Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs, nous voici réunis pour ce que l’Église appelle la « mère de toutes les vigiles », la plus grande nuit de l’année chrétienne, celle où l’on célèbre la Résurrection du Christ.
Après avoir cheminé dans la nuit à la lumière du cierge pascal, celui qui a pris le rôle de diacre a chanté l’Exultet . L’exultet est l’annonce solennelle de la joie de Pâques.
Après nous avoir invités à la joie de Pâques, il a dialogué avec nous comme on le fait au moment de la préface, pendant la messe :
R/. Et avec votre esprit. V/. Élevons notre cœur.
R/. Nous le tournons vers le Seigneur.
V/. Rendons grâce au Seigneur notre Dieu.
R/. Cela est juste et bon. »
Ce dialogue est beau. Il marque comme une pause avant d’aller plus loin dans la célébration du mystère. En effet ce n’est pas un mystère banal que nous célébrons. Nous avons besoin de la grâce de Dieu pour entrer dans le mystère de cette nuit de Pâques.
La salutation « Le Seigneur soit avec vous » que l’on retrouve souvent dans la Bible [Abraham (Gn 15,1), Moïse (Ex 3,12), Gédéon (Jg 6,12), Marie (Lc 1,28), l’Église (Mt 28,20)] et au cours de la messe (au début de la messe, avant l’Évangile, au début de la prière eucharistique, à la bénédiction finale, …), est à la fois la proclamation de la présence vivante de Dieu et le souhait que sa grâce soit avec nous.
C’est une invitation à la confiance devant un mystère qui nous dépasse complètement, à un moment où nous avons conscience de notre petitesse voire notre faiblesse.
Cette salutation s’est poursuivie en nous exhortant à élever notre cœur. Nous avons alors manifesté notre volonté de tourner notre cœur vers le Seigneur. Cela indique l’attitude intérieure qui nous est demandée pour bien goûter cette joie pascale. Il est nécessaire en effet de sortir de nous-mêmes pour aller vers Dieu, de ne pas rester enfermés dans nos soucis ou notre petitesse.
À partir de ce dialogue, l’Exultet, comme la préface à la messe, explicite les motifs de cette joie de Pâques. Il ne s’agit pas d’une louange vague. Pour que notre louange ne soit pas éthérée, il est important de nommer, préciser, célébrer les motifs pour lesquels nous rendons grâce à Dieu aujourd’hui.
Après cette introduction où je voulais vous donner quelques éléments pour apprécier cette pièce majeure que représente l’Exultet de la vigile pascale, je retiendrai trois motifs qu’il donne de la joie pascale :
- la libération opérée par Dieu,
- l’amour manifesté,
- la lumière qui brille dans la nuit.
Nous retrouvons ces motifs de louange dans les nombreuses lectures que nous avons entendues.
La libération
Pour évoquer la libération que nous célébrons en cette nuit, l’Exultet se réfère à un incontournable de cette veillée : le récit de la traversée de la mer Rouge où les hébreux sont sauvés. C’est la troisième lecture tirée du livre de l’Exode que nous avons entendue.
Cette sortie d’Égypte est le prototype de toute libération.
Tout part de cette parole de Dieu à Moïse :
« J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances.
Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays, ruisselant de lait et de miel » (Ex 3, 7-8)
Mais cette délivrance ne se fait pas toute seule. Il y a d’abord les plaies d’Égypte, puis il y a ce départ d’Egypte jusqu’au moment où le peuple se retrouve acculé : devant lui la mer Rouge et derrière lui l’armée de Pharaon, qui arrive sur lui pour les anéantir. Aucune solution. Le peuple voit sa dernière heure arriver.
Moïse se tourne alors vers Dieu et crie vers lui. Dieu lui dit :
« Toi, lève ton bâton, étends le bras sur la mer, fends-la en deux, et que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec. » (Ex 14, 16). Et un peu plus tard : « Le Seigneur dit à Moïse : ‘Étends le bras sur la mer : que les eaux reviennent sur les Égyptiens, leurs chars et leurs guerriers !’ » (Ex 14, 26)
Cet épisode est tellement impressionnant que le peuple juif va en faire mémoire dans la fête de la Pâque (en Hébreu pessah, « passage »). Et chaque année, le peuple juif le revit, il se souvient du moment où Dieu a mis un passage là où il n’y en avait pas, pour sauver Son peuple d’une mort certaine.
Comme le dit le Psaume 30 :
« devant moi, tu as ouvert un passage »
Dans l’impossible, Dieu a ouvert une issue.
Cette traversée de la mer rouge est une annonce, une figure de la mort et de la résurrection de Jésus. Jésus a traversé les eaux de la mort pour nous introduire aux rives de la vraie vie.
En cette nuit, nous célébrons Dieu qui peut nous libérer de l’esclavage du péché comme les Hébreux l’étaient des Égyptiens. Non seulement Il nous pardonne nos péchés mais Il nous donne Sa grâce de sortir de nos mauvaises habitudes.
Il peut nous libérer de la mort comme Il l’a fait pour Jésus. Il nous ouvre le chemin de la vie éternelle.
Dieu peut ouvrir une issue là où tout semble bloqué. Il peut le faire de manière étonnante car comme le disait Isaïe dans la cinquième lecture :
« Autant le ciel est élevé au- dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées au-dessus de vos pensées. »
Comme le dit le Psaume 76
« Par la mer passait ton chemin, tes sentiers, par les eaux profondes ; et nul n’en connaît la trace »
Avec Jésus, il n’y a plus de situation désespérée. Par Sa mort et Sa résurrection, Il nous a ouvert une espérance que nous célébrons d’une manière particulière en cette année de Jubilé.
L’amour vainqueur
L’Exultet proclame un deuxième motif particulièrement fort de cette joie pascale :
« À quoi nous servirait-il de naître sans le bonheur d’être sauvés ?
Ô merveilleuse condescendance de ta tendresse envers nous ! inestimable choix de ton amour : pour racheter l’esclave, tu as livré le Fils ! Il fallait le péché d’Adam que la mort du Christ abolit.
Ô bienheureuse faute qui nous valut un si grand Rédempteur ! »
C’est sans doute le passage le plus célèbre de l’Exultet : « felix culpa » . Le péché d’Adam, cause du malheur humain, est ici paradoxalement chanté comme heureux, car il a appelé une réponse de Dieu plus grande que le mal. Ce n’est pas une glorification du péché, mais une contemplation émerveillée de la miséricorde divine, capable de transformer la faute en occasion de grâce surabondante.
C’est un si beau retournement qui trouve son origine dans l’amour de Dieu. Ce retournement était déjà annoncé par le patriarche Joseph qui, au terme de tant de péripéties douloureuses, peut affirmer :
« Vous aviez voulu me faire du mal, Dieu a voulu le changer en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui : préserver la vie d’un peuple nombreux. » (Gn 50, 20)
C’est ce qui permet à saint Paul d’affirmer :
« Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (Rm 8, 28)
A ce « tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu », saint Augustin ajoute : « même le péché ».
Cela nous éclaire à la fois sur la puissance de l’amour de Dieu et sur sa logique. Cela nous éclaire sur la détermination de Dieu à nous aimer et à nous sauver.
« La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5, 8)
Le refrain « selon les Écritures » vient souvent dans les récits qui suivent la Résurrection. Et pourtant le lien avec la Résurrection n’est pas toujours très explicite. Ce qui est clair, c’est la logique de Dieu qui parcourt toutes les lectures que nous avons entendues. La logique de Dieu, c’est qu’Il prend tous les moyens possibles pour nous sauver. Dieu a "de la suite dans les idées ». La Résurrection, si je puis dire, n’est pas un coup d’éclat isolé. C’est le sommet de la fidélité de Dieu à son amour pour nous. Nous pouvons puiser aujourd’hui encore à cette fidélité de Dieu que professe la quatrième lecture.
« Dans mon éternelle fidélité, je te montre ma tendresse, – dit le Seigneur, ton rédempteur. (…) Même si les montagnes s’écartaient, si les collines s’ébranlaient, ma fidélité ne s’écarterait pas de toi, mon alliance de paix ne serait pas ébranlée, – dit le Seigneur, qui te montre sa tendresse. » (Is 54, 5-14)
La lumière dans la nuit
Le troisèime motif d’action de grâce, c’est la lumière qui nous éclaire dans la nuit. Le mot « nuit » apparaît souvent dans l’Exultet. L’Exultet vient en effet conclure la liturgie de la lumière par laquelle commence la veillée pascale.
Voici simplement deux phrases parmi d’autres :
Ô nuit de vrai bonheur, nuit ou le ciel s’unit à la terre, où l’homme rencontre Dieu. »
Le cierge pascal, symbole du Christ ressuscité, vient dissiper les ténèbres de la nuit.
Vous savez comme moi combien la nuit peut nous paraître interminable. La nuit nous empêche de marcher de manière assurée car nous ne voyons pas les obstacles et cela nous fait trébucher. La nuit nous empêche de voir l’horizon ; elle nous empêche de voir le but et le sens de notre vie. Dans la nuit on ne sait pas où l’on va ; on n’a pas de visibilité.
La nuit est souvent anxiogène ; on ne voit pas ses ennemis potentiels. On peut tout imaginer !
Ce soir, nous célébrons la lumière du Christ ressuscité qui éclaire la nuit du péché, de la mort, de l’histoire humaine. Le feu du cierge pascal est le signe visible de cette lumière victorieuse.
Cette lumière de la foi (Lumen fidei) est très précieuse. Il y a quelques jours, je rencontrais une dame très âgée qui a perdu la vue et qui rendait grâce pour le don de la Fsoi qui lui permettait de continuer dans la paix et la joie son chemin difficile.
Et en même temps, cette lumière est fragile. Nous le voyons avec les cierges quand il y a un courant d’air ! Quand cette lumière vacille, il y a la sagesse de se rapprocher de nos frères et sœurs. Cette flamme, il y a besoin de l’entretenir par la prière, la lecture de la Parole de Dieu, la participation à la messe dominicale.
Conclusion :
Chers frères et sœurs, comme nous y invite l’Exultet, réjouissons-nous de la Résurrection du Christ venu nous libérer, venu nous manifester Son amour victorieux. Rendons grâces pour cette lumière de la foi qui nous aide à avancer en enfants de la lumière (1Th 5, 5).
N’ayons pas peur de communiquer la flamme qui nous habite. Nous pourrions par exemple reprendre la salutation des catholiques orientaux au temps pascal : « Christ est ressuscité ! ».
A ce salut on répond : « Il est vraiment ressuscité ! »
Il y a tant de personnes sans espérance, tant de personnes pour qui la découverte de l’amour victorieux de Dieu changerait la vie.
Que la Vierge Marie, qui la première a goûté à cette lumière de la résurrection nous entraîne dans la joie de ce temps de Pâques :
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Exode 14,15-31.15,1a.
- Livre de l’Exode 15,1b.2.3-4.5-6.17-18.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 6,3b-11.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 24,1-12 :
Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore, les femmes se rendirent au tombeau, portant les aromates qu’elles avaient préparés.
Elles trouvèrent la pierre roulée sur le côté du tombeau. Elles entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.
Alors qu’elles étaient désemparées, voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant. Saisies de crainte, elles gardaient leur visage incliné vers le sol.
Ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : “Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite.” »
Alors elles se rappelèrent les paroles qu’il avait dites.Revenues du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres.
C’étaient Marie Madeleine, Jeanne, et Marie mère de Jacques ; les autres femmes qui les accompagnaient disaient la même chose aux Apôtres. Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas.
Alors Pierre se leva et courut au tombeau ; mais en se penchant, il vit les linges, et eux seuls. Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé.