Texte de l’homélie :
« Il enseignait comme un homme qui a autorité. »
Chers frère et sœurs, qu’est ce que d’enseigner en homme qui a autorité ?
Qu’est-ce qu’une parole qui a autorité ?
Si vous le voulez bien, faisons un petit détour par l’histoire de l’Église. Vous rappelez-vous de ce que l’on appelait les lapsi et les stantes ? C’est le nom que l’on utilisait au moment des persécutions dans l’empire romain. Les stantes étaient ceux qui avaient tenu bon, et les lapsi, ceux qui avaient chuté, qui étaient tombés. ou non livré la parole. Et le critère selon lequel on pouvait déterminer s’ils avaient tenu bon ou étaient tombés c’était s’ils avaient livré ou non les saintes écritures. Voilà ce que l’on recherchait : la Parole, les bibles. L’empire romain voulait mettre la main sur les saintes écritures.
Et, très douloureusement, dans notre temps, en Corée du Nord, par exemple, c’est la même chasse effrénée à l’écriture sainte. Dans plusieurs cas, des prisonniers trouvés avec une Bible ou des brochures religieuses ont été exécutés sommairement, tandis que d’autres ont été enfermés dans des cages électrifiées. D’autres ont été exécutés pour avoir introduit en contrebande des pages bibliques depuis la Chine pour que les Nord-Coréens fabriquent des livres de prières.
Les régimes totalitaires ne s’y trompent pas : ils savent que cette parole a une autorité. Ces pages de la bible contiennent une parole qui a autorité : elle va déterminer ce que je vais être, elle va me transformer et faire de moi un homme nouveau selon l’Évangile, un homme nouveau dont ces régimes ne veulent en aucun cas…
Je le disais de manière plus positive lorsque j’étais en mission dans ce petit village des Andes, il y avait cette femme évangélique qui vivaient au milieu d’un village particulièrement abandonné, marqué par d’alcoolisme et de misère physique et morale, qui disait : « J’apprends une parole de la Bible par cœur, et c’est la lumière pour ma vie, c’est le sens de ma vie. Je me tiens droite. »
Voici ce qu’est une parole qui a autorité.
Une parole qui engage, qui façonne…
Le grand drame de notre société contemporaine, c’est la dévaluation de la parole. Au temps du Moyen-Age, on pouvait être prisonnier simplement sur parole. Il suffisait d’en faire le serment. La centrale de Liancourt pourrait-elle fonctionner ainsi ? il est permis d’en douter !
De manière beaucoup plus large, on peut dire que trop de paroles dites n’engagent pas assez. Pour vous jeunes mariés qui partagez notre assemblée aujourd’hui, on peut citer cette dévaluation que l’on constate parfois dans le « oui » du mariage, qui n’est plus vraiment un absolu. C’est aussi le cas du « oui » de la profession pour nous, religieux. J’ai fait mes vœux, oui, mais j’ai changé…
Notre culture a changé certes, mais la parole ne doit-elle pas plutôt être l’invariant de notre vie ? Cela exige bien entendu que l’on dise cette parole avec maturité et discernement, puis c’est elle qui doit régler mon existence une fois qu’elle a été prononcée.
Cette parole que j’ai dite qui doit me marquer en profondeur, m’orienter, m’engager… elle n’est parfois qu’un peu de bruit… sans plus. Il faudrait parfois moins dire, et vivre davantage pour restituer à la parole son autorité, sa noblesse, sa pureté.
Une parole ciblée : rare, mais efficace !
Les pères du désert non plus n’aimaient pas cette prolifération de paroles.. Vous vous souvenez de ce père « abba » qui était dans sa petite cabane au loin dans le désert, et le disciple venait jusqu’à lui et lui demandait :
— « Abba, donne-moi une parole… ».
C’est un bel effort : une seule parole est réclamée !…
Mais l’abba allait plus loin et répondait à son disciple :
— « La dernière que je t’ai dite, l’as-tu appliquée ? »
— « Non, il me reste des progrès à faire, pour acquérir cette vertu, pour accomplir ta parole. »
— « Alors retourne chez toi et quand tu l’auras accomplie, reviens vers moi. »
C’est beau car cela nous invite à voir qu’il vaut mieux moins de paroles qui aient un effet qu’une surabondance qui reste un peu dans le vent.
Ce n’est pas du perfectionnisme, mais c’est avoir le sens de ce qu’est la parole qui nous vient de Dieu et de sa mission profonde, de sa vocation qui est de se faire chair.
Quand on parle de la petite Thérèse, on insiste beaucoup sur son immense confiance en Dieu, et le rôle de la grâce en elle, et on a raison. Mais n’oublions pas qu’elle prend très au sérieux la parole parfois son héroïsme, et dans une grande détermination de perfection, elle se met en campagne pour acquérir systématiquement toutes les vertus. Elle écrivait :
« Je m’efforçais de plaire à Jésus dans toutes mes actions et je faisais grande attention à ne l’offenser jamais. »
Ainsi, c’est très intéressant de lire son procès de béatification où l’on voit de quelle manière elle a acquis petit à petit toutes les vertus, non pas par perfectionnisme, mais parce qu’elle a compris quel est le sens de la parole selon ce que nous dit Isaïe :
« La parole ne retourne pas à moi sans avoir accompli sa mission, sans avoir fécondé la terre. »
Et la petite Thérèse a fait sienne cette parole, et l’on voit quel a été son effet !
De notre côté, c’est avec difficulté que nous laissons cette parole entrer en nous, à la laisser nous déterminer. Et l’Evangile de ce dimanche l’illustre bien. Nous ne sommes pas loin d’avoir la réaction de ces démons face au Christ Lui déclarant :
« Que nous veux-tu ? »
« Quoi de toi à nous ? » disent-ils à Jésus, selon l’expression littérale grecques, autrement dit, : « Qu’est-ce que tu viens faire chez nous ? … ça ne te regarde pas. »
C’est parfois la réaction que nous avons face au magistère de l’Église. Nous le savons bien, nous laissons volontiers rentrer la parole dans notre vie, mais jusqu’à un certain point.
En entendant le discours de Jean Paul II, on disait : « ne touche pas à ma vie privée ! Ne touche pas à mon cœur ! »
Face au pape François on répond : « Touche-pas à ma politique, à mon économie, à mon libéralisme, à ma politique migratoire ! »
Le grand reproche qui est fait aux papes successifs n’est pas qu’ils se trompent, mais plutôt qu’ils parlent sur des sujets qui ne sont pas de leur domaine. Et l’immense fronde conservatrice que l’on a aux États-Unis emploie ces méthodes : on ne dit pas que la parole du Pape est fausse, on déclare simplement qu’il n’est pas habilité à intervenir sur certains domaines, et c’est ainsi que l’on s’en débarrasse.
Que l’Église parle du dogme, des anges et de ses sacrements, passe encore, mais pas plus loin.
Voyez, le logos, cette parole que l’Église transmet a néanmoins vocation de tout remettre en ordre. C’est ça l’autorité de la parole. Elle ira au-delà de l’hostilité des démons, de l’hostilité de la société, et même parfois de celle des jeunes que nous avons à éduquer.
Le Père Lamy, quand il faisait l’expérience des refus des jeunes et qu’il était amené à faire un mise au point, toujours avec le respect, il leur disait ! :
Et ainsi, il participait à les arracher à leurs mauvais penchants. Car si nous nous laissons impressionner par la violence, nous laissons le monde sans parole, nous laissons le monde au chaos.
Pourquoi la parole du Christ a autorité ?
Mais on peut alors se demander : « pourquoi la parole du Christ a-t-elle autorité ? »
C’est parce que - justement - Il ramène les choses à leur ordre. Il ramène les choses à ce qu’elles doivent être, car c’est une parole créatrice. Elle nous dit : « Fais les bien, mène une vie droite ! » N’est-ce pas exactement la même parole qui nous a créés ?
Pour parler de manière un peu familière, on pourrait dire que le créateur connaît la machine, et c’est donc lui qui peut donner le mode d’emploi. C’est d’abord ça l’autorité du Christ : celle du Créateur, et il n’y en a pas d’autre.
C’est ce que nous dit d’ailleurs la première lecture lorsqu’il s’agit des faux prophète. Il n’est que d’aller dans une bonne librairie avec plusieurs centaines de m2 de rayons pour voir les livres d’ésotérisme, de développement personnel sur tant d’étagères - admettons qu’il y a des bonnes choses, mais il y a un mélange certain avec du charlatanisme – et sur peut-être un ou deux mètres, on trouve la Foi chrétienne.
Les faux prophètes abondent, et ils ne sont pas nos créateurs, ils ne connaissent pas le monde d’emploi qui nous correspond : ils nous abusent et nous font donc du mal. Il n’ont pas l’autorité et il est important de pouvoir le redire.
On comprend mal parfois le magistère de l’Eglise. On peut se demander ce que signifie Imprimatur au début d’un livre spirituel, mais cela veut dire qu’il a été reconnu que es paroles sont en concordance avec celles du Logos qui nous a créés. Cela n’a rien à voir avec une certaine forme de censure qui a sévi dans les temps anciens.
Pourquoi avons-nous envie de suivre le Christ ?
Une autre raison qui fait que le Christ a autorité c’est qu’il n’y a aucune qu’Il n’ait prononcé qu’Il n’ait Lui-même appliquée. Il illustre cette parfaite continuité entre la parole et la vie qui nous fait si souvent défaut.
Et cela a pour effet l’adhésion. Citons pour cela un proverbe en Latin :
« Verba movent, exempla tra unt. » « Les paroles peuvent émouvoir, mais seuls les exemples nous mettent en marche. »
Voici comme agit le Christ.
Et un vieux prêtre, un abbé cistercien, nous disait : « Vous savez, le Christ n’a jamais dit de Lui obéir. Il n’a fait que dire : « Suivez-moi ! » « Ce que je fais, faites-le vous aussi. »
Voilà pourquoi nous voulons adhérer au Christ : c’est parce que nous sentons la cohérence. Et vous le savez bien, vous qui avez des enfants ou qui êtes appelés à en avoir, à quel point c’est important dans l’éducation, notamment à l’adolescence. L’adolescent va chercher à débusquer nos incohérences. Mais s’il sent la cohérence entre ce que nous sommes et de ce que nous disons, lors, il nous suit ! Même si nous sommes maladroits, pécheurs, là n’est pas sa question. Sa question est la certitude qu’il veut avoir : « Es-tu capable de payer de ta vie ce que tu me dis ? ». Et si ce n’est pas le cas, il n’y aura pas d’adhésion. En revanche, si c’est ça, le charme opère, si je puis le dire ainsi.
Voilà justement quelle est notre vocation de Chrétien, telle est notre royauté. Être rois c’est être capable d’emmener derrière soi tout un peuple. Et comment sommes-nous rois ? c’est par la cohérence entre ce que nous disons et ce que nous faisons.
Voilà la mission qui nous est donnée. Si parfois c’est difficile, posons le regard sur le Christ, contemplant cette parole faite chair parfaitement. Contemplons cette sagesse incarnée : elle nous délivrera du mensonge, et nos cœurs s’apaiseront,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre du Deutéronome 18,15-20.
- Psaume 95(94),1-2.6-7abc.7d-9.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 7,32-35.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,21-28 :
Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, Jésus se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes.
Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. »
Jésus l’interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme. »
L’esprit impur le fit entrer en convulsions, puis, poussant un grand cri, sortit de lui.
Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. »
Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée.