Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs,
Sur un vieux tableau de maître, on voit Adam et Eve devant l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et une branche de cet arbre se termine par une forme triangulaire. Elle semble plutôt étonnante par sa texture, car en effet, elle n’est rien d’autre que le serpent qui se confond par sa forme et sa couleur avec son environnement. Et il fait son œuvre.
Il y a une grande profondeur théologique dans cette représentation nous invitant à comprendre que le mal se cache, il se dissimule, se camoufle, il veut passer inaperçu, comme une branche parmi les branches, et comme on le dirait aujourd’hui, avec une attitude parmi d’autres : « c’est ton choix »…
Le mal cherche à se faire oublier…
Le progrès du mal, c’est justement qu’il se cache toujours davantage.
Dans notre esprit, nous avons faisons référence aux périodes barbares et aux guerres de religion où le mal était plus spectaculaire, et heureusement, cette époque est révolue. Ainsi, on se croit plus évolués moralement que nos pères et nos ancêtres, mais l’on pourrait se poser la question autrement : et si c’était simplement que le mal se montrait moins à nous aujourd’hui ? qu’il serait plus discret et plus tactique pour se cacher ?
Et c’est ce sens très profond que l’on retrouve dans la Bible : le mal se révèle. Nous l’avons un peu oublié. Pourtant, l’attitude mauvaise du cœur humain transparaît à travers la maladie. C’est notamment le cas à travers la lèpre. On pourrait se dire que cette vision des choses est primitive et ce n’est pas faux, car certes, le lépreux pas plus coupable qu’un autre. Cependant, il y a quelque chose de juste car la maladie a un effet de moment de vérité.
Dans l’histoire des lépreux dans le livre du Lévitique, il ne faut pas entendre cette question du lien entre le péché et la maladie comme étant individuel, tout comme lors de l’apparition du Sida, on ne pouvait pas affirmer que les malades avaient leur châtiment.
Tout est-il qu’il faut envisager cette lèpre comme signe d’un désordre moral. La maladie révèle un désordre moral et il nous faut retrouver ce sens biblique du malheur, ce lien entre mal et malheur, entre péché et mort. Comme le dit Saint Paul :
« Le salaire du péché c’est la mort. »
… et tout ce qui va avec la mort : la maladie et tous ses désordres. Et c’est ce qui est intéressant dans cette vision du Lévitique qu’on aurait tord de trop vite évacuer : on ne peut pas couper tout lien entre la faute et le malheur. De nos jours, comme toute transgression – ou presque - est admise, comme chacun peut faire ce qu’il veut et ce qui lui plaît, on ne fait plus le lien entre ce qui pourrait être faute et malheur. Certes, la lèpre n’est qu’une bactérie à vaincre, mais il nous faut retrouver ce sens biblique du malheur, ce lien entre péché et mort, car couper ce lien, c’est mentir.
Je pense à un grand romancier moraliste, Oscar Wilde, qui, même si il a eu une vie très dissolue, a souffert du malheur du vice. Son roman Portrait de Dorian Gray relate l’histoire d’un beau jeune homme riche séduisant et sûr de lui qui joue de ses charmes pour séduire des jeunes filles qu’il abandonne tout aussitôt. Et cette beauté qui lui permet de conquérir le monde le fait gagner dans ce sentiment de toute puissance, de violence, et le fait aller jusqu’au meurtre et au mépris des plus faibles. Il multiplie les actes graves tout en gardant cette belle assurance, ce charme, ce visage d’ange, jusqu’au jour où un de ses amis lui fait son portrait, un portrait assez mystérieux, vous le savez : chaque fois que Dorian Gray commet un transgression, ce portrait va ses charger d’une une ride, et à mesure qu’il avance dans le mal, il va voir son propre visage de plus en plus défiguré, déformé, jusqu’à atteindre quelque chose de hideux.
Qu’elle est profonde, cette fable du siècle dernier car justement, ce tableau extériorise ce mal. On pourrait dire que ce serait la planche de salut de Dorian Gray s’il savait l’interpréter car sinon, le mal lui resterait inaccessible du fait de son aveuglement… Il devrait donc lui permettre de se questionner, de revenir sur lui-même, sur son âme et sa personnalité profonde, puis enfin de changer…
Ainsi, je me permets de vous soumettre avec prudence mon questionnement : cette période que nous traversons avec cette pandémie ne serait-elle pas cette extériorisation du mal ? Ce mal que nous ne parvenons pas à confesser avec notre bouche, la maladie ne l’exprime-t-elle pas d’une certaine façon, avec ce lien entre maladie et malheur que j’ai évoqué ?
Il ne s’agit bien évidemment pas d’attribuer des responsabilités.
Il y a un peu plus d’un an, le Saint Père demandait sur la place Saint Pierre :
Et l’on savait très bien à ce moment là qu’à travers ce « monde malade », il parlait du mal de l’homme : c’est nous qui rendons ce monde malade.
Finalement, cette pandémie n’est-elle pas l’écho d’un désordre du cœur de l’homme ?
Faut-il souhaiter la fin de la pandémie ?
Même si l’on est parfois gêné de prier pour la fin de la pandémie, il faut bien évidemment le faire !
Oui nous la souhaitons, cette fin de pandémie, mais on ne peut pas la désirer à n’importe quel prix. Si nous n’en avons rien appris, si notre monde ne change pas, si notre occident reste à la course effrénée du profit, au choix de l’exclusion, à la destruction massive de l’environnement, on peut la souhaiter certes, mais nous aura-t-elle parlé, l’aurons-nous « écoutée » ? C’est un vraie question…
Si l’on revient aux textes du jour, le psaume qui suit la première lecture et évoque ce lépreux qui crie « impur ! impur ! » n’est pas de ceux qui demandent la guérison, qui appellent au secours le Bon Dieu – il y en a beaucoup, et ce ne sont pas ceux qui ont été choisis. Pour ce jour, la liturgie nous donne un psaume d’aveu :
« Je t’ai fait connaître ma faute. Je n’ai pas caché mes tords, j’ai dit : « je rendrai grâce au Seigneur en confessant mes péchés. » »
Et si l’on poursuit la lecture du psaume, on voit qu’il prend acte du fait que taire son péché, c’est le malaise :
« Je me taisais et mes forces s’épuisaient. A gémir tous les jours, ma vigueur se desséchait. »
Je perds ma vigueur parce que je n’ai pas parlé, parce que je n’ai pas dit ma faute. N’est-ce pas la condition de notre monde ?
Pensons à quel point les gestes que pose le Saint Père sont prophétique ! En 2013, peu après avoir été élu, il entreprend son premier voyage hors de Rome et se rend à Lampedusa, ce lieu de Sicile où sont accueillis des centaines de migrants dont un bon nombre – environ 30000 – a sombré dans la mer… Il se décide d’y aller en moins d’une semaine. Il réquisitionne un 4/4 pour faire une papa mobile et emprunte un bateau des gardes-côtes pour aller jeter dans la mer une couronne de fleurs et cette croix constituée des débris des navires échoués, ceux qui n’ont pas pu accoster et se sont fracassées. Il envoie ces signes dans ce qu’il appelle « le plus grand cimetière de l’Europe ».
C’est un geste de confession, un geste d’aveu d’une indifférence. Il n’y a pas à y interpréter un prise de position politique comme c’est souvent mal compris, mais il pointe du doigt un égoïsme. Il fait une sorte de liturgie pénitentielle comme il y en avait avant et dont nous aurions besoin pour nous régénérer.
Par la confession, faire appel à la miséricorde du Seigneur
Frères et sœurs, confesser nos péchés, c’est justement ce qui nous permet de revivre. On peut se le dire pour soi-même, mais à quoi cela nous avance-t-il ? ne faudrait-il pas une démarche publique et massive de repentir sur les fautes commises envers la vie, que ce soit à son commencement ou à sa fin, avec ces avancées si rapides de toutes ces lois mortifères ? Peut-on attendre cela de notre monde, de nos responsables politiques et de la société civile ? autant rêver… Faut-il stigmatiser ceux qui sont responsables, les séparer de ceux qui ne le sont pas en nous mettant du « bon côté » ?
Confesser ses péchés, c’est effectivement ce qu’il faut attendre de chacun d’entre nous, car c’est aussi dire à Dieu à notre tour « Tu peux nous sauver ! ». C’est la manière dont a procédé le Christ Lui aussi. Depuis Son temps jusqu’à maintenant, le monde s’est enfoncé dans son péché, et qu’à t-Il fait ? a-t-il éloigné ce péché de Lui en le niant ? non, Il l’a pris sur Lui disant : « Ce péché, c’est le mien, même si je ne l’ai pas commis. ».
C’est cette grande attitude de confession sur la Croix où Il expose le péché du monde à Son père, et c’est ce qui fait que la rédemption nous est obtenue. Comme dit Saint Paul :
« Il s’est fait péché pour nous ! Il s’est fait malédiction pour nous… »
C’est sans aucun doute ce chemin qui nous est offert. Écouter les nouvelles, lire l’actualité et voir toutes ces lois prendre forme est tellement attristant pour nous… Mais si c’est ce sentiment qui émerge tout d’abord, que ce ne soit qu’un temps, admettant ensuite devant le Seigneur que nous avons notre part de complicité à ce sujet, disant : « Seigneur, ce péché du monde, je veux te l’exposer car j’y prends part. Je veux Te le confesser. Et de cette manière, je ferai en sorte que Ta miséricorde s’abaisse sur le monde, le sauve, le renouvelle et le régénère. »
Demandons cette grâce à la Sainte Vierge,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre du Lévitique 13,1-2.44-46.
- Psaume 32(31),1-2.5.11.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,31-33.11,1.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,40-45 :
En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. »
Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. »
À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié.
Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. »Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.