Homélie de la fête de la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph

1er janvier 2020

« Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. »

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Texte de l’homélie :

Désirez-vous que votre vie familiale (ou communautaire !) soit un avant-goût du Ciel, du purgatoire ou de l’enfer ? La Parole de Dieu de ce dimanche – et en particulier la deuxième lecture – nous donne quelques pistes. J’en retiendrai trois :

  • la miséricorde,
  • l’action de grâces,
  • le respect.

Ou – pour dire les choses un peu différemment en prenant trois verbes – pardonner, honorer, demander. Je garde l’ordre proposé par saint Paul dans l’épître aux Colossiens qui me paraît très intéressant : ce qui est premier, c’est la miséricorde ; cela commence par le réalisme. Vient ensuite l’action de grâce ; c’est en regardant le bien qu’on est le plus intelligent. Et seulement en troisième ce qui concerne les demandes mutuelles.

Miséricorde – pardonner

« Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonné : faites de même. »

La miséricorde comporte deux facettes principales selon que le mal auquel nous sommes confrontés est volontaire ou non.

Le mal involontaire

Une première dimension de la miséricorde consiste à accueillir les autres avec leurs failles et leurs limites. C’est une manière d’être réaliste. Nous pouvons toujours rêver que les autres soient parfaits ; mais dans ce cas, nous serons toujours malheureux.

« Même la parfaite sainteté de Marie n’en fait pas une femme illimitée. Il n’y a d’illimités que dans certains accès à internet ; mais passé ce monde du virtuel, dans la vraie vie, tout a ses limites, tout le monde en a. La miséricorde en famille, c’est l’acceptation lucide des limites des autres et des incompréhensions qu’elles peuvent susciter. » (P. Ludovic Frère)

Ces limites sont sans doute plus marquées pour les enfants qui doivent grandir et être éduqués. Elles ressortent d’une autre manière avec le grand âge, les maladies et les infirmités. La première lecture le dit d’une belle manière en parlant des vieux parents :

« Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force. Car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée. »

Une première manière de vivre heureux, c’est d’apprendre à accueillir les autres comme ils sont ; c’est accepter leurs limites sans se plaindre en permanence sinon la déception fera de nous des gens amers et ronchons.

Le mal volontaire

C’est sans doute quelque chose de plus difficile : quand nous sommes confrontés à la mauvaise volonté ou aux péchés de nos proches. Se défaire de la rancœur, de la colère, de la violence et de la vengeance, est la condition nécessaire pour vivre heureux. Accueillons donc la demande de l’apôtre :

« Que le soleil ne se couche pas sur votre colère. »

L’exercice du pardon est quelque chose de difficile mais aussi d’essentiel. Il permet d’évacuer tous les déchets – vous me permettez l’expression – engendrés par les frottements de la vie commune. Imaginez ce qu’est une ville après une longue grève des éboueurs ; c’est la même chose pour une famille après une longue grève du pardon !

Action de grâces – honorer

Ce deuxième point va avec le premier : si notre regard est obnubilé par le mal et tout ce qui nous fait souffrir, nous ne serons jamais heureux. Cela requiert de notre part une détermination à voir ce que les autres font de bien et encore mieux le bien qu’ils sont. Il ne faut pas attendre les funérailles pour faire l’éloge des gens !
Combien il est précieux de voir le bien qu’est l’autre et que fait l’autre ! Combien il est précieux de savoir s’émerveiller plutôt qu’être amer et chagrin ! Le mot « reconnaissance » a d’ailleurs un double sens : reconnaître suppose d’abord de prendre conscience, avant de passer l’étape du remerciement.

Le mal nous semble toujours anormal ; notre réflexe est de vouloir l’éradiquer au plus vite. Le bien nous semble trop souvent normal ; de ce fait nous avons trop tendance à ne pas remercier et à ne même pas penser à nous émerveiller. Nous avons l’impression d’être stupides en louant et intelligents en critiquant. Or c’est juste le contraire qui est vrai. L’intelligence se nourrit plus du bien que du mal.

Comme le dit très bien saint Paul, l’action de grâces n’exclut pas la correction fraternelle mais elle permet de faire cette correction de manière plus juste, avec plus de sagesse et de doigté. Je relis ces versets de saint Paul :

« Vivez dans l’action de grâce. Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres en toute sagesse ; par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. »

Je ne peux pas ne pas relever les mots très beaux de la première lecture qui nous invite à honorer et glorifier nos parents :

« Celui qui honore son père obtient le pardon de ses péchés, celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor. Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants, au jour de sa prière il sera exaucé. Celui qui glorifie son père verra de longs jours. »

Qu’il est beau de pouvoir nous honorer les uns les autres en famille, de nous nous donner de l’honneur les uns aux autres.
Par les paroles nous pouvons hélas nous dévaloriser les uns les autres ; mais nous pouvons aussi nous valoriser. Combien sont importantes les paroles valorisantes ! Elles remplissent notre réservoir émotionnel !

Respect – demander

« Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ; dans le Seigneur, c’est ce qui convient. Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elle.
Vous les enfants, obéissez en toute chose à vos parents ; cela est beau dans le Seigneur.
Et vous les parents, n’exaspérez pas vos enfants ; vous risqueriez de les décourager. »

Derrière ces paroles de saint Paul, je vois les demandes mutuelles que nous pouvons nous adresser. En effet, en famille, nous avons besoin les uns des autres et il est bien qu’il en soit ainsi. À certains moments nous préférerions vivre notre vie sans rien avoir à demander à personne. Mais ce n’est pas la volonté de Dieu.

Dieu qui est Trinité vit de ces relations subsistantes entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La volonté de Dieu, inscrite dans notre être même, est que nous soyons en relation.
Mais hélas, nos relations sont souvent abîmées par le péché. Il y a une manière de s’imposer de manière brutale qui ne respecte pas la liberté de l’autre.

Le pape François aime à parler de la courtoisie qui est une forme de respect à l’égard de l’autre. C’est tout un art de savoir demander, de dire « s’il vous plaît » ! Qu’il est délicat de bien demander !
Il y a ceux qui ne demandent jamais rien. Inversement, il y a ceux qui confondent demande et exigence. Il y a enfin les pseudo-demandes qui dissimulent une manipulation.

Aimer, c’est d’abord reconnaître que l’on a « besoin » de l’autre, ou plutôt qu’on désire avoir besoin de lui. C’est ce que signifie la belle expression « S’il te plaît ». Elle suppose que nous soyons assez humbles pour exprimer notre désir et assez délicats pour ne pas aller nous servir avant que retentisse la parole de l’autre : « Cela me plaît ». Aimer, c’est accepter que l’autre donne le rythme. Ainsi, l’art de la demande joint l’humilité de la requête à la patience de l’attente (de la réponse).

Quelle est la possibilité que je laisse à l’autre de dire « non » ? Est-ce que je lui laisse la possibilité d’exprimer une difficulté, une réticence, un empêchement, …
Bien sûr, surtout quand il s’agit d’un petit, on ne négocie pas tout. Il y a bien des choses sur lesquelles on ne demande pas l’avis. Dans l’éducation, il y a des choses essentielles, incontournables et d’autres qui le sont moins. On ne peut pas mettre toutes les demandes au même niveau. C’est fatiguant quand il y a des objections pour tout. Cela traduit une mauvaise volonté.

Conclusion :

La liturgie de l’Église nous donne aujourd’hui de contempler la sainte Famille qui est comme une petite Trinité sur la terre. Demandons la grâce de mieux vivre ces différents aspects de nos relations : faire miséricorde, remercier, honorer et demander. Alors nos familles nous donnerons plus un avant-goût du Ciel que du Purgatoire !

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Ecclésiastique 3,2-6.12-14.
  • Psaume 128(127),1-2.3.4-5.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 3,12-21.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 2,13-15.19-23 :

Après le départ des mages, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. »
Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : ‘D’Égypte, j’ai appelé mon fils.’

Après la mort d’Hérode, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Égypte et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et pars pour le pays d’Israël, car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. »
Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère, et il entra dans le pays d’Israël.
Mais, apprenant qu’Arkélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre. Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter dans une ville appelée Nazareth, pour que soit accomplie la parole dite par les prophètes : ‘Il sera appelé Nazaréen.’