Texte de l’homélie :
Quand on médite sur un passage de l’Évangile, il faut toujours le resituer : qu’y a t-il eu avant ? qu’y a-t-il eu après ?
Dans ce récit, Matthieu nous rapporte d’abord la multiplication des pains, puis il nous relate des miracles. Il y a ensuite la première annonce de la Passion, puis, il y a la Transfiguration. Et c’est important que ce soit dans cet ordre là qu’apparaît la profession de foi de Pierre : elle a lieu avant l’annonce de la Passion et la Transfiguration.
Même si nous n’avons pas été témoin des miracles comme Pierre l’a été, nous nous trouvons aussi dans cette situation où nous devons faire cet acte de Foi. Nous avons expérimenté la présence du Seigneur, il y a eu aussi - pour la plupart d’entre nous - l’expérience du passage d’une foi reçue à une foi plus personnelle. C’est cette étape qui est intéressante à regarder aujourd’hui, car cette foi de Pierre est en même temps le commencement de l’Église, l’institution de l’Église.
Dans Marc, ce récit est au tout début de l’Évangile, quand : Jésus institua les douze. Parfois, on fait l’opposition, en disant que l’on croit en Jésus, mais que l’on ne croit pas en l’Église. Dans le texte d’aujourd’hui, on voit que ce n’est pas ce qui est dit :
« Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église. »
Cette intuition de fonder une Église est tout à fait extraordinaire ! Ce n’est pas dans la lignée de la tradition juive : les Chrétiens sont les seuls à avoir cette notion d’Église. Dans l’Islam non plus, pas plus que dans les religions et philosophies asiatiques. Car pour avoir cette notion d’Église, il faut avoir celle de l’Incarnation.
Puis, juste après cette déclaration de Pierre, Jésus lui confie le pouvoir des clefs :
« Ce que tu as lié sur la terre sera lié dans les cieux,
ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »
Imaginons-nous bien l’énorme portée de cette parole ? Les actes que vont porter les apôtres et leurs successeurs, et ceux qui les assistent, retentissent dans l’Eternité. Et, si vous vous êtes confessés il n’y a pas trop longtemps, vous vous rappelez que pour l’absolution, le prêtre dit :
« Je te pardonne tous tes péchés. »
Il ne dit pas : « Jésus te pardonne », ou « le Père te pardonne », mais il dit « Je te pardonne », en personne même du Christ. C’est le signe de l’Incarnation continuée, c’est le Christ continué.
C’est important car souvent, on ne voit que le côté humain et horizontal.
En effet, avec la profession de Foi de Pierre, nous sommes à la naissance de l’Église et l’on voit tout de suite qu’il y a un lien avec la réalité céleste. Cela nous invite à une action de grâce car nous sommes la religion des médiations. C’est une religion des personnes, ce n’est pas une religion du livre, comme le sont l’Islam et le Judaïsme.
L’Évangile sont plus de l’ordre du témoignage sur une personne : la personne de Jésus. On ne dit pas que c’est un livre sacré écrit par Dieu Lui-même comme on le dirait dans ces deux autres traditions.
C’est intéressant de voir que nous sommes la religion de la personne, car nous nous appuyons sur la personne du Christ. Et dans l’humanité du Christ, il y a un lien, une médiation : Il est le grand médiateur entre Dieu et les hommes. Par l’humanité du Christ, il y a une médiation entre le monde du ciel et le monde de la terre : Il appartient aux deux. C’est la que réside différence entre un médiateur et un intermédiaire : Jésus n’est pas un intermédiaire : Il est médiateur, ce n’est pas du tout pareil. L’intermédiaire n’appartient à aucune de deux parties, alors que le médiateur appartient aux deux parties, ce qui fait que sa parole est certaine.
Et quand Il donne ce pouvoir à Pierre, qui devient par là même le chef des apôtres - et jusqu’à maintenant à travers ses successeurs – on voit bien qu’il y a une insistance sur ce côté de médiation de l’Église.
Sans doutes n’en prenons-nous pas assez conscience car cela nous paraît évident, mais rappelons-nous que la naissance du protestantisme est venue sur un rejet de l’Église comme médiation. Certainement, les témoignages donnés à l’époque de Luther étaient contraires aux évangiles, ce qui les a amenés à déclarer : « Dieu seul » et « sola scriptura », c’est à dire « l’écriture seule ». On revient à la religion du livre. C’est intéressant car nous voyons qu’en tant que Catholique, nous ne sommes pas dans cette relation là, nous sommes dans la religion de la personne.
Nous nous identifions plus naturellement à Pierre, celui qui a abandonné Jésus et a même été jusqu’à apostasier. Et c’est sur celui-ci qu’il fonde Son Église. C’est à dire que la confiance que le Seigneur nous fait à nous baptisés – et spécialement à nous consacrés ou prêtres – nous amène à signifier le Royaume, à le montrer.
Et voici la logique des sacrements dans l’Église : ce sont des lieux de rencontre entre le Ciel et la Terre.
Ce sont des lieux de médiation : à travers des choses visibles, sensibles, je témoigne de choses invisibles, dont l’accès n’est pas possible dans les cinq sens.
Et d’une certaine manière, nous sommes la religion du vertige ! C’est vertigineux de dire qu’un homme pécheur peut vous pardonner vos péchés, qu’il lie dans le Ciel ce qu’il lie sur la Terre, et qu’il délie au Ciel ce qu’il délie sur la Terre… Entre le Ciel et la Terre… C’est extraordinaire !
Cela procède aussi à donner à la personne humaine une dignité suréminente… Si on croit qu’une personne humaine – comme les apôtres et leurs successeurs – peut être médiatrice de la grâce, c’est que nos humanités ont un prix extraordinaire aux yeux de Dieu !
On parle des droits de l’homme, et c’est bien. Mais l’homme est là : dans la confession, dans la profession de Foi de Pierre, et dans cette promesse de Jésus :
« Ce que tu auras délié sur Terre sera délié dans les Cieux,
Ce que tu auras lié sur Terre sera lié dans les Cieux. »
Cela donne un poids à la personne humaine. Nos actes retentissent dans l’Éternité. C’est quelque chose de très puissant, et le revers de cela, c’est qu’il y a des contre-témoignages. L’Église est faite de pécheurs, déjà parmi les baptisés. Mais cette volonté de Jésus de Se continuer dans nos humanités – l’Église, c’est le Christ continué – est un signe très fort.
C’est bien de pouvoir changer de regard et nous mettre dans une attitude de profonde humilité car, qui sommes nous pour lier et délier ce qui est au Ciel. Justement, le Seigneur nous apprend à nous faire confiance : connaissant nos humanités blessées, nos psychologies blessées, voilà ce que Dieu a choisi.
Ce sont des choses que vous savez déjà, mais nous pouvons redemander au Seigneur de se laisser émerveiller par cette grâce de l’institution de l’Église, voulue par le Christ de Son vivant. Ce n’est pas une invention : c’est vraiment un volonté explicite du Christ pour pouvoir être témoins de l’invisible. Voilà notre mission,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 22,19-23.
- Psaume 138(137),1-2a.2bc-3.6a.8.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 11,33-36.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 16,13-20 :
En ce temps-là, Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples :
— « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? »
Ils répondirent :
— « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
Jésus leur demanda :
— « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Alors Simon-Pierre prit la parole et dit :
— « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »
Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit :
— « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux.
Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.
Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne que c’était lui le Christ.