Homélie du 22e dimanche du Temps Ordinaire

1er septembre 2020

« Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera.
Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,
Comme vous le savez, il y a un dimanche des vocations, traditionnellement le jour de la fête du Bon pasteur, durant le temps pascal. Mais, à cause des lectures que nous venons d’entendre, j’aimerais donner également à cette journée le nom de dimanche des vocations. De quoi s’agit-il ?

Une crise de vocation après l’appel

Jérémie, le grand prophète

On voit le prophète Jérémie qui en a assez parce qu’il est soumis à la raillerie :

« La parole de Dieu attire sur moi l’insulte et la moquerie. »

On le sait bien, être prophète c’est être rejeté, car on met le doigt sur ce qui fait mal.
On peut noter la différence qu’il y a avec les débuts de sa vocation : au contraire, il était choisi dès le sein maternel, il était envoyé pour construire et détruire, pour planter et arracher…
Il y a donc comme un élan au début de sa vocation, et là on le voit traverser comme une crise dans son appel :

« Je ne parlerai plus en son nom ! Je ne penserai plus à lui ! … »

C’est touchant de voir Jérémie, un si grand prophète, pouvoir exprimer les sentiments par lesquels il passe et qui peuvent aussi nous habiter. Après l’élan des débuts, il y a un moment donné une sorte de crise des vocations, dans le sens de la lassitude. On peut en avoir assez de son conjoint qui a toujours le nez au milieu de la figure – il a toujours les mêmes manières, les mêmes manies… Et c’est la même chose en communauté.

Pour Jérémie, c’est encore plus fort, car il était enfermé dans une citerne ; c’est de là que vient le mot « jérémiade », en souvenir de ses plaintes d’être maltraité.

Mais l’on pourrait se demande ce qui fait qu’il soit revenu à sa vocation première :

« Tu m’as séduit, Seigneur et je me suis laissé séduire.
C’était comme un feu brûlant dans mon cœur, je m’épuisais à le maîtriser. »

Même s’il sent qu’il est dans un moment de difficulté, de « ras le bol », de colère face au Seigneur :

« Je ne parlerai plus en ton nom… »

Même s’il connaît cette difficulté, il revient à ce qu’est sa vocation originelle. C’est ce qu’il se passe dans toute vocation : il faut passer du projet à la promesse. Pour ce qui est du projet, il avait reçu la parole du Seigneur qui l’a appelé, et il était ainsi plein d’idées de ce qu’allait être son ministère prophétique, mais cela ne s’est pas passé comme ça. Il faut ensuite passer à la promesse.

Nous l’avons entendu dans le verset alléluiatique qui précède l’Évangile :

« Que le père de notre Seigneur Jésus-Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur pour que nous percevions l’Espérance que donne son appel. »

Il a rejailli dans l’Espérance. Il est passé de ce qui pouvait son appel à la promesse de Dieu. Il dit :

« C’était enfermé dans mes os, et je ne pouvais le contenir… »

Je me serais nié moi-même si je ne répondais plus, si je ne parlais plus au nom du Seigneur, même si cela me vaut des insultes, des moqueries, etc…

Pierre, le grand apôtre

D’une manière différente, Saint Pierre, alors qu’on l’avait quitté rempli de Foi :

« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »
« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les puissances de la mort n’auront pas puissance sur elle. »

Dans cette exaltation, c’est une sorte de deuxième appel pour devenir chef des apôtres, devenir colonne de l’Église après le premier appel sur la plage :

« Laissant leurs filets, ils le suivirent… »

Mais après ce deuxième appel, Jésus lui dit :

« Passe derrière moi Satan ! Tes pensées sont celles des hommes, non pas de Dieu. »

D’une certaine manière, cela ressemble à l’histoire de Jérémie : il y a une sorte de crise de vocation : alors que Jésus fait la première annonce de la passion, Pierre n’accepte pas.

« Non, Seigneur, cela ne t’arrivera pas. »

On voit que sa vocation, son appel est déstabilisé, car ce n’est pas ce style de messie qu’il voulait servir, ce n’est pas de cette manière là qu’il voyait les choses. Et on imagine l’humiliation : être traité de « Satan » devant les autres, alors que Jésus lui disait l’instant d’avant qu’Il bâtirait Son Église sur lui… Ce contraste est saisissant. Il a du ainsi passer du projet à la promesse, et il a du passer par la Croix et découvrir que la Croix est le lieu où l’Église allait se construire.
Et lui-même terminera sa vie terrestre crucifié, la tête en bas ne se jugeant pas digne de mourir comme son sauveur, mais parce qu’il est rentré dans la promesse de Dieu et dans l’Espérance que donne Son appel.

Je trouve que la correspondance de ces figures à des siècles de distance est très belle. Cela nous rappelle aussi que, dans nos vies, il y a des moments de découragement, des moments où on ne comprend pas, où n’est pas d’accord avec le Seigneur, où l’on trouve les choses injustes, où l’on a de la colère en nous. C’est une épreuve, et on le sait bien, l’épreuve c’est aussi la tentation : ailleurs, l’herbe sera plus verte.
Et qu’est-ce qui fait revenir ensuite à l’appel de Dieu, c’est précisément cette conscience d’avoir été choisi.

La réponse à l’appel passe par la Croix

En ce qui concerne l’apôtre Paul, on ne voit pas ce moment de crise de vocation, tout du moins, l’Écriture n’y fait pas de référence. On sait qu’il a été maltraité, fouetté, son navire a été coulé, il a été emprisonné. Et je me dis qu’au fond, dès le départ, son appel a été marqué par la Croix du Christ.

« Ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »

Il y a cet appel sur le chemin de Damas, ensuite il est resté aveugle et est allé voir Ananie pour être libéré et retrouver la vue, ensuite il est parti au désert. Pensons à tout ce à quoi il a renoncé : c’était quelqu’un de prometteur dans le Pharisaïsme. Il aurait pu être docteur de la loi, s’il avait passé ses examens. Il aurait certainement eu un poste car c’était un homme brillant. Et il a du renoncer à tout cela pour le Christ :

« Tout cela, je l’ai considéré comme des balayures, des ordures, face au bien qu’est le Christ… »

Son appel a été directement lié à la Croix. Et c’est certainement celui qui – dans les épîtres – parle le plus de la crucifixion, qui fait le plus référence à l’expérience de la Passion. Et d’une certaine manière, il l’a vécu sur le chemin de Damas :

« Je suis Jésus que tu persécutes… »

Sa vocation a été enracinée dans la Passion et dans la Croix du Christ, dans une certaine souffrance. C’est différent d’être transporté par l’appel de Dieu, avec une vague d’enthousiasme qui touche la sensibilité et l’affectivité.
Cela n’a pas commencé comme ça pour Paul : cela a commencé difficilement.

Difficilement aussi quand il a commencé son ministère : il n’a pas été approuvé par les anciens et les apôtres et s’est tourné vers les païens :

« C’est vers les païens que j’irai… »

On peut entrevoir là une nature torturée, anxieuse, compliquée. Et il est intéressant de voir qu’il y a un passage dans nos vies – et peut-être même plusieurs passages – où il faut que nous passions du projet à la promesse. Il y a plusieurs périodes où il faut que nous laissions ce que nous pensions être l’appel du Seigneur pour accueillir autre chose. Et ces moments là sont toujours crucifiants, car il n’y a pas de réponse à l’appel dans l’Évangile si ce n’est une réponse à l’annonce de la Passion, qui est aussi notre annonce. C’est différent de celle du Christ, mais c’est aussi notre annonce, c’est aussi notre chemin.

Ainsi, nous allons demander au Seigneur les uns pour les autres, là où nous en sommes dans notre vie familiale, professionnelle, matrimoniale ou religieuse, que nous puissions revisiter, que nous ayons la force de voir l’Espérance que donne Son appel, que nous ne soyons pas dans le découragement. On imagine Pierre après cette parole, penaud, découragé, voire triste : être traité de Satan alors que c’était lui le fondement de l’Église…
Demandons au Seigneur que ces moments de tentation, d’épreuve, où nous avons envie de tout laisser tomber – peut-être comme Pierre l’a ressenti – que nous puissions revenir à nos premières amours, revenir à cette Espérance que donne Son appel,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Jérémie 20,7-9.
  • Psaume 63(62),2.3-4.5-6.8-9.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 12,1-2.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 16,21-27 :

En ce temps-là, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter.
Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches :
— « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. »
Mais lui, se retournant, dit à Pierre :
— « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera.
Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ?
Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. »