièrement le prochain proche. La personne perdue au fin fond de la Chine ne me dérange pas puisque je ne la vois pas !
Mais le prochain proche, c’est celui que je côtoie dans la vie professionnelle, qui m’exaspère, qui a toujours les mêmes retards, qui fait toujours les mêmes erreurs, que je côtoie dans la vie familiale, dans la vie paroissiale, communautaire.
Mon ennemi me fait grandir spirituellement
En même temps, prenons conscience que c’est peut-être par cette personne qui m’exaspère que nous allons progresser spirituellement.
C’est là où il y a un renversement à faire.
Celui qui m’exaspère ce n’est pas celui-là à enlever de mon champ de vision, alors même qu’on en aurait une formidable envie, mais c’est celui qui va me faire grandir.
En vie communautaire, on voit bien comment dans la vie religieuse il y a des frères avec qui on a du mal à vivre, parce que d’abord on ne se choisit pas dans la vie religieuse - et c’est aussi la beauté du signe de la vie religieuse - il y a des frères qu’on aurait peut-être surtout pas choisi.
Il faut se rappeler que pour l’autre si je peux être l’ennemi, je suis celui qui exaspère l’autre aussi.
C’est par ces frères-là que je vais grandir spirituellement, que je vais demander au Seigneur un amour plus fort. Parce qu’il s’agit bien de cela, de n’avoir pas simplement un amour chétif, inconsistant, simplement basé sur l’affect, Jésus nous dit clairement
« Les païens n’en font-ils pas autant ? »
Nous avons besoin de croire à l’Évangile pour vivre cela, on voit cela dans le monde, les personnes se choisissent en fonction de l’attrait, de la complicité et mettent de côté ceux qui les exaspèrent.
Jésus ne dit de ne pas refuser le contact avec eux. Mettons-nous devant le Seigneur et voyons comment cette personne-là éveille en nous une colère, une impuissance, une violence, un manque de patience, un manque de douceur. C’est bien de nous dont il s’agit dans cette démarche de conversion, aimer l’ennemi c’est une démarche de conversion permanente.
Pour la semaine qui s’ouvre on pourrait par exemple se demander avec quelle personne je peux être patient, et c’est déjà beaucoup, « l’amour prend patience » nous dit Saint-Paul. Si nous pouvions déjà, face à des personnes qui nous donnent de l’urticaire, être patients, supporter les personnes difficiles, c’est déjà un signe que nous sommes disciples du Seigneur.
Tendre l’autre joue face au mal
Mais le Seigneur nous emmène plus loin avec cette histoire de tendre l’autre joue.
« Si quelqu’un te gifle sur la joue droite. »
Ce mouvement n’est pas naturel, pour gifler la joue droite, on doit gifler avec le côté osseux de la main, c’est bien plus douloureux.
Déjà dans l’Ancien Testament, le mouvement de frapper sur la joue droite entraînait une amende double à celle de frapper sur la joue gauche, qui est le mouvement le plus naturel. Cela demande de prendre son élan, il y a une anticipation, une certaine malice, une certaine violence, ce n’est pas spontané.
« Tend l’autre joue. »
Cela veut dire « montre un autre visage » face au mal, montre un autre aspect de toi-même face au mal.
On est tellement faible, on a tellement besoin de la grâce de Dieu pour avoir cet amour fort et ne pas se laisser arrêter par le mal, pour ne pas avoir un amour qui se laisse entamer par l’injustice. C’est l’amour de Dieu. C’est ce que nous dit le grand Saint-Paul : ce n’est pas une sagesse humaine dont on a besoin, mais, nous le savons :
« C’est l’Esprit de Dieu qui habite en vous, vous êtes un sanctuaire de Dieu. »
Prenons conscience qu’on nous-même nous portons une capacité d’aimer par le baptême, par la grâce de Dieu, et non par nos mérites, par la grâce de Dieu nous portons en au même quelque chose qui est plus fort que l’offense. On voit bien comment les martyrs ont vécu cela, appelant même à la bénédiction sur leurs persécuteurs !
De façon plus modeste, lorsque nous avons à subir l’injustice ou les personnes de caractère difficile, si nous montrions un autre visage, une autre manière d’entamer ces relations ?
Il ne s’agit pas de ne pas voir le mal, mais autant faire que se peut, d’avoir une manière différente de l’aborder.
Pendant des années j’étais aumônier de prison en Amérique latine, je demandais à la grâce au Seigneur qu’il y ai une rencontre entre victime et agresseur, il s’agissait d’agressions très graves, d’attaques à main armée, de crimes, tout ce que l’on peut rencontrer en prison comme vous l’imaginez. Pourquoi j’y tenais tellement ?
Justement pour que je puisse voir l’autre, revoir celui qui m’a fait du mal, et combien, comme une personne. Avoir un autre visage par rapport à lui, lui montrer autre chose, je pense que c’est une des causes de la baisse de la récidive, la rencontre entre l’agresseur et l’agressé, que chacun se découvre, qu’il y a une réconciliation et une demande de pardon et que l’autre aussi accueille le pardon.
Ce n’est pas facile parce que bien sûr il y a des offenses qui sont tellement graves, des familles qui se détruisent, on ne se sent pas capable.
Dans notre vie quotidienne on pourrait peut-être prendre cette mesure, cette décision pour cette semaine d’être attentif à aimer celui qui vient toucher mon incapacité d’aimer, ou qui peut-être m’a blessé ou blessé mon ego, mon amour-propre.
Essayons d’avoir une attitude différente avec lui qui fera que l’autre va s’interroger.
Vous vous rappelez l’épisode de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, il y avait une sœur infernale, il y a aussi parmi les sœurs des sœurs difficiles à vivre, Sainte-Thérèse lui montrait une gentillesse et une affabilité et cette sœur lui demande « pourquoi vous m’aimez tant ? », c’est cela être saint ! Les saints nous montrent le chemin possible, ils sont de la même pas humaine que nous, ils ont reçu les mêmes sacrements que nous.
Demandons, par l’intercession des saints, cette grâce de vivre cette page d’évangile.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre du Lévitique 19,1-2.17-18.
- Psaume 103(102),1-2.3-4.8.10.12-13.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 3,16-23.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,38-48 :
En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil, et dent pour dent’.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.
Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! »
Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.’
Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ?
Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »