Texte de l’homélie
En préparant la méditation de ce soir, il y a quelque chose qui m’est revenu comme une prise de conscience de l’importance de la nuit dans la plan de Dieu. Nous fêtons cette célébration comme étant la fête de la nuit - vous savez qu’il y a plusieurs dates possibles pour Noël – et c’est heureux que nous la vivons pendant ce temps nocturne, comme s’il s’agissait de l’absence de lumière de silence et de discrétion. Il y a aussi quelque chose d’absurde, et nous le voyons avec la naissance du sauveur mais aussi lors de la résurrection, puisque c’est de grand matin que les femmes se sont rendues au tombeau et qu’elles l’ont trouvé vide.
Il y a aussi le cas des songes qui se produisent pendant la nuit, on pense à Saint Joseph qui a reçu en songe la grâce d’accueillir Marie, mais aussi au sommeil d’Adam par lequel Dieu lui a créé une aide qui lui soit assortie, ainsi que la création du monde qui a commencé au cœur de la nuit…
« Il y eut un soir, il y eut un matin… »
Il est intéressant de prendre conscience de cette réalité et de cette manière d’agir du Seigneur qui nous est donnée et qui nous demande aussi de franchir dans notre vie des moments de deuil et d’absence et de non sens, comme si ces moments de ténèbres il y avait un appel auquel nous sommes appelés à répondre.
Evidemment, la naissance du Christ vient colorer ces moments d’absence et de solitude de façon particulière.
Puisque de demain nous écouterons le début de l’Évangile de Saint Jean :
« En Lui était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. »
C’est la grande différence entre l’ancien et le nouveau testament. Certes, le peuple de l’Alliance vivait des promesse faites par les prophètes de l’annonce de Celui qui serait la lumière des nations, mais nous, dans la Foi, découvrons par cette naissance extraordinaire et inattendue une nouveauté, quelque chose de neuf sur notre terre qui nous permet de traverser la nuit. Avec la naissance du Seigneur, nous découvrons que, dans ces moments d’obscurité pointent déjà une luminosité. C’est comme si la lumière avait besoin de ce passage pour pouvoir éclairer avec une grande puissance.
On le sait très bien, c’est dans l’obscurité qu’une lumière luit avec plus de force.
Ce passage là, nous le vivons avec la naissance du Sauveur, c’est à dire qu’il s’agit de fécondité. La fécondité de nos vies passent souvent par ces moments d’absence. Nous ne comprenons par exemple pas la raison de l’état de notre monde, traversé par des guerres incessantes, pourquoi les barbaries. Plus proche de nous, il y a les divisions dans les familles que souvent les fêtes de Noël soulignent : à travers les moments de communion, on souffre de l’absence de quelqu’un à la fête…
Dans notre vie personnelle, spirituelle, ou professionnelle, il y a quelque chose qui manque, comme une béance, et Noël vient donner là une lumière particulière. Nous sommes ainsi invités à regarder ces moments-là et à faire mémoire de ce que l’on a vécu cette année et de les percevoir avec une saveur différente. Dans ces moments difficiles à passer, là où nous nous sommes sentis seuls, la lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas retenue.
Cette fécondité de nos vies prend des chemins inattendus. Dans le calendrier juif, on vit un cycle avec la Parole et on relit le début de l’écriture en début d’année liturgique, et c’est une fête particulière, comme nous le faisons dans la tradition chrétienne. Et parfois, la rencontre de la Parole de Dieu avec l’actualité peut donner une perspective particulière. C’est ce qui s’est produit en 2023 le 7 octobre, jour où, dans le sud d’Israël, des Islamistes ont fait subir toutes sortes d’atrocités à des femmes et des enfants, emmené des nourrissons en otage. Et ce samedi 7 octobre, début de l’année liturgique juive, on lisait dans les synagogues :
« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au dessus de l’abîme, le souffle de Dieu planait au dessus des eaux.
Il y eut un soir, il y eut un matin. »
Notre tradition catholique n’est pas étrangère à la gravité des faits qu’évoquent ces paroles, car, vous le savez, juste après le temps de Noël, nous allons faire mémoire des Saints Innocents et du martyre de Saint Étienne. Ce sont deux éléments de chocs s’opposent tellement et donnent une lumière particulière. J’imagine que, dans les différentes synagogues du monde le peuple de l’Alliance y a vu un signe particulier en ces temps si douloureux.
Quand à nous qui vivons de la lumière du Ressuscité, de Celui qui est né à Bethléem, c’est notre Foi. Des ténèbres naît la lumière, de l’attentat peut naître la communion. C’est à demander dans la supplication, car ce n’est pas naturel, tout nous appelle à la haine, mettons-nous un peu à la place de ces personnes qui ont encore des otages en ce jour…
Laissons ce questionnement s’installer en nous, car c’est une vraie attitude de Foi que de contempler l’Enfant de la Crèche. Il nous dit que la fécondité que nous avions pensé pour notre vie, ce que nous avions prévu, tout cela va advenir sous une autre forme. Nous pouvons passer un sentiment de vulnérabilité et de grande fragilité, qui n’est pas sans rappeler la fragilité et la vulnérabilité du nourrisson. Le Seigneur veut habiter ces moments-là avec ces Paroles :
« La lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. »
C’est une manière de vivre complètement différente, c’est une nouvelle alliance et nous, disciples de Jésus, n’en avons pas l’exclusivité mais la responsabilité. Il y a beaucoup plus qu’on ne croit qui est attendu des disciples que nous sommes : ce n’est pas une parole qui nous garantit que tout ira pour le mieux demain, mais une parole qui nous dit : « moi aussi je suis passé par ce chemin, j’ai emprunté ces routes qui peuvent sembler sans issue, et au bout du tunnel, une lumière s’est levée ». C’est une parole d’Espérance et qui nous fait avancer dans la vie.
Frères et sœurs bien-aimés, nous sommes appelés à dire une telle parole à nos contemporains, leur donner du courage de l’action du Seigneur dans nos vies. Même dans un monde déchristianisé et sécularisé, qui ne tient plus compte de Dieu, vous êtes attendus. Même modestement, et chacun le fera à sa manière, vous êtes attendus pour dire combien la présence du Seigneur dans vos vies, comment Il a agi par Son Esprit Saint, comment Il vous a fait traverser ces moments, comment Il vous a fait passer par la Mer Rouge que représente parfois notre vie…
Nous sommes un peuple de passeurs. Nous sommes appelés aussi à traverser mais avec l’aide du Seigneur qui Lui-même a pris l’absurde humain sur Ses épaules par la Croix. Nous sommes appelés à être des passeurs d’Espérance.
Oui, c’est un challenge pour chacun d’entre nous, car il y a des moments où nous sommes tentés de renoncer. D’où l’importance de la vie spirituelle dans nos existences, d’où l’importance de votre présence à cette veillée de Noël. Personne n’est ici dans cette chapelle qu’il n’ait été appelé à venir. Tous : nous religieux, vous fidèles laïcs, nous avons tous été appelés à participer à cette célébration pour faire mémoire d’une naissance.
Même dans cette toute puissance du pouvoir romain, comme le raconte la Bible, qui affirmant son autorité voulait déplacer les populations pour les recenser, y compris les femmes enceintes proches de la naissance, le Seigneur nous dit de ne pas avoir peur car Il est là.
Nous allons demander au Seigneur la grâce de nous soutenir les uns les autres, d’avoir un regard de Foi sur nous-même, nos familles et nos proches, pour que nous soyons des témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 9,1-6.
- Psaume 96(95),1-2a.2b-3.11-12a.12b-13.
- Lettre de saint Paul Apôtre à Tite 2,11-14.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 2,1-14 :
En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie.
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine.
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte.
Alors l’ange leur dit :
« Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »