Homélie du 30e dimanche du temps ordinaire

26 octobre 2020

« ‘Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.’
Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’
De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, en quoi la question du docteur de la Loi est-elle un piège ? Vraisemblablement parce qu’il pense que Jésus remet en cause l’amour de Dieu comme absolument premier du fait que Jésus opère des guérisons le jour du sabbat et fréquente les pécheurs.
Peut-être certaines personnes auraient-elles une réaction analogue vis-à-vis de chrétiens qui auraient à cœur de défendre les pauvres : ce sont des communistes !

« Est préjudiciable et idéologique l’erreur de ceux qui vivent en suspectant l’engagement social des autres, le considérant comme quelque chose de superficiel, de mondain, de laïcisant, d’immanentiste, de communiste, de populiste. » (Gaudete et exsultate n° 101)

Sous-entendu, leur engagement social a pris le dessus par rapport à leurs convictions religieuses.

De fait nous avons quelquefois du mal à bien vivre de manière unifiée le commandement de l’amour de Dieu et du prochain. Je retiendrais 3 cas de figure : aimer son prochain sans aimer Dieu ; aimer Dieu sans aimer son prochain ; aimer Dieu et son prochain mais de manière séparée. Les deux premiers nous donnent des chrétiens unijambistes ; le troisième, des chrétiens qui ont des troubles de coordination, qui souffrent d’une sorte de schizophrénie. Au passage, cela rejoint la remarque d’un professeur de l’université de Rome qui disait voici bien des années : les hérésies, c’est ou / ou ; la saine doctrine et / et. Les hérésies voient des oppositions là où notre foi voit une unité.

Aimer son prochain sans aimer Dieu

Le docteur de la Loi pense que Jésus prend le parti des pécheurs contre Dieu, un peu comme si notre amour du prochain enlevait quelque chose à notre amour de Dieu. Il n’y a pas de concurrence entre ces deux amours.
De fait le pape François dit régulièrement que l’Église n’est pas une ONG de plus. Dès sa première messe publique comme pape :

« l’Église n’est qu’une ONG si elle ne suit pas le Christ. » (13 mars 2013)

Par exemple il a dit clairement :

« Si nous ne confessons pas Jésus-Christ, cela ne va pas. Nous deviendrons une ONG d’assistance mais pas l’Église. » (septembre 2014)

Si l’amour de Dieu nous fait défaut, mieux vaut nous qualifier d’humanitaires et non pas de chrétiens. De fait, il faut bien reconnaître que certaines ONG se sont « déchristianisées » en perdant leur saveur typiquement évangélique, en perdant leur lien vital avec Jésus.
Peut-on faire “l’économie” de l’amour de Dieu pour aimer son prochain ? On voit ce que cela a pu donner dans les idéologies athées : l’homme s’est finalement trouvé rabaissé ou détruit dans sa dignité ou même dans sa vie physique.

L’amour de Dieu est le fondement le plus solide de l’amour et du respect de l’homme. Le fait d’aimer Dieu donne une qualité particulière à notre amour du prochain. On l’aime dans sa destinée ultime d’enfant de Dieu.
Si la prière nous fait défaut, notre amour pour le prochain – même s’il est très sincère – sera trop court. En vivant une relation vivante avec le Seigneur, nous apprenons à aimer notre prochain comme Dieu l’aime. On cherche auprès de Dieu comment l’aimer au mieux.

« Si le contact avec Dieu me fait complètement défaut dans ma vie, je ne peux jamais voir en l’autre que l’autre, et je ne réussis pas à reconnaître en lui l’image divine. » (Benoît XVI : Deus Caritas est n° 18)

Nous le voyons en particulier auprès des saints : c’est dans l’amour de Dieu qu’ils ont puisé un amour inventif et fort pour leur prochain. Il suffit de penser à saint Vincent de Paul, à mère Térésa, au bienheureux Carlo Acutis qui vient d’être béatifié.

C’est en aimant Dieu que de nombreux Chrétiens ont été conduits à se dévouer auprès de leur prochain comme le dit le prophète Isaïe :

« Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! » (Is 58, 6)

Aimer Dieu sans aimer son prochain

Certains sont tentés d’aimer Dieu en faisant l’économie de l’amour du prochain. Mais ce n’est pas possible. En effet c’est viscéral pour Dieu d’entendre le cri des malheureux.

« Un pauvre a crié, Dieu l’entend » (Ps 33, 7)

Si Dieu nous commande d’aimer notre prochain, c’est parce que cela fait partie de lui-même.

« Qu’il fait beau de voir les pauvres, si nous les considérons en Dieu et dans l’estime que Jésus Christ en a faite ! Mais, si nous les regardons selon les sentiments de la chair et de l’esprit mondain, ils paraîtront méprisables
Dieu aime les pauvres, et par conséquent Il aime ceux qui aiment les pauvres ; car, lorsqu’on aime bien quelqu’un, on a de l’affection pour ses amis et pour ses serviteurs. » (Saint Vincent de Paul)

Jésus donne l’amour mutuel comme signe distinctif de ses disciples.

« À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 35)

Saint Jean nous en donne une raison dans sa première lettre. Le prochain nous préserve des illusions :

« Si quelqu’un dit ’J’aime Dieu’, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur.
En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20 et 3, 17-18)

Comment prétends-tu aimer Dieu que tu ne vois pas, si tu n’aimes pas ton prochain que tu vois ! L’amour du prochain est comme la vérification de l’amour de Dieu. De même, on peut avoir l’illusion de faire la volonté de Dieu ; c’est plus compliqué quand cela passe par une médiation humaine !
C’est toujours plus facile d’aimer un prochain idéal, sans défaut qu’un prochain concret avec toutes ses limites. L’amour du pauvre (pas seulement d’un point de vue économique), de celui que nous aimons avec gratuité, vient nous éclairer sur la qualité de notre amour. Ce n’est pas un hasard si Jésus se cache d’une manière privilégiée dans les pauvres. Si je suis animé par l’amour de Dieu, je deviens en mesure d’aimer celui qui n’est pas gratifiant. Cela me permet de détecter les faux-amours. Même si une personne est défigurée, Jésus a donné sa vie pour elle.

La charité fraternelle est signe de la qualité de notre prière. La prière doit aider notre cœur à s’ouvrir au prochain. On peut légitimement se poser des questions si quelqu’un prend de longues heures de prière mais ne progresse pas dans l’amour du prochain.
Comme le disait le pape Benoît XVI dans son encyclique Deus Caritas est :

« Aimer son prochain est aussi une route pour rencontrer Dieu, et où fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu. » ( Deus Caritas est n° 16)
« Si dans ma vie je néglige complètement l’attention à l’autre, désirant seulement être "pieux" et accomplir mes "devoirs religieux", alors même ma relation à Dieu se dessèche. Alors, cette relation est seulement "correcte", mais sans amour. Seule ma disponibilité à aller à la rencontre du prochain, à lui témoigner de l’amour, me rend aussi sensible devant Dieu. » (Deus Caritas est n° 18)

Aimer Dieu et son prochain séparément

Après les chrétiens unijambistes, voici les Chrétiens qui souffrent d’un trouble de coordination : il y a comme une cloison entre leur amour de Dieu et leur amour du prochain. Ils vivent une sorte de schizophrénie. Cela peut faire penser à une expérience que vous avez peut-être faite en descendant un escalier (mais il vaut mieux tenir la rampe pour la faire !) : vous commencez à réfléchir à la jambe qu’il faut avancer en premier … Cela devient très compliqué. Dans la réalité les choses sont souvent beaucoup plus simples à partir du moment où nous sommes unifiés :

« Ne brisez pas l’élan de votre générosité mais laissez jaillir l’Esprit » (Rm 12, 11)

Notre cœur n’a qu’une porte : si on se ferme à l’amour du prochain on se ferme à l’amour de Dieu et vice-versa. Le fait d’aimer mon prochain (si cet amour est authentique) ne m’éloigne pas de Dieu (si cet amour est authentique) ; le fait d’aimer Dieu (si cet amour est authentique) ne m’éloigne pas de mon prochain, bien au contraire. Ce ne sont pas deux rails parallèles. C’est dans le même mouvement que j’aime Dieu et mon prochain. Il y a une spirale bienfaisante. Nous devenons une personne unifiée dans l’amour. Nous n’avons qu’un cœur. Il n’y a pas de conflit.
C’est ce que vivait très bien Saint Vincent de Paul :

« Si, à l’heure de votre oraison, le matin, vous devez allez porter une médecine, oh ! Allez-y en repos ; offrez à Dieu votre action, unissez votre intention à l’oraison qui se fait à la maison, ou ailleurs, et allez-vous-en sans inquiétude.
Si, quand vous serez de retour, votre commodité vous permet de faire quelque peu d’oraison ou de lecture spirituelle, à la bonne heure ! Mais il ne vous faut point inquiéter, ni croire avoir manqué, quand vous la perdrez ; car on ne la perd pas quand on la quitte pour un sujet légitime. Et s’il y a sujet légitime, mes chères filles, c’est le service du prochain.
Ce n’est point quitter Dieu que quitter Dieu pour Dieu, c’est-à-dire une œuvre de Dieu pour en faire une autre, ou de plus grande obligation, ou de plus grand mérite. Vous quittez l’oraison ou la lecture, ou vous perdez le silence pour assister un pauvre, oh ! Sachez, mes filles, que faire tout cela, c’est Le servir.
Car, voyez-vous, la charité est par-dessus toutes les règles, et il faut que toutes se rapportent à celle-là. C’est une grande dame. Il faut faire ce qu’elle commande. » (Saint Vincent de Paul)

En lisant ceci, il ne faut pas oublier que saint Vincent de Paul commençait sa journée par de longues heures de prière silencieuse.

Depuis l’instant où le Verbe de Dieu s’est fait homme, un lien plus fort encore s’est instauré entre l’amour de Dieu et celui du prochain.
Comme le dit cette phrase du Concile reprise par Jean-Paul II :

« Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni à tout homme. » (Jean-Paul II Redemptor Hominis n° 8 reprenant Gaudium et spes n° 22)

C’est ce qui apparaît d’une manière évidente dans la parabole du jugement dernier :

« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. (…) Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 35-36.40)]

Le pape François sait le dire de manière imagée :

« L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont inséparables et complémentaires, ce sont les deux faces d’une même médaille. On ne peut aimer Dieu sans aimer le prochain et on ne peut aimer le prochain sans aimer Dieu. » (Pape François, 26 octobre 2014)

Nous sommes invités à entrer pour ainsi dire dans l’amour de Dieu pour chaque personne.

Conclusion :

Je voudrais conclure avec quelques mots par lesquels le pape François nous invite à voir combien des commandements correspondent à quelque chose de beau :

« Ce que Jésus propose dans cette page évangélique est un idéal merveilleux, qui correspond au désir le plus authentique de notre cœur. Nous avons en effet été créés pour aimer et pour être aimés. Dieu, qui est Amour, nous a créés pour nous faire participer à sa vie, pour être aimés de Lui et pour l’aimer, et pour aimer comme Lui toutes les autres personnes. Voilà la “rêve” de Dieu pour l’homme.
Et pour le réaliser, nous avons besoin de sa grâce, nous avons besoin de recevoir en nous la capacité d’aimer qui vient de Dieu lui-même. Jésus s’offre à nous dans l’eucharistie justement pour cela. En elle, nous recevons Jésus dans l’expression maximale de son amour, lorsqu’il s’est offert au Père pour notre salut. » (Pape François, 29 octobre 2017)

Poursuivons cette messe avec attention pour recevoir dans l’Eucharistie cette capacité d’aimer que Dieu veut nous donner.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 22,20-26.
  • Psaume 18(17),2-3.4.20.47.51ab.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 1,5c-10.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 22,34-40 :

En ce temps-là, les pharisiens, apprenant qu’il avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve :
— « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »
Jésus lui répondit :
— « ‘Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.’
Voilà le grand, le premier commandement.
Et le second lui est semblable : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’
De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »