Homélie du 10e dimanche du Temps Ordinaire

11 juin 2024

« Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs, dans le contexte qui est le nôtre avec les nombreux débats sur la fin de vie, il me paraît très important de m’arrêter plus particulièrement sur la deuxième lecture. Saint Paul nous dit entre autres :

« Notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. »

La perspective de la gloire a aidé des générations de chrétiens à vivre un présent difficile.

Comme toujours, les plus belles choses ont pu être dévoyées. Certains rassuraient les pauvres à bon compte en leur parlant du Ciel sans pour autant s’investir pour améliorer le présent. Marx parle de la religion comme l’opium du peuple dans le sens où elle instrumentalise le Ciel pour inviter le prolétariat à mieux supporter les inégalités sociales, et cela sans pour autant chercher à améliorer leur condition.

Le Concile Vatican II, dans le document Gaudium et Spes signale bien cet écueil :

« L’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine. » (GS 39, §2)

Comme le disait Benoît XVI dans Spe Salvi, bien sûr :

« Il faut faire tout ce qui est possible pour atténuer la souffrance : empêcher, dans la mesure où cela est possible, la souffrance des innocents ; calmer les douleurs ; aider à surmonter les souffrances psychiques. Autant de devoirs aussi bien de la justice que de l’amour qui rentrent dans les exigences fondamentales de l’existence chrétienne et de toute vie vraiment humaine. » (n° 36)

Cette prémisse étant bien posée, nous pouvons reprendre la lecture de saint Paul sans nous laisser arrêter dans notre élan par les maîtres du soupçon.

Je commencerai par vous rappeler l’exemple de François d’Assise à qui la perspective du ciel a redonné un nouvel élan. Puis j’évoquerai trois domaines où la perspective du Ciel nous fait voir les choses autrement : sur les événements de notre vie, sur le corps, sur les biens matériels.

François d’Assise renouvelé par la perspective du Ciel

Beaucoup connaissent le cantique des créatures appelé aussi le cantique de Frère Soleil composé par saint François d’Assise :

« Très Haut, tout puissant et bon Seigneur, à toi louange, gloire, honneur, et toute bénédiction ; à toi seul ils conviennent, O Très-Haut, et nul homme n’est digne de te nommer.
Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère Soleil, par qui tu nous donnes le jour, la lumière ; il est beau, rayonnant d’une grande splendeur, et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les étoiles … Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent … Loué sois-tu, Seigneur, pour notre sœur Eau … Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu … Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre … »

Le fait de connaître les circonstances dans lesquelles François d’Assise composa ce superbe cantique est très éclairant. François écrit ce cantique en 1225, un peu plus d’un an avant sa mort. Sa santé est complètement délabrée. Depuis qu’il était revenu d’Orient, François souffrait d’une ophtalmie purulente. C’est une affection des tissus de l’œil, qui produit du pus et qui rend la lumière du jour difficilement supportable, voire totalement insupportable. Le mal s’est aggravé et François est devenu pratiquement aveugle. Il était, en outre, torturé par des maux de tête d’une extrême violence. Il se trouve dans une petite maison attenante au Monastère de Sœur Claire, plus précisément dans une petite chambre obscure, sans pouvoir supporter ni la lumière du soleil pendant le jour ni la lumière du feu, pendant la nuit : telle est alors la situation de François. Il ne peut pas dormir ni même se reposer tant il souffre… et par-dessus le marché, la chambre dans laquelle il se trouve est infestée de souris qui ne cessent de l’embêter et qui lui courent dessus…
Souffrances physiques, souffrances morales également, car il y a de grandes tensions dans la communauté qu’il a fondée. Certains s’éloignent clairement de la simplicité des commencements et se laissent attirer par un certain prestige. François a le sentiment que tout s’effondre…

« Une nuit, comme il réfléchissait à toutes les tribulations qu’il endurait, il a eu pitié de lui-même et a dit intérieurement : ‘Seigneur, secours-moi dans mes infirmités, pour que j’aie la force de les supporter patiemment !’ Et soudain il a entendu en esprit une voix : ‘Dis-moi, frère : si, en compensation de tes souffrances et tribulations, on te donnait un immense et précieux trésor…, ne te réjouirais-tu pas ? … Réjouis-toi et sois dans l’allégresse au milieu de tes infirmités et tribulations : dès maintenant vis en paix comme si tu partageais déjà mon Royaume. _’ Le lendemain il a dit à ses compagnons… : ‘Dieu m’a donné une telle grâce et bénédiction que, dans sa miséricorde, il a daigné m’assurer, à moi son pauvre et indigne serviteur vivant encore ici-bas, que je partagerais son Royaume. C’est pourquoi, pour sa gloire, pour ma consolation et l’édification du prochain, je veux composer une nouvelle ‘Louange du Seigneur’ pour ses créatures. Chaque jour, celles-ci servent à nos besoins, sans elles nous ne pourrions pas vivre, et par elles le genre humain offense beaucoup le Créateur. Chaque jour aussi nous méconnaissons un si grand bienfait en ne louant pas comme nous le devrions le Créateur et Dispensateur de tous ces dons’
S’asseyant, il se mit à méditer, puis à dire : ‘Très haut, tout-puissant, bon Seigneur’ ; il fit un chant sur ces paroles et l’enseigna à ses compagnons pour qu’ils le disent. »
(Vie de saint François d’Assise dite « Compilation de Pérouse » v. 1311, § 43, trad. Debonnets et Vorreux, Documents, 1968, p. 924)

Cette expérience de François d’Assise rejoint celle de saint Paul dans la deuxième lecture :

« Nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. »

Il est beau de voir que cette perspective de la vie éternelle vient alimenter notre courage et notre espérance.

Cette expérience s’enracine dans la foi comme le dit encore saint Paul :

« L’Écriture dit : ‘J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé.’ Et nous aussi, qui avons le même esprit de foi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et il nous placera près de lui avec vous. Et tout cela, c’est pour vous, afin que la grâce, plus largement répandue dans un plus grand nombre, fasse abonder l’action de grâce pour la gloire de Dieu. »

À chaque disciple, Jésus ressuscité répète ce qu’il a dit un jour à Marthe : « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu ? » (Jn 11, 25-26). Là aussi s’applique le principe : « Ma grâce te suffit ; ma puissance se manifeste pleinement dans la faiblesse » (2 Co 12, 9).

Trois domaines où la perspective du Ciel nous fait voir le monde autrement

Une perspective de foi nous invite à considérer les choses autrement. La perspective de la vie éternelle « recale » les choses, les remet à leur vraie place dans notre vie. Je prends trois éléments.

Un regard différent sur notre vie et les événements

Les événements sont souvent redimensionnés quand on les reconnecte à la finalité ultime de notre vie. La perspective de la vie éternelle nous aide à vivre mieux ici-bas, en mettant les bonnes priorités, notamment dans la relation avec les personnes.

Regardons ces choses de notre lit de mort. Quelle importance accorderions-nous à telle ou telle chose ? À l’occasion d’un différend avec quelqu’un, comment voudrions-nous avoir agi au terme de notre vie : l’avoir emporté ou nous être humiliés ? Avoir gagné, ou avoir pardonné ?
Les Béatitudes sont alors notre vraie boussole.

Un regard différent sur les personnes, sur le corps

C’est un défi dans notre société matérialiste, dans notre civilisation de l’image. Pour reprendre la parole du petit prince : « l’essentiel est invisible aux yeux ». Il est triste d’être trop esclaves de l’apparence.

Il y a quelques temps s’est déroulé de festival de Cannes. À côté de très belles choses, il y a aussi beaucoup de vanité, notamment dans les tenues vestimentaires. Vous connaissez le début du livre de l’Ecclésiaste :

« Vanité des vanités, vanité des vanités, tout est vanité. » (Ecclésiaste 1,2)

Le mot vanité traduit l’hébreu « hebel ». Il existe un sens concret à ce mot : buée, vapeur, fumée … Nous voyons bien que 50 ans après notre corps n’est plus le même !

Les paroles de saint Paul que nous avons entendues sont plus actuelles que jamais :

« Notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. »

Certains d’entre vous se rappellent peut-être des paroles de Jean-Paul II lorsqu’il est venu au Bourget en 1980 :

« Que votre corps soit au service de votre moi profond ! Que vos gestes, vos regards, soient toujours le reflet de votre âme ! Adoration du corps ? Non, jamais ! Mépris du corps ? Pas davantage. Maîtrise du corps ! Oui ! Transfiguration du corps ! Plus encore ! »

Une appréciation différente des biens terrestres

C’est là-aussi un défi dans notre société de consommation. Comme le dit un psaume :

« Quand il meurt, l’homme n’emporte rien avec lui, avec lui ne descend pas sa gloire. » (Ps 49, 18)

Dans l’antiquité, on avait coutume d’enterrer les rois avec leurs bijoux. Ce qui encourageait, bien entendu, la pratique de violer les tombeaux pour en piller les trésors. On a retrouvé des tombes de cette nature, dans lesquelles, pour éloigner les profanateurs, on apposait l’inscription suivante : « Ici, il n’y a que moi ».

On raconte aussi qu’un milliardaire voulait être enterré avec toute sa richesse. Sa veuve se trouvait donc très démunie. Mais heureusement, ils avaient un fils très avisé. Il demanda à sa mère d’évaluer les biens de son époux. Puis il fit un chèque de ce montant qu’il mit dans le cercueil ! Ainsi put-elle continuer à vivre décemment.

Comme le dit bien la sagesse populaire : l’argent est un moyen. Jésus nous le présente aussi comme un moyen au service des relations :

« Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. » (Lc 16, 9)

Conclusion : Demandons à la Vierge Marie, qui est déjà au Ciel avec son corps et son âme, de fortifier notre foi et notre espérance en la vie éternelle,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 3,9-15.
  • Psaume 130(129),1-2.3-4.5-6ab.7bc-8.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 4,13-18.5,1.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 3,20-35 :

En ce temps-là, Jésus revint à la maison, où de nouveau la foule se rassembla, si bien qu’il n’était même pas possible de manger. Les gens de chez lui, l’apprenant, vinrent pour se saisir de lui, car ils affirmaient : « Il a perdu la tête. »
Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient : « Il est possédé par Béelzéboul ; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons. »
Les appelant près de lui, Jésus leur dit en parabole : « Comment Satan peut-il expulser Satan ?
Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut pas tenir.
Si les gens d’une même maison se divisent entre eux, ces gens ne pourront pas tenir.
Si Satan s’est dressé contre lui-même, s’il est divisé, il ne peut pas tenir ; c’en est fini de lui.
Mais personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord ligoté. Alors seulement il pillera sa maison.
Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés.
Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. »
Jésus parla ainsi parce qu’ils avaient dit : « Il est possédé par un esprit impur. »
Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font appeler.

Une foule était assise autour de lui ; et on lui dit : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent. »
Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? »
Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »