Homélie du 12e dimanche du Temps Ordinaire

26 juin 2024

Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! »
Le vent tomba, et il se fit un grand calme.

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs bien-aimés, comme vous le savez peut-être, l’Hébreu a la particularité qu’il ne s’écrit qu’avec des consonnes. Ce qui fait que dans les mots que l’on écrit, en fonction des voyelles que l’on emploie, différentes significations apparaissent.

Dans l’Hébreu, on a aussi le phénomène des mots « valises » qui englobent d’autres réalités, d’autres significations. Il en va de cette question pour le mot « rive » qui a les mêmes consonnes que le mot « langue ». Ainsi, passer sur l’autre rive, c’est parler une autre langue.

Et ce sujet de passer sur l’autre rive est intéressant pour celles et ceux qui se préparent au mariage : il s’agit d’apprendre une autre langue, apprendre la langue de l’autre, jusqu’à en devenir traducteur pour ainsi dire.

On le sait bien, le mariage est le seul sacrement que l’on reçoit à deux, tous les autres se reçoivent seul. C’est le sacrement de l’autre rive qui amène à apprendre à décoder le langage de l’autre, la vision de l’autre. En effet, d’une rive vous avez une vision de l’autre rive, et si vous traversez, vous avez une autre vision.

De même, on comprend le lien avec la langue car cela correspond à une vision du monde, une manière d’envisager événements et personnes. Une langue représente toute une culture.

Ainsi, il est intéressant de voir que Jésus nous invite à passer sur l’autre rive, à nous laisser bousculer intérieurement pour comprendre le point de vue de l’autre. On voit bien que c’est compliqué, c’est ce que l’on appelle en communication non violente : "aller sur la colline de l’autre". Et c’est le cœur même de la vie matrimoniale et parfois sa difficulté, car l’on voit bien que l’on peut essuyer des tempêtes quand on va sur l’autre rive.

Cela arrive principalement parce que l’on sort de sa zone de confort, de ce dont j’ai l’habitude : je voudrais tellement que tout le monde parle ma langue, ait la même vision du monde que moi… Et bien entendu, vous faites le lien avec l’histoire Babel et ce temps où - selon la tradition biblique - il n’y avait qu’une seule langue sur la terre, qu’un seul chemin et qu’une seule vision.

Vous rappelez-vous de cette phrase du pape Benoît XVI à qui on demandait : « Combien de chemin il y avait pour aller vers Dieu ? » en pensant qu’il allait répondre : « Un seul, celui de la Foi catholique » et qui a répondu : « Autant que de personnes »…

Accueillir le chemin de Dieu vers l’autre n’est pas simple : ça demande un vrai changement pour accueillir l’altérité. Et parfois, on peut être désemparé dans la vie matrimoniale comme dans la vie communautaire, car il n’y a pas que deux rives dans la vie communautaire, il y en a une vingtaine et l’on voit bien que de faire quelque chose de commun avec des rives différentes est un véritable challenge !

Et en cela, la présence de la transcendance peut nous aider. En effet, dans ce passage d’Évangile, Dieu est là au milieu de cette tempête, et Il vient nous accompagner dans ce passage vers l’autre rive. Quand on entend "passage", le lien doit être fait avec la Pâque, car elle représente un passage de la mort à la vie. Et en ce jour où nous vivons comme des ressuscités, nous faisons du passage de la Pâque notre mode d’emploi, notre manière de faire, d’envisager événements et personnes. On voit bien que c’est quelque chose qui nous déplace car, comme Saint Paul le rappelle dans la deuxième lecture :

« A présent nous ne connaissons personne à la manière humaine. »

Il n’y a pas seulement une manière psychologique d’envisager l’autre, mais si dans un regard de Foi je découvre l’autre, et singulièrement dans le couple, comme celui qui m’a été donné par le Seigneur. Vous me direz que ça dépend un peu des jours, on ne voit pas tout le temps l’autre comme un don de Dieu, mais pas toujours est-il que rencontrer l’autre est ce qu’il vous est arrivé de mieux dans votre vie. Personnellement, c’est de rencontrer la communauté qui m’est arrivé de mieux, même si ce n’est pas toujours simple : il y aune conversion intérieure à opérer, un combat à mener, une tempête à traverser, mais Dieu est dans la tempête.

Ainsi, je trouve cela intéressant de considérer le sacrement de mariage comme « le sacrement de l’autre rive ». C’est le sacrement qui vous met dans une situation où vous êtes invité à vous déplacer intérieurement, et où vous ne pouvez pas éviter un travail sur vous même. Par exemple, se déplacer intérieurement signifie que le rapport au temps de l’autre est à accueillir, tout comme la vision de la manière qu’il a de s’organiser, sa manière de cuisiner. Chacun a ses « trucs » particuliers et est persuadé que sa rive est la bonne. Certes, elle est bonne, mais sur celle de l’autre, il y a aussi de bonnes choses à prendre…

Comme vous le voyez, c’est tout un exercice spirituel et l’on voit que l’on a besoin d’un sacrement car il apporte la présence du Seigneur au cœur même du couple qui permet de ne pas se laisser décourager par les tempêtes. Parfois, on se dit qu’on n’arrive plus du tout à se comprendre, qu’on est à des années lumières l’un de l’autre, ces situations arrivent dans certains couples. Et dans ces moments de découragement, il est fondamental de se rappeler que Jésus est là au milieu du couple par le sacrement et que même s’Il semble dormir, Il est là, il est capable d’apaiser les choses.

Par Sa Pâque, le sacrement de la Pâque que nous partageons dans l’Eucharistie, celui de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Seigneur, Jésus nous apporte une pédagogie pour nous permettre d’apprendre le langage de l’autre. Car s’il en est un qui est passé sur l’autre rive, c’est vraiment le Christ !

« Ne retenant pas le rang qui l’égalait à Dieu, il s’est anéanti lui-même devenant serviteur. »

Des tempêtes, le Christ en a subi aussi.

Ainsi, l’Eucharistie nous apporte une pédagogie qui nous permet de comprendre comment Dieu veut nous rejoindre, Lui qui a pris ce risque de l’incarnation pour pouvoir nous sauver de cette toute puissance qui nous fait croire qu’il n’y a qu’une rive et qui nous rend malheureux.

Vous qui vous préparez au mariage, vous avez sans doutes déjà touché du doigt vos limites dans l’accueil de l’autre, ce que l’on appelle l’altérité. Le fait que l’autre soit autre que moi et qu’il ait une autre vision que moi me dérange. Et c’est parce que vous avez découvert ces limites-là que vous progresserez spirituellement.

Demandez précisément cette grâce au Seigneur le jour de vos noces, celle de devenir des passeurs. Comme fiancés et futurs mariés, vous êtes des passeurs de vie, naturellement, passeurs d’amour dans un monde qui s’enferme de plus en plus et qui se réduit de plus en plus. On voit bien cette peur de l’autre qui vient me menacer comme cette tempête : il a une autre langue, une autre vision du monde…

Et justement vous, comme fiancés et futurs mariés, vous êtes là pour témoigner des différences dans votre couple. Nous avons tous des visions différentes car chaque famille est un monde en soi, et même si vous épousez quelqu’un du même village et de la même rue, chaque famille est unique, comme une autre rive.

C’est cette grâce que vous recevez au moment du mariage : vous êtes témoin que la vie avec l’autre comme autre que moi - à commencer par la différence homme et femme – avec sa famille, son éducation, permet tout de même une communion. L’altérité – le fait que l’autre soit sur une autre rive – est une des conditions de la communion. Il n’y a pas de communion avec une clone, ça n’existe pas, cela n’est possible qu’avec une personne qui est autre que moi.

Quand on étudie la Trinité, on voit que les personnes divines – Père, Fils et Esprit-Saint – sont encore plus distinctes que n’importe quelle personne humaine et encore plus en communion que les amoureux les plus transis…

Cette distinction, cette différence, « l’autre rive », est une condition de la communion. A la fois il y a du commun, et à la fois il y a du différent. Et c’est toute la difficulté du couple et de la société au sens large : comment dire « je » et à la fois dire « nous ». Et avec le sacrement de mariage, vous avez une grâce particulière et donc un logiciel particulier. En effet, modestement, avec vos hauts et vos bas vous dites au monde que c’est possible. Pourtant, au départ, vous voyez vos différences, ce qui vous sépare, puis, progressivement, vous avez appris le langage de l’autre, vous êtes allés sur la colline de l’autre. C’est pour cela que vous êtes une source d’espérance pour le monde.

Vous êtes une source d’Espérance pour le monde car vous dites qu’un chemin est possible à travers la mer. Vous savez que pour le peuple hébreu, le monde des eaux et de la mer représente le mal. L’image de Jésus qui marche sur les flots signifie qu’Il marche sur le mal.

Cela signifie aussi que le mal n’a pas le dernier mot dans notre humanité. Le mal n’a pas le dernier mot dans votre vie. Nous avons expérimenté des difficultés, des troubles et des tempêtes, mais le Seigneur Lui-même est présent et Il nous aide à faire ce passage, à faire cette Pâques.

Chers fiancés, et vous qui êtes déjà mariés depuis plusieurs années - vous pourriez en dire beaucoup plus et témoigner - ne perdez pas confiance, ne vous découragez pas. Le Seigneur vient Lui-même au cœur de la tempête, Il calme, Il apaise et Il met une limite au mal : « tu n’iras pas plus loin. »

C’est la très belle définition que Jean-Paul II a donnée de la miséricorde : elle est le terme et la limite mise au mal. Ainsi, apprendre à parler la langue de l’autre, c’est expérimenter une miséricorde. L’autre est compris de l’intérieur, il est rejoint dans son fonctionnement. Cela lui laisse aussi la possibilité de s’exprimer. C’est tout le processus de la préparation au mariage que de se découvrir dans ses différences et ses similitudes, et de savoir que c’est parfois compliqué : il y a des tempêtes mais la miséricorde de Dieu est là pour nous donner confiance pour redémarrer ensuite et être dans l’Espérance.

C’est tellement important pour notre société que cela mérite notre implication toute entière : de la santé des couples dépend une société. A l’inverse, la fragilité des couples entraîne la fragilisation d’une société en général, car on l’on n’arrive plus à faire commun avec le différent.

Vous êtes vraiment des témoins. Et notamment, dans les questions que le prêtre vous posera le jour de vos noces, la dernière phrase de l’échange des consentements est intéressante :

« Acceptez-vous votre place dans le monde et dans l’Église ? »

En effet, c’est une messe d’envoi : avec ce sacrement, vous êtes envoyés comme passeurs vers l’autre rive.

Cette démarche est très belle quand on est confiant dans le Seigneur comme vous l’êtes !

Demandons ensemble d’être des témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Job 38,1.8-11.
  • Psaume 107(106),21a.22a.24.25-26a.27b.28-29.30-31.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 5,14-17.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 4,35-41 :

Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. »
Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient.
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait.
Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! »
Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? »
Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »