Homélie du 24e dimanche du Temps Ordinaire

20 septembre 2011

Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? »
Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs,
Pardonnez-moi de commencer cette homélie par une image qui n’est pas très bucolique, mais elle est nécessaire pour illustrer l’importance du pardon.
Imaginez-vous à Paris après une grève des éboueurs qui a duré trois mois. Il y a des ordures partout : ce n’est pas très décoratif. Mais cela ne s’arrête pas là : la circulation est compliquée car il y a des amoncellements de déchets partout. Sans parler des odeurs, car c’est en plein mois d’août.
Je ne dis rien sur les problèmes sanitaires que cela engendre. Vous imaginez bien ?

Maintenant, vous transposez cette image à nos relations humaines. Sans pardon, il y a comme une accumulation de rancœurs et d’amertumes qui sentent mauvais (on ne les voit pas toujours mais, c’est comme un fromage qu’on a oublié au fond d’un placard : on sait qu’il y a un problème).
Les gens ne vont pas bien. La circulation aussi est difficile : quand vous allez à droite, vous butez sur quelque chose ; si vous allez à gauche, c’est mal interprété. C’est comme devant un terrain miné : on ne sait pas très bien dans quelle direction avancer… du coup on n’avance pas !
J’aime ce que dit le Père Mombourquette à propos de la vengeance. Il y a une vengeance active : faire mal à l’autre. Mais il y a aussi une vengeance passive, c’est d’arrêter de vivre et d’arrêter de créer de la vie alentour de nous, arrêter de faire en sorte que les autres soient heureux. On se referme sur sa blessure, on reste fâché ; on se rabougrit.

La scène que décrit Jésus dans la parabole de ce jour est très suggestive :

« Le serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : ’Rembourse ta dette !’
Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : ’Prends patience envers moi, et je te rembourserai.’
Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé. »

Il y a d’abord une violence. Mais ensuite, il le fait enfermer jusqu’à ce qu’il ait tout remboursé.
Le non-pardon enferme dans le passé ; on fait « payer » à l’autre son mauvais comportement. Tant que l’on considère qu’il ne nous a pas « payé », nous le laissons enfermé. Sans pardon, le passé nous colle à la peau. Nous sommes classés, étiquetés, marqués de façon indélébile, regardés à travers le prisme de la faute que nous avons commise. Il n’y a plus d’espérance.

Il y a deux obstacles au pardon : Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut pardonner. Le problème, c’est de passer à l’acte.
Dans la parabole que Jésus adresse à Pierre, Jésus indique au moins deux obstacles au pardon. Je vous propose de nous arrêter un peu sur ces deux obstacles afin que nous puissions progresser dans le pardon.

Grossir les offenses subies et minimiser les pardons reçus

Ce qui frappe dans cette parabole, c’est la disproportion des dettes : 600.000 fois. Notre compteur ne marche pas de la même façon pour les offenses subies et les offenses que nous avons commises. Nous voyons davantage le préjudice qui nous a été fait que celui que nous avons causé à Dieu. Nous ne savons pas toujours quoi dire dans notre confession.
Bien souvent, nos offenses envers Dieu ne nous empêchent pas de dormir. A ce propos, le curé d’Ars disait :

« Nous commettons les péchés comme on boit de l’eau, sans crainte ni remords. Nous nous enfonçons dans cette boue, nous y croupissons comme des taupes, des mois, des années ! »

Au fond, nous ne prêtons guère attention au fait que Dieu nous pardonne. Nous avons assez peu conscience d’être des pêcheurs pardonnés.
Il nous faut donc travailler notre conscience d’être pardonné.

« Quel est celui qui aimera le plus : celui à qui on a beaucoup remis ou celui à qui on a peu remis ? » (Lc 7, 42s)
« Celui à qui l’on pardonne peu, aime peu. »

Dans son évangile, Saint Luc montre combien le pardon est source de grande joie.


Pour avoir une conscience plus vive du pardon de Dieu à notre égard, il est nécessaire de lire la Parole de Dieu et notamment les récits de la Passion, de contempler la Croix de Jésus.
D’ailleurs, à la suite de son attentat du 13 mai 1981, Jean-Paul II avait dit qu’il avait pu pardonner à son agresseur (Ali Agça) dès le trajet en ambulance.
Il y voyait l’œuvre de la grâce qui nous vient de la Croix de Jésus.

Rester dans le raisonnement et le calcul

Le deuxième obstacle consiste à rester dans le raisonnement et le calcul. Quand nous avons été lésés, nous avons le sentiment que nous sommes la victime. Il est vrai que pardonner, c’est consentir à une perte. Tant qu’on ne consent pas à cette perte, nous sommes comme bloqués pour avancer.
Comme le disait très bien Jean-Paul II dans le message pour la paix qu’il a rédigé à la suite des attentats du 11 septembre :

« Le pardon comporte toujours, à court terme, une perte apparente, tandis qu’à long terme, il assure un gain réel.
La violence est exactement le contraire : elle opte pour un gain à brève échéance, mais se prépare pour l’avenir lointain une perte réelle et permanente. » (n° 10)

Il faut consentir à une perte. Il faut arrêter de discutailler à l’intérieur de nous-mêmes. A un certain moment, nous sommes appelés à larguer les amarres de façon à pouvoir avancer en eau profonde (cf. Lc 5). A un certain moment, il nous faut quitter le rivage des raisonnements et des calculs.

Dans la parabole de ce jour, Jésus laisse entendre que c’est plutôt celui qui a offensé qui se trouve dans une situation de demande, de besoin de pardon.
Comme le disait encore Jean-Paul II :

« Tout être humain nourrit en lui-même l’espérance de pouvoir recommencer une période de sa vie, et de ne pas demeurer à jamais prisonnier de ses erreurs et de ses fautes. Il rêve de pouvoir à nouveau lever les yeux vers l’avenir, pour découvrir qu’il a encore la possibilité de faire confiance et de s’engager. » (n° 8)

Nous sommes appelés à nous laisser toucher par la détresse de l’autre comme Dieu s’est laissé toucher par notre détresse. Nous sommes appelés à nous laisser saisir de pitié en ce qu’elle a de beau. La pitié, par définition, c’est l’émotion qui nous prend aux entrailles, c’est se laisser toucher le cœur par le malheur de l’autre. Ce n’est pas là un sentiment condescendant teinté d’un certain mépris. C’est quelque chose de beau.
Cette pitié ne nous est pas naturelle et la question de Pierre le prouve bien ; même quand nous sommes bien intentionnés, disposés à pardonner, nous voudrions quand même bien ne pas nous laisser entraîner trop loin ! Or le maître de la parabole est allé beaucoup plus loin que ce que lui demandait le serviteur. Il lui demandait de la patience pour être remboursé et le maître lui remet tout.
Pour avancer dans ce sens de nous laisser saisir de pitié, nous pouvons nous nourrir de l’exemple de quelqu’un qui a réussi à pardonner.

En conclusion, je vous propose de relire un passage de la Passion ou de contempler la Croix de Jésus et d’y lire, au-delà des grandes souffrances de Jésus, l’amour qui l’a conduit à vous remettre votre dette,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Ecclésiastique 27,30.28,1-7.
  • Psaume 103(102), 1-2.3-4.9-10.11-12.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 14,7-9.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 18,21-35 :

Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? »
Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
En effet, le Royaume des cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette.
Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : ’Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.’
Saisi de pitié, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.
Mais, en sortant, le serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : ’Rembourse ta dette !’
Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : ’Prends patience envers moi, et je te rembourserai.’
Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé. Ses compagnons, en voyant cela, furent profondément attristés et allèrent tout raconter à leur maître.
Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : ’Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié.
Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’
Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il ait tout remboursé.
C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur. »