Homélie de la solennité du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

6 juin 2024

« Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Non possumus »

Au début du 4e siècle, les dernières persécutions font rage et dureront jusqu’en 313. Et en l’an 304, en Tunisie, 49 Chrétiens vont être arrêtés. Ils se sont réunis autour d’un prêtre dans un appartement, chez Octave Félix, et ils sont surpris au cous de la célébration eucharistique. Comme c’est interdit, ils vont être amenés au proconsul Anullinus qui va rendre la justice. Il va leur demander pourquoi ils ont transgressé l’ordre de l’empereur alors qu’ils savaient bien que cela était puni par la mort. Et l’un d’eux, Emeritus, répond :

« Sine dominico non possumus ! »
« Sans l’Eucharistie, nous ne pouvons pas tenir… »

C’est magnifique ! Quant à nous, pourrions-nous dire cela ?

Que cette parole puisse nous interroger : pourquoi ces martyrs d’Abitène ne peuvent-ils pas vivre sans l’Eucharistie ? C’est parce qu’elle est la présence du Seigneur, c’est leur nourriture, et c’est aussi le mémorial, l’actualisation du sacrifice, du don total de Jésus pour nous.

La présence de Dieu

Ainsi, cette nourriture et ce sacrifice qui caractérise l’Eucharistie, envisageons-la comme une présence du Seigneur parmis nous. Vous le savez, dans l’Ancien Testament, le Temple a été investi de la présence de Dieu. Il a tout d’abord été construit, puis il y a eu la dédicace, et tout d’un coup, une nuée est apparue, une lumière intense, et le Temple fut rempli de la présence de Dieu. C’est ce que l’on appelle la Shekina en Hébreu…

De nos jours, la présence de Dieu est plus discrète, mais elle est tout aussi réelle : la petite lumière rouge près de tabernacle le manifeste. Elle signifie que Jésus accomplit Sa promesse :

« Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

Comme on l’a entendu dans la première lecture, le Seigneur accomplit cette alliance, et en voici le signe comme Il l’a promis :

« Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous. »

C’est précieux de savoir qu’Il sera toujours avec nous comme Il l’a promis.

Il est vrai qu’il faut une certaine pauvreté de cœur, un cœur dépouillé pour se réjouir comme il convient de cette présence. Je pense au curé d’Ars, ce grand prédicateur du 19e siècle : lorsqu’il prêchait, il lui arrivait d’être saisi par la présence de Jésus dans son église. Il se retournait et disait :

« Il est là ! »

Puis, il ne s’en détachait pas.

Je pense aussi à une autre forme de présence, ô combien consolante, celle du Père Damien de Molokaï. Ce prêtre missionnaire originaire de Belgique exerçait son ministère dans l’archipel d’Hawaï. Une des îles – Molokaï - avait été utilisée pour parquer tous les lépreux, de gré ou de force. On les amenait sur cette île volcanique extrêmement austère, une pancarte les accueillant à leur débarquement : « ici s’arrête toute loi contre la violence et le vice… » Et Damien demande de s’y rendre. Les supérieurs envoient donc Damien parmi cette population abîmée porteuse d’une odeur pestilentielle, et la première chose qu’il fait est de réparer l’église : il y célèbre l’eucharistie et il l’installe dans le tabernacle.

Et la nuit, ces lépreux abîmés, rongés, délaissés et désespérés se tournaient vers l’église, vers cette lumière rouge et reprenaient conscience, reprenaient espérance en se disant :

« Il est là, Il est avec nous ! Nous ne sommes pas seuls… »

Et c’est ainsi que Damien, en apportant le Christ, a pu apporter aussi plus d’humanité.

Voyez, pour que nous puissions goûter cette présence, le Seigneur va nous demander que nous y passions du temps. Si nous passons trop vite devant le tabernacle, nous ne goûterons pas la présence de Jésus. Il ne sera pas pour nous une personne vivante et proche si nous ne prenons pas des temps longs en Sa présence. Les couples le savent bien : si on ne prend pas le temps de communiquer longuement, on ignore qui est l’autre, son secret nous échappe.

C’est la même chose pour le sacrement. Et c’est pour cela que l’on propose l’adoration eucharistique. Il s’agit de faire rentrer le temps dans notre prière pour que notre œil du cœur puisse s’ouvrir. Alors, nous pourrons dire comme le curé d’Ars qu’Il est là, que l’on est attiré et séduit par Lui, qu’Il nous transforme.

Le Seigneur ne se contente pourtant pas d’être simplement d’être cette présence au milieu de nous. Il vient au devant de nous, au plus près de nous : Il devient nourriture pour nous. Au fond, c’est le propre de tout bien humain que de vouloir demeurer en l’autre. C’est ce que l’on appelle l’inhabitation.
Vous le savez bien, ceux que l’on aime, on les porte dans son cœur. Et c’est bien ce que le Seigneur a voulu faire : habiter en nous. Et la meilleure façon était de se donner en nourriture. C’est l’évangile du jour :

« Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »

Puis, une fois que ce repas sera passé, ce qui va représenter cette nourriture dans l’église, c’est l’autel.

L’autel est la table à laquelle nous recevons notre nourriture

L’autel est une table à laquelle je me nourris. Et pour pouvoir accueillir cette nourriture, il faut certes ne pas être en état de péché mortel : il faut se confesser une fois dans l’année à minima, c’est une chose que l’Église a toujours rappelé. Et par dessus tout, il faut la Foi. Cette nourriture ne nous sert de rien si nous n’y croyons pas.

Et c’est très important de se dire que l’Eucharistie, c’est ce qui va mettre ma Foi en défaut. C’est ce qu’il s’est passé du temps du Christ : quand Jésus dit qu’Il va donner Sa chair à manger, beaucoup disent que cette parole est trop dure et ils s’en vont. C’est une étape à franchir mais elle est très belle, car à ce moment là, le Seigneur nous soutient comme un pain, comme une nourriture solide.

La force de la charité puisée dans l’Eucharistie

A ce sujet, je pense au Cardinal Van Thuan, devenu maintenant « vénérable ». Évêque au Vietnam, il a été arrêté chez lui par le régime communiste et mis en prison. Il n’a eu le temps de rien prendre : il a dut s’en aller tout de suite, les mains vides. Puis, le lendemain, on lui a permis d’écrire pour demander ce dont il avait besoin. Alors, il a demandé un peu de vin comme médicament contre ses maux d’estomac. Comprenant ce dont il s’agissait, les fidèles lui ont envoyé une petite bouteille de « médicament pour l’estomac », et à partir de ce moment là, dans sa prison, Van Thuan a pu célébrer l’Eucharistie tous les jours sans ses mains : quelque gouttes de vin, une petite goutte d’eau qu’il avait pu se procurer, ont été sa nourriture. Cela lui a permis, après cette première année, de passer les 8 autres en isolement total, sans lumière, sans voir personne. Et il disait :

« Durant ces neuf années, il y a eu des moments de tristesse infinie. Alors, je regardais le crucifié sur la croix : aux yeux des hommes, une vie d’échec qui n’a servi à rien. Mais aux yeux de Dieu, Jésus a accompli l’action la plus importante : le Salut.
Et l’Eucharistie m’unissait à Lui. Elle nourrissait mon espérance, car dans l’Eucharistie, nous annonçons la mort et nous proclamons Sa résurrection. »

C’est si important que cette nourriture va nourrir aussi notre charité. Notre espérance en a besoin, mais nous sommes parfois à bout de notre charité : on n’a plus envie d’aimer dans notre famille : conjoints, enfants, amis, frères et sœurs, on a atteint notre limite.

L’Eucharistie nous permet de dépasser nos limites humaines. Van Thuan avait des gardiens terribles qui lui menaient la vie dure. Au départ, la conversation avec eux se limitait à « oui » et « non », puis, par cette force de charité qui était en lui, il a su les apprivoiser. Il leur a parlé de ses voyages, il leur a appris des langues étrangères. Il disaient que ses geôliers étaient ses étudiants. Ils étaient à tel point touchés par sa présence rayonnante qu’on était obligé de les changer suffisamment rapidement pour éviter qu’ils ne soient endoctrinés par ce Chrétien dangereux. Voilà la force de l’Eucharistie comme nourriture de notre charité.

L’actualisation du sacrifice du Seigneur

Cette nourriture n’est pas n’importe laquelle. Quand nous recevons l’Eucharistie, nous recevons Jésus qui Se donne, il va jusqu’au bout du don de Lui-même. Le Christ est en état perpétuel de don, Il réactualise Son sacrifice sur l’autel. C’est pour cela que l’on consacre séparément le pain et le vin.

Quand le corps est séparé du sang, cela signifie qu’il est mort, qu’il est sans vie. Puis, au moment de l’Agneau de Dieu, les deux vont se réunir à nouveau. Le prêtre va prendre une petite parcelle du corps pour le mettre dans le sang et signifier que désormais, corps et sang sont réunis pour toute l’éternité : c’est la pleine vitalité du Ressuscité qui nous rejoint !

Il faut être conscient de cela. Pour le citer encore, le Cardinal Van Thuan disait :

« Quand je célèbre la messe, quand je distribue la communion, je me donne moi-même avec le Seigneur, et je me fais moi-même nourriture pour tous. Je suis totalement au service des autres. »

Voilà ce qu’est la vocation du prêtre : ne faire qu’un avec les paroles qu’il prononce à l’Eucharistie. C’est aussi la vocation de tout Chrétien qui prend ce sacrement au sérieux.

Conclusion :

Le fruit de tout cela est une véritable révolution. Le Cardinal Van Thuan disait aussi :

« Sur la Croix, Jésus a commencé une révolution : votre révolution doit partir de la table eucharistique et de là, se propager. C’est ainsi que vous pourrez renouveler l’humanité ! »

Nous ne savons que trop qu’elle en a besoin, que notre pays en a besoin. Alors, commençons par recevoir avec Foi, ferveur et respect le corps et le sang du Seigneur, et nous aurons déjà fait beaucoup pour sauver notre monde,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 24,3-8.
  • Psaume 116(115),12-13.15-16ac.17-18.
  • Lettre aux Hébreux 9,11-15.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 14,12-16.22-26 :

Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? »
Il envoie deux de ses disciples en leur disant : « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. »
Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.
Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »
Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »
Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.