Cadeau de Dieu
Le mystère du cœur immaculé de Marie refuge des pécheurs est incomparablement au-dessus de ce qu’en peuvent dire les paroles humaines. Il reste un secret entre la Vierge et son Fils.
L’Écriture, comme dépôt révélé, contient le peu qui en ait été divinement communiqué aux hommes. L’Église ose l’interpréter en le célébrant dans la liturgie et en le proposant à notre dévotion.
Or, il n’est pas de vocable concernant Marie qui soit aussi difficile à saisir par notre raison. En effet, cette association de termes cœur immaculé / pécheurs recèle une tension apparemment insurmontable. Quel point commun, quel lien entre d’un côté ce qu’il y a de parfait, de saint et de l’autre ce qu’il y a de plus éloigné de Dieu ?
La confiance dans l’enseignement de L’Église nous invite pourtant à tenir ces deux extrêmes. L’Église nous propose d’unir ce qu’il y a de premier dans le mystère de Marie (son cœur immaculé) et de dernier du point de vue de l’économie divine (le constituer refuge pour les pécheurs.)
Quelques lieux communs peuvent nous aider à entrer dans l’intelligence de ce mystère : On l’entend souvent, Marie immaculée ne comprend pas le pécheur. Pour comprendre quelqu’un il faut être dans la même situation que lui (principe d’égalité). Ou encore, Marie parce qu’elle est immaculée ne peut pas comprendre le pécheur ; elle est trop pure, trop grande. Elle est donc trop loin de nous.
Considérons l’amour qui est entre Jésus et Marie. Du côté de Jésus, il ne peut grandir. Il a du premier coup sa pleine et excessive mesure, si haute que rien n’y saurait ajouter. Mais il peut grandir du côté de sa Mère. On le voit cependant admirable dès le premier instant. C’est un composé de ce que l’ordre de la nature (l’amour sensible de Marie pour Jésus) et celui de la grâce (l’amour d’un cœur surnaturellement pur) peuvent offrir de plus merveilleux.`
Il nous faut tenir cet amour de Marie pour Jésus parfait dès son commencement et en même temps un amour appelé à grandir. Sa perfection première est celle du germe, le cœur immaculé comme cadeau de Dieu. La croissance s’achève dans la perfection du fruit, le refuge des pécheurs comme cadeau de Dieu. Ainsi, il nous faut suivre ce chemin pour mieux comprendre ce mystère. Nous partons de l’œuvre gratuite, surabondante de Dieu, le cœur immaculé : c’est notre première partie. Au terme, nous contemplons le chef d’œuvre de Dieu en Marie, le cœur offert comme refuge des pécheurs : notre deuxième partie. Entre les deux, nous contemplerons cette suprême ascension de l’amour chez Marie.
Quelques considérations bibliques sur le Cœur immaculé de Marie
Dans la Bible, le « cœur » ne dit pas « quelque chose » de l’homme mais il signifie l’homme intégral, le « dedans » de l’homme. Le cœur est la partie de l’homme la plus profonde, le siège de sa volonté, de sa pensée.
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » Matthieu 6, 21.
Un texte biblique nous donne des éclairages précieux sur ce cœur de Marie. La prophétie de Siméon (Luc 2, 34-35) lui annonce que son Fils sera « un signe de contradiction » et que son âme, con cœur « sera transpercé d’un glaive ». Marie est sûre désormais d’être divinement associée à la souffrance de son Fils. Elle ignore encore tout de ce glaive, mais elle comprend cette communauté de destin entre Elle-même et son Fils.
Cadeau de la miséricorde du Père
L’Église a saisi à fond ces signes visibles que l’Écriture nous a laissés. Comprenant cette communauté de destins dont nous avons parlée, elle est remontée en amont pour l’expliciter à la lumière de la miséricorde prévenante du Père. L’Église décrit le cœur de Marie comme très pur, intact, non atteint par le péché, bref un cœur vide de lui-même et plein de Dieu. Car il y a toujours une hâte dans la miséricorde. Elle devance, comme le Père du fils prodigue. Dans sa grande bonté, le Père a devancé le mystère de la croix pour envelopper le cœur de Marie de sa miséricorde.
Il a constitué son cœur immaculé pour pouvoir être la digne mère de Jésus. Grâce à ce cadeau, Marie peut être tournée vers Jésus d’un cœur sans partage, vivre le mystère de sa maternité dans la limpidité de la contemplation. Il fallait un cœur immaculé pour qu’elle soit la première à contempler ce mystère de Dieu fait homme, qu’il n’y ait rien d’elle-même et de la faute originelle qui fasse écran au dessein de Dieu.
Le cœur de Marie est immaculé pour pouvoir pleinement vivre le mystère de la croix. Au pied de la croix, la douleur de Marie est vécue dans la contemplation.
Écrasée de douleur, elle est cependant retenue par le « fil » de la foi, confiance totale en Dieu qui tient ses promesses. Elle sait qu’elle est à sa place. Sa douleur n’est pas repli sur soi, elle est tout absorbée dans ce regard de foi. Elle lui est, pour ainsi dire, soumise. Par son cœur immaculé Marie est unie à ce point au sacrifice de son Fils.
Conséquences
Marie s’est employée à faire fructifier ce trésor que Dieu avait déposé en elle. Nous le voyons au calvaire, Dieu lui demande plus qu’à tous les autres. Et c’est ainsi qu’il fera grandir en elle l’amour. Cette ascension de l’amour est la réponse à la docilité totale de la Vierge. Cette docilité, voilà la part de Marie dans cette relation.
Saint Jean de la Croix a parlé de la ressemblance ultime du cœur, la transfixion, comme d’une grâce concédée aux âmes fidèles jusqu’au bout à l’amour. Le cœur est comme percé pour que les flots de la grâce s’en échappent et se répandent sur les autres. C’est en ce sens que les souffrances de Jésus sur la croix sont mêlées à celles de Marie et comptées avec les siennes pour compenser notre iniquité.
Pour nous, ce mystère nous fait découvrir quelque chose de nouveau de la miséricorde du Père. En effet, elle enveloppe tout, elle est capable de se servir de toutes les conséquences du péché pour réaliser une intimité plus profonde avec Lui. Nous avons contemplé Marie comme chef d’œuvre de la miséricorde du Père en tant qu’elle vit de cette miséricorde pour elle. Pouvons-nous dire de Marie qu’elle exerce cette miséricorde pour les hommes ?
Refuge des pécheurs : quelques considérations bibliques
Nous l’avons vu, l’Écriture ne présente qu’implicitement ce mystère du cœur immaculé de Marie refuge des pécheurs. L’Église en extrait le sens ; elle sait mieux que personne que les seules paroles inspirées, quand elles sont reçues par la foi vive nous font entrer de manière privilégiée jusqu’au cœur du mystère. Aussi, elle privilégie le recours aux termes même de l’Écriture pour exprimer ce qu’elle célèbre dans la liturgie.
Dans la Bible, le refuge est d’abord appliqué à Dieu, comme on le voit dans les psaumes. Pour notre sujet, une autre mention du refuge est éclairante : celle des « villes refuge ».
La ville Refuge dans la Bible : Cette institution visait à rompre l’enchaînement automatique des vengeances après un crime. Tout meurtrier pouvait trouver dans ces villes (Sichem, Hébron…) un asile provisoire contre la vengeance de sang. Il passait en jugement devant la communauté qui devait estimer la gravité du fait. Ces villes de refuge étaient en même temps des villes lévitiques, ce qui assurait dans leur tribunal la présence d’hommes religieux, gage d’une meilleure justice.
Pour notre propos, il est intéressant de relever que le terme de refuge dans la Bible est un lieu où nous nous trouvons en sûreté à condition d’y demeurer.
La miséricorde de Marie
Une mauvaise compréhension de la prévenance de Dieu affirme que la part de l’homme dans cette relation est nulle puisque Dieu fait tout. Marie n’aurait donc aucun mérite ; pourquoi parler de sa miséricorde puisque tout revient à celle de Dieu ?
La miséricorde du Père veut que nous apportions quelque chose de nous. Il nous faut laisser toute la place à Dieu, cela implique toute notre personne. Ainsi, la miséricorde de Dieu peut se déployer en nous après des luttes, des arrachements successifs. Il en est ainsi chez Marie. Dans l’Évangile, quand Jésus rencontre sa mère, c’est souvent pour briser quelque chose en elle. Il semble que Jésus la traite avec une dureté étonnante, inconcevable.
Le secret des duretés surprenantes dont Jésus use envers elle paraît à découvert dans l’Évangile. L’épisode de la Cananéenne (Mt. 15, 22-28) est éclairant.
« Elle criait en disant :
— "Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon."
Mais il ne lui répondit pas un mot. Les disciples sont touchés et intercèdent pour elle.
Mais lui répondant, dit :
— "Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël". »
Voilà donc Jésus plus dur que ses disciples ?
« Mais elle, étant venue, se tenait prosternée devant Lui, en disant : Seigneur, viens à mon secours ! Répondant, il dit : il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ! »
C’est un affront. Mais elle insiste : « Seigneur ! Les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leur maître. » Où donc ce cœur offensé, apparemment dédaigné puise-t-il tout l’amour qui inspire cette réplique ? N’est-ce pas Jésus qui fait grandir progressivement en la repoussant, l’amour de cette femme, à la manière dont on barre un fleuve pour en multiplier la puissance ? Oui, c’est Jésus qui opère en elle. Et c’est pourquoi la foi en elle est merveilleuse. A ce point que l’artiste admire ce qu’il a fait et devient captif en quelque sorte de la beauté de son œuvre :
« O femme, ta foi est grande ! Qu’il te soit fait comme tu veux. »
C’est en ce sens que nous pouvons saisir le ressort de l’apparente dureté de Jésus envers sa mère, la part de Marie et finalement sa puissance d’intercession.
Conséquences
Marie ayant fait aussi loin cette expérience de la miséricorde, étant entrée aussi profondément dans cette pédagogie divine n’a plus qu’un seul désir : nous faire partager son bonheur, nous donner cette vie divine. A qui ? A ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire à nous tous les pécheurs. Et rien n’arrête Marie dans cette proximité à l’égard des pécheurs. C’est la proximité d’une mère. La mère est celle qui porte la vie, qui porte plus qu’elle ne devrait porter. Ce n’est pas au nom de la justice (comme les villes refuges) mais au nom de l’Amour que Marie exerce cette proximité. Et l’Amour va toujours plus loin.
Refuge pour les pécheurs, Marie ne les protège pas seulement ; elle porte leurs misères car elle connaît leur malheur plus profondément qu’eux-mêmes ne le connaissent. Elle les accueille, les protège, leur donne la vie divine pour leur permettre de repartir.
Cœur immaculé de Marie refuge des pécheurs
Considérons le chemin parcouru. Nous sommes partis de la contemplation du cœur immaculé de Marie pour aboutir à sa compassion pour le pécheur. Nous avons vu que tout l’entre deux était celui d’une configuration progressive à son fils. Nous pouvons à présent unir ces deux extrêmes et dans une certaine mesure en balbutier l’intelligibilité.
Le cœur est immaculé pour être le refuge des pécheurs
Il s’agit de saisir que plus on s’élève vers les principes, plus on est capable de comprendre ce qui en dépend. Plus nous nous élevons vers le mystère de Dieu, plus nous sommes capables de comprendre ce qui est loin de Dieu, le péché.
Comprenons : c’est quand nous avons aimé que nous saisissons avec acuité ce que représente le manque d’amour et, alors, celui-ci nous blesse. Il faut donc être dans une profonde intimité avec Dieu pour pénétrer l’opacité du péché. N’est-ce pas là la mission de Marie ? Marie sans être affectée par le péché est donc liée à l’opacité du pêché.
Si Marie est immaculée, c’est donc pour être le refuge des pécheurs. Dans la lumière de la sagesse de Dieu, il fallait un cœur absolument exempt de toute trace du péché pour pouvoir être proche du pécheur.
Entrer dans ce regard de Marie
Au terme de ce parcours, nous pouvons puiser de nombreux enseignements dans cette docilité de Marie. Marie n’est-elle pas la préfiguration de ce que chaque Chrétien est appelé à être ?
Comme pour elle, notre miséricorde doit jaillir de la surabondance de notre amour pour Son Fils. Elle nous apprend à dépasser notre regard instinctif de justice. En effet, nous divisons facilement l’humanité entre les « bons » et les « méchants ». Avec Marie, nous sommes appelés à ne plus diviser. Dans notre cœur, tous doivent occuper la même place et être présentés pareillement à Jésus.
Marie nous enseigne aussi par son exemple à plaider la cause des pécheurs auprès de Jésus. Il n’y a pas là de pieuse condescendance ; c’est une attitude que nous devons recevoir d’elle. Elle nous apprend à envelopper d’amour les plus déshérités. Bien plus, elle nous apprend à leur pardonner. Un pardon divin qui consiste à se mettre à la place du pécheur et à porter en face de Dieu et des hommes la responsabilité du pécheur : à se servir des conséquences du péché pour donner davantage.