Texte de l’homélie
Jacques et Jean ne manquent pas d’ambition !
« Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »
De fait, « les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean ». « Ils ne manquent pas d’air ! » On sent que la jalousie n’est pas loin :
« Ils veulent être mieux placés que nous. »
Quelle est la réponse de Jésus face à l’ambition de Jacques et de Jean ? Leur dit-il : « ce n’est pas bien d’être ambitieux ! Restez cachés dans un petit trou ! » Non, Jésus ne leur reproche pas leur ambition.
Comme le dit le pape François, l’ambition en tant que telle n’est pas mauvaise. À un journaliste qui lui posait la question : « Être ambitieux, est-ce un défaut ou une vertu ? », le pape a répondu :
L’évangile des talents le dit bien : le Seigneur nous a donné des talents qu’il faut faire fructifier. Il ne faut pas nous réfugier dans une fausse humilité qui nous ferait nous complaire dans le fait d’être nuls.
L’ambition est un moteur puissant qui peut nous aider à faire de grandes choses.
Jésus donne quelques éléments qui les aide à rectifier ce qui peut être faussé dans leur ambition afin de stimuler au contraire une ambition qui soit belle.
Je voudrais énoncer avec vous 3 ambiguïtés qui peuvent se cacher dans notre ambition :
- avoir une ambition qui écrase les autres
- prétendre vouloir sauver les autres
- rechercher une certaine gloire
Une ambition qui écrase les autres
Je garde toujours l’image qu’un jeune avait reçue dans la prière : il se voyait monter sur une échelle. Pour avancer plus vite et être sûr d’arriver le premier, il appuyait sur la tête des autres : cela avait un double avantage dans sa perspective : cela le poussait vers le haut et poussait les autres vers le bas ! Par cette image, le Seigneur lui montrait clairement ce qui est faussé dans son attitude.
Dans l’évangile de ce jour, Jésus nous dit exactement le contraire :
« Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous. »
Notre ambition ne doit pas nous conduire à écraser les autres mais à les respecter, et même plus encore, à les élever.
Jésus nous enseigne une ambition qui n’est pas aux dépends des autres mais consiste à se mettre à leur service. Il faut distinguer une saine émulation pour faire quelque chose de grand d’une mise en concurrence mauvaise et déloyale.
Comme le dit encore le pape François :
Jésus veut que cette ambition s’accompagne d’un véritable souci des autres. Le pape François disait très bien :
Une ambition qui prétend sauver les autres
Ce que propose l’évangile, ce n’est pas un pouvoir sur les autres mais un pouvoir pour les autres, pour les faire grandir, pour les rendre heureux, pour les libérer de ce qui rend esclave.
Dans l’évangile, Jésus nous dit :
« le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Le mot « rançon » a complètement changé de sens depuis le temps du Christ. Aujourd’hui, quand nous entendons le mot « rançon », c’est dans le contexte d’une prise d’otage, il s’agit de payer la somme exigée par les ravisseurs pour obtenir la libération du prisonnier. Le mot « rançon » désigne le montant de la somme à verser.
Dans l’Evangile, ce mot de « rançon » fait référence à une institution typique du droit familial israélite sans équivalent chez nous, qui est celle du go’el. Dans cette pratique, le plus proche parent de cet homme, qui prend alors le titre de go’el (traduit généralement par rédempteur), a le devoir d’intervenir. Il lui revient de tout faire pour libérer celui qui est devenu esclave, ou poursuivre l’auteur de l’assassinat, ou recueillir la veuve et lui donner un enfant qui continuera la famille du mort. Cette intervention peut comporter des éléments financiers (par exemple pour obtenir la libération de l’esclave), mais ceux-ci ne sont pas essentiels. Il s’agit bien plutôt de sauver, d’agir efficacement en faveur et à la place de quelqu’un qui ne peut plus dominer sa propre situation, et cela au nom des liens sacrés de la parenté.
C’est ce que Dieu fait à notre égard :
« Ne crains pas, Jacob, faible vermisseau Israël, misérable mortel. Je viens à ton secours, déclare le Seigneur ! Ton rédempteur (ou ton libérateur) c’est le Dieu Saint d’Israël. » (Is 41,14)
Il est beau de se faire proche des autres lorsqu’ils sont dans la difficulté. Cependant, il ne faut pas trop vite endosser le rôle de « sauveur ». Là aussi, dans notre ambition qui est apparemment au service des autres peuvent se cacher diverses ambiguïtés. Je vous en cite juste quelques unes :
Se placer en position de « sauveur »
On est habité alors par un certain complexe de supériorité où on se penche du haut pour rejoindre les autres. On se valorise aux dépends des autres.
Ne pas suffisamment respecter la liberté de l’autre
On a tendance alors à imposer notre manière de faire sans être assez à l’écoute de l’autre et de ses désirs. On ne respecte pas assez son chemin et sa liberté. On veut sauver l’autre contre son gré ou sans respecter son processus personnel de croissance.
Avoir tendance à se mettre à la place de Dieu
On peut se considérer comme indispensable. On se charge alors d’un poids beaucoup trop lourd pour nous : le Sauveur de l’humanité, c’est Jésus ; pas nous.
Une ambition qui cache une recherche de gloire
Il y a un certain piège de la générosité. Il y a une manière d’aider qui est plus glorieuse, qui fait de nous des bienfaiteurs, … Il y a un feed-back positif pour notre image.
Jésus nous montre dans les lectures de ce jour un chemin beaucoup plus austère, beaucoup plus humble : celui qui passe par la souffrance, bien présente dans toutes les lectures.
« Le grand prêtre que nous avons n’est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu l’épreuve comme nous, et il n’a pas péché. »
L’ambition dont parle Jésus se situe dans la logique du lavement des pieds. Il y a une composante d’humilité caractéristique du Serviteur du Seigneur. Pour nous il s’agit d’avoir le regard tourné vers le Christ en Croix, qui a partagé nos faiblesses. C’est un amour dépouillé, pas tellement un amour de générosité où on peut avoir une certaine gloire.
Cette manière de servir à la suite du Christ a un coût : l’acceptation du sacrifice et de la Croix. On retrouve ici l’évangile du grain de blé. Comme le dit le chant :
Ce chant reprend le verset bien connu de l’évangile de saint Jean :
« Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. » (Jn 12, 24-25)
Jésus est revenu souvent sur cela avec ses disciples :
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. » (Mc 8, 34-35 ; Mt 10, 39 et 16, 25 ; Lc 9, 24 et 17, 33)
Cette logique évangélique rencontre beaucoup de résistance en nous.
Lorsqu’on vient en aide aux autres, il peut nous arriver de désirer (plus ou moins consciemment) susciter l’admiration des autres. Dans ce cas, on est vite blessé quand les autres ne reconnaissent pas assez notre générosité. On se considère alors comme victime. Jésus purifie leur ambition du souhait excessif d’être reconnus.
L’humilité est la composante essentielle de ce que Raniero Cantalamessa appelle un amour de souffrance (accepter de souffrir par l’autre et pour l’autre). C’est cet amour qui transparaît à l’évidence dans la première lecture de ce jour (Is 53, 10-11) :
« Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. Mais, s’il fait de sa vie un sacrifice d’expiation, il verra sa descendance, il prolongera ses jours : par lui s’accomplira la volonté du Seigneur. A cause de ses souffrances, il verra la lumière, il sera comblé. Parce qu’il a connu la souffrance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs péchés. »
Le prophète Isaïe vient redonner des raisons de vivre et d’espérer, des raisons de tenir le coup, malgré tout. Le message d’Isaïe tient en trois points :
- premièrement, dans votre souffrance, Dieu est à côté de vous
- deuxièmement, vous pouvez donner un sens à cette souffrance ;
- troisièmement, vous pouvez contribuer à l’œuvre de Dieu.
Dieu se penche sur toute souffrance. Déjà Moïse, dans l’épisode du buisson ardent, avait compris que Dieu entend le cri de ceux qui souffrent, qui sont opprimés. La souffrance reste un Mystère ; mais au sein même de la souffrance il y a un chemin de lumière.
« Par lui (par le serviteur), s’accomplira la volonté du Seigneur. »
En conclusion, tournons-nous vers Marie, l’humble servante du Seigneur. Elle n’hésite pas à dire :
« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. »
Elle n’a rien de rabougri.
Celle que l’on appelle la « petite Thérèse » n’a rien de recroquevillé. Elle avait de grands désirs :
« Dans l’Église ma Mère, je serai l’amour. »
« Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre. »
Elle n’avait rien de pusillanime.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 53,10-11.
- Psaume 33(32),4-5.18-19.20.22.
- Lettre aux Hébreux 4,14-16.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 10,35-45 :
Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent :
— « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. »
Il leur dit :
— « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »
Ils lui répondirent :
— « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »
Jésus leur dit :
— « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? »
Ils lui dirent :
— « Nous le pouvons. »
Jésus leur dit :
— « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé.
Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
Jésus les appela et leur dit :
— « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »