Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien-aimés, il y a une bonne quinzaine de jours, nous avons célébré Noël : Dieu fait homme. Depuis lors nous avons fait un bond d’une trentaine d’années dans la vie de Jésus : trente années de vie cachée, trente années où Jésus a été :
« Reconnu homme à son aspect. » (Ph 2, 7)
Le baptême de Jésus est le moment charnière où la Trinité se manifeste pour donner le coup d’envoi de la vie publique de Jésus. Au moment du baptême, le Christ est présenté officiellement au monde par le Père, comme le Messie qui parle et agit avec autorité, en Son nom. Jésus parle “avec autorité” :
« Moi, je vous dis. »
Les premiers récits de la vie du Christ commençaient par le moment du baptême comme dans l’Évangile de Marc. Saint Pierre, dans le discours qu’il fait dans les Actes (Ac 10, 34-38) fait du baptême de Jésus le début de son histoire.
Chez saint Marc, le récit du baptême est extrêmement sobre : il tient en trois versets (Mc 1, 9-11).
Avec vous je voudrais m’arrêter sur les trois éléments avec lesquels saint Marc parle du baptême :
- les cieux qui se déchirent,
- l’Esprit qui descend sur Jésus sous la forme d’une colombe
- et la voix venue du ciel qui présente Jésus comme le Fils bien-aimé.
Au baptême, le Ciel se déchire
Le ciel s’était fermé par le péché d’Adam. Aujourd’hui il s’ouvre à nouveau. La communication entre le ciel et la terre se rétablit. La communion entre le ciel et la terre, entre Dieu et l’homme, est restaurée. Dieu répond à l’appel du prophète Isaïe :
« Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais !… » (Is 63, 19)
Au moment de la mort de Jésus, le voile du temple - qui représente la voûte céleste - se déchirera aussi. Car une nouvelle communication est instaurée entre le ciel et la terre.
Avant que le ciel ne se déchire, il y a eu l’abaissement de Jésus ; avant que le voile du temple ne se déchire, il y a eu la kénose du Christ dans sa Passion. Le Ciel ne s’ouvre qu’après que le Christ ait été baptisé, après qu’il soit descendu dans les eaux du Jourdain.
De même, si nous désirons que le Ciel s’ouvre pour nous, il nous faut sûrement descendre nous aussi. Il me semble qu’il y a au moins trois façons de descendre.
Reconnaître son péché
Une première façon de descendre est de reconnaître son péché. Le Ciel s’ouvrira pour nous aussi à condition que nous passions par les larmes du repentir et de la contrition, à condition que nous reconnaissions humblement notre péché, en vérité, sans nous trouver trop vite des excuses ou des circonstances atténuantes.
Accepter sa faiblesse et ses limites
Une deuxième façon de descendre est d’apprendre à accepter sa faiblesse et ses limites. En effet, Dieu se plaît à déployer sa puissance dans la faiblesse. Encore faut-il que nous lui offrions notre faiblesse.
Quitter le piédestal du complexe de supériorité
Une troisième façon de descendre est de quitter le piédestal du complexe de supériorité ou du jugement pour rejoindre les autres là où ils en sont. Comme le dit l’épître aux Hébreux :
« Jésus n’a pas honte de nous appeler ses frères » (Hb 2, 11)
Le Ciel ne se prend pas, il se reçoit avec humilité.
C’est l’inverse d’une forme d’arrogance que la Parole de Dieu dénonce à de multiples reprises. C’est l’inverse de l’attitude de la tour de Babel où les gens veulent s’emparer du Ciel.
Or le Ciel ne se prend pas ; il se reçoit avec humilité.
L’Esprit descend sur Jésus sous la forme d’une colombe
Nous sommes habitués au symbolisme de la colombe pour l’Esprit-Saint - représenté sur le tableau du maître-autel de cette grande chapelle. L’Esprit Saint vient « oindre » Jésus, c’est-à-dire, dans le langage biblique, Le consacrer, L’investir des pouvoirs nécessaires à Sa mission. Comme le dit saint Pierre :
« Jésus de Nazareth, Dieu l’a consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force. Là où il passait, il faisait le bien, et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon. Car Dieu était avec lui. »
Mais il ne faut pas s’imaginer l’Esprit Saint comme une forme de potion magique que prend Astérix pour combattre les Romains. Le symbolisme de la colombe a des racines dans l’Ancien Testament.
Peut-être est-ce une allusion à l’Esprit de Dieu qui planait sur les eaux au moment de la création (Gn 1, 2) : avec Jésus, le nouvel Adam, nous est offerte une nouvelle création.
La colombe fait aussi allusion à la colombe de Noé au moment du déluge (1 P 3, 20-21). Elle revient de l’état d’innocence après que le déluge a purifié la terre. Les midrash juifs disent que la colombe de Noé est allée chercher le rameau d’olivier dans le jardin d’Eden. La colombe est allée y chercher le gage du pardon, de la réconciliation entre Dieu et l’humanité.
Dans le livre des Psaumes, l’âme voudrait être comme la colombe pour pouvoir voler vers le repos en Dieu.
Pour les juifs du temps de Jésus, la colombe exprime la douceur, l’amour, la tendresse. Et en même temps, elle évoque l’idée du sacrifice. De tous les oiseaux, seule la colombe pouvait être offerte en sacrifice (Joseph apporte un couple de colombes pour la présentation).
L’Esprit qui consacre Jésus le jour du baptême Lui donne une rôle particulier !
« Porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux prisonniers la délivrance, et aux captifs la liberté, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » (Is 61, 1-2a)
D’après certains Pères de l’Eglise, « chrétiens » ne signifiait pas tant « partisans du Christ » - comme le prétendaient les païens qui leur avaient donné ce nom pour la première fois à Antioche (cf. Ac 11, 26) - que « participants à l’onction du Christ » (cf. saint Cyrille de Jér., Cat. myst. III, 1).
Nous sommes invités à laisser cette onction du Christ nous pénétrer. Cela n’est possible que si nous ne sommes pas trop empêtrés dans notre volonté propre ou notre dureté et qu’au contraire nous ayons une vraie ouverture du cœur et docilité pour nous laisser conduire par Dieu, là où Il veut nous emmener, avec Sa manière à Lui.
La voix venue du Ciel
« C’est toi mon Fils » sont les paroles du psaume 2, 7 qui est un psaume d’intronisation royale. Le qualificatif "bien-aimé" est peut-être une allusion à Isaac destiné au sacrifice (Gn 22, 2.12.16 et He 11, 17-19). C’est dans une mission de douceur et d’amour, à travers l’abaissement de la souffrance et de la mort, que Jésus sera conduit à Son intronisation royale.
Plusieurs indices nous montrent que le baptême de Jésus est déjà l’annonce de Sa mort en croix. Jésus dit à Jacques et Jean après la troisième annonce de sa passion :
« Pouvez-vous être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » (cf. Mc 10, 38)
D’ailleurs, dans la deuxième lecture, saint Jean insiste bien pour dire que Jésus Christ est venu par l’eau et par le sang :
« C’est lui Jésus-Christ qui est venu par l’eau, pas seulement l’eau mais l’eau et le sang. »
Il réagit ainsi contre certaines hérésies de l’Eglise naissante qui affirmaient que le Christ céleste s’était uni à Jésus seulement au moment du baptême et qu’il l’avait quitté avant la Passion, que Sa mort sanglante n’était pas digne de Lui.
Jésus descend dans l’eau comme Il acceptera d’être immergé dans les flots de la mort. D’ailleurs dans un certain nombre d’icônes orientales, l’eau du Jourdain se présente comme un tombeau. Lorsque Jésus remonte, le ciel s’ouvre et la voix du Père déclare qu’Il est son Fils bien-aimé.
C’est ce qui adviendra lors de la résurrection qui nous ouvre le Ciel.
Que nous puissions entendre aussi cette parole de la part de Dieu le Père : « toi aussi, tu es mon fils bien-aimé ! » Et aussi ces paroles splendides : « en toi, je trouve ma joie. »
Depuis l’instant de notre baptême, ces paroles sont vraies pour nous. Cela advient aussi dans la confession qui est comme un second baptême.
En conclusion, une fête liturgique est toujours un jour de grâce. Et en cette fête du baptême du Seigneur, je vous invite à vous approprier cette grâce à travers ces trois signes.
Qu’il nous soit donné de suivre le chemin d’abaissement initié par Jésus afin de pouvoir accéder au Ciel !
Que, par Marie, nous ayons cette ouverture du cœur qui nous rend accessibles à l’Esprit-Saint !
Que nous puissions nous laisser pénétrer plus profondément par ces paroles que le Seigneur nous dit :
« Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie ! »
Demandons à Marie de nous aider à mieux réaliser l’immense grâce qui nous a été faite dans notre baptême et à y être fidèles,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 55,1-11.
- Livre d’Isaïe 12,2.4bcd.5-6.
- Première lettre de saint Jean 5,1-9.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,7-11 :
En ce temps-là, Jean le Baptiste proclamait : « Voici venir derrière moi celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »
En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. Et aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe.
Il y eut une voix venant des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »