Texte de l’homélie de mariage :
Plus j’avance dans la vie de prêtre, plus je me rends compte de la pauvreté, de la simplicité des sacrements : un peu de pain, un peu de vin, quelques paroles entre un homme et une femme, un peu d’eau versée sur le front d’un enfant, et c’est le Ciel qui s’ouvre !
Nous sommes la religion de la disproportion, parce que nous sommes la religion du vertige. Il y a quelque chose de vertigineux dans ce que nous célébrons. Aujourd’hui, dans les paroles qu’Alban et Domitille vont s’échanger, il y a quelque chose de vertigineux qui se prépare : une communauté de toute la vie ! Qui peut prétendre à cela ? C’est seulement nous qui le disons !
Pourquoi faut-il un sacrement pour le mariage ?
Tous les sacrements, parce qu’ils sont l’affirmation d’une vulnérabilité, l’expression d’une certaine pauvreté, d’une fragilité et d’une simplicité, nous redisent combien notre religion n’est pas celle des forts et des puissants, mais des enfants et des petits.
A juste titre, Domitille et Alban, vous avez choisi ces magnifiques lectures parce qu’elles disent aussi ce que vous voulez votre comme couple, et au sujet de l’accueil de la vulnérabilité de l’autre. Le mariage, c’est l’union de deux pauvres qui supplient la grâce.
C’est pour cela que l’on se marie à l’Église : c’est pour demander le Salut, pour supplier de sortir de ce face à face de psychologies plus ou moins équilibrées, ce qui est notre cas à tous.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, Alban et Domitille, vous êtes au pied de l’autel, c’est pour supplier la grâce, le Salut. Tous les sacrements sont les sacrements du Salut. Et vous dites au Seigneur que vous avez aussi besoin, dans votre couple, d’être sauvés. Voilà ce qu’est le mariage à l’Église.
Au delà de l’aspect traditionnel, familial, culturel, si légitime qu’il soit, vous montrez un aspect profondément transcendant qui s’applique à tous. Parce qu’au cours de cette longue et sérieuse préparation au mariage que vous avez faite, vous avez pris conscience que seuls, vous ne pouvez rien faire, que la grâce du Seigneur est là, à vos côtés, et c’est de cette grâce là que vous avez besoin pour former une communauté de toute la vie, et pour toute la vie.
Certainement, nous nous enracinons dans une forme de contre culture, avec cet engagement matrimonial que rappelle l’Église à temps et à contre temps à l’ère du jetable ! Nous nous enracinons dans une profonde confiance, car il s’agit bien de cela : si vous ne devenez comme des enfants, c’est à dire, si vous ne faites confiance, vous n’y arriverez pas. Si vous n’acceptez pas d’accéder à cet abandon, à cette confiance, à ce lâcher prise, à cette disponibilité de cœur dont les enfants sont le témoignage, vous n’y entrerez pas, nous dit Jésus.
Et, frères et sœurs bien-aimés, nous savons, faire confiance, c’est le travail d’une vie… Lâcher prise, c’est de tous les instants !
Alors oui, à travers ces belles lectures que vous avez choisies pour nous, Alban et Domitille, cela nous renvoie au cœur de notre Foi, au cœur de l’engagement matrimonial, au cœur de notre vie. Soyez vraiment remercié pour ce choix des lectures, vous y avez travaillé, je le sais. Cela vous a permis de sortir des lectures un peu trop habituelles que nous entendons.
Faut-il être parfait pour se marier ?
Réécoutons les paroles de Jérémie :
« Maudit soit l’homme qui met sa confiance dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair… »
Tout est dit ! le mariage, ce n’est pas demander à l’autre de nous combler, ce serait aller directement dans le mur. Ce serait mettre l’autre à la place de Dieu : Dieu seul peut me combler.
Le mariage, ce n’est pas demander à l’autre une perfection qui viendrait combler mes imperfections. Le mariage n’est pas une guérison pour mes blessures. « Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, dans un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur… »
C’est là où tout l’engagement du mariage chrétien est puissant, parce qu’il allie à la fois cette dimension profondément humaine - et nous avons travaillé au cours de la préparation sur cette dimension humaine de la vie commune qui demande un effort car elle n’est pas acquise d’avance – et aussi cette dimension profondément transcendante qui vous dépasse et qui vous habite.
« Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits. Je vous le dis, leurs anges dans le ciel voient sans cesse la face de mon père qui est aux cieux. »
Gardez-vous de mépriser ce qui est fragile dans l’autre. Gardez-vous de tout esprit d’orgueil qui viendrait juger la vulnérabilité comme une menace.
Comment garder l’unité dans la vie matrimoniale ?
La deuxième lecture est elle aussi magnifique et expose tout un programme de vie :
« Ayez les mêmes sentiments, le même amour, la même âme, le même cœur. Que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant supérieurs à vous-même. »
S’il est une clef qui donne accès au Royaume, c’est bien celle de l’humilité. A l’inverse, s’il est une clef qui ferme le Royaume à double tours, c’est bien la toute puissance, l’esprit de supériorité qui nous habite tous. Le mariage, c’est précisément rentrer dans cette humilité l’un envers l’autre. Vous avez découvert vos fragilités mais aussi vos richesses, et parce que vous avez fait ce travail, vous dites au Seigneur :
Vous qui êtes ici et qui vous êtes aussi engagés dans un couple stable et fidèle, refaites mémoire de ce sacrement que vous avez prononcé il y a tant d’années,
redites au Seigneur combien vous ne voulez pas résumer l’autre uniquement à ses fragilités, ses défauts et ses faiblesses. Avec les années, on le sait bien, les caractères s’épaississent, les défauts et les qualités prennent corps et il faut considérer celui avec lequel vous faites une communauté de toute la vie comme supérieur à vous-même.
L’humilité, c’est le chemin du regard
Que ces lectures sont belles !
Au sujet des brebis…
Quand Jésus parle du pasteur et de ses brebis, admettons tout de même que personne ne fait comme cela lorsque l’une d’entre elles se perd !
« Qui d’entre-vous ne va pas abandonner les quatre-vingt dix-neuf brebis pour aller à la rencontre de celle qui s’est égarée ?… »
… « Personne Seigneur ! Je garde mes quatre-vingt-dix-neuf et tant pis pour celle qui s’est égarée ! Je protège celles qui restent, c’est logique. »
Mieux vaut un « tiens » que deux "tu l’auras", comme dit le dicton populaire.
Et Jésus nous dit que non, il faut laisser les quatre-vingt-dix-neuf et aller chercher celle qui s’est égarée, parce qu’en voyant le berger aller à la recherche de celle qui s’est égarée, les autres se diront que si un jour elles s’égarent à leur tour, il ira à leur rencontre.
Cette parole est extraordinaire. Elle éclaire la vie matrimoniale de façon splendide. Il est aussi dans nos vies des parties de nous-mêmes qui s’égarent. et de savoir que l’autre va aller à la rencontre, à la recherche de cette partie de moi-même qui s’est éloignée loin de l’autre, cela dit quelque chose de fort de la vie à deux. C’est une communauté qui est faite pour toute la vie, où il y a la place pour l’erreur, à la fragilité et à la vulnérabilité. Et s’il me prend à penser que le bonheur est en dehors de l’autre, j’ai cette certitude que l’autre laissera tout pour venir à ma rencontre, laisser ses sécurités, ce qui est solide dans sa vie, son trésor – les quatre-vingt-dix-neuf brebis du berger – pour ne pas lâcher celui qui s’est perdu, ou ne pas laisser ce qui en nous s’est perdu.
Nous allons demander au Seigneur cette grâce particulière de l’humilité, celle qui consiste non seulement à considérer l’autre comme supérieur à nous-même mais aussi à être attentifs à ce que rien de cette qualité de lien qui vous unit, Domitille et Alban, ne se perde et ne s’égare.
Que vous soyez capables, avec courage, d’aller à la rencontre pour être des témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,
Amen !