Faut-il être deux pour être heureux ?

Conférence Spi&Spi - Jeunes pros (18-35 ans)

Dans notre pays, il y a neuf millions de foyers fiscaux où la personne se déclare célibataire. On peut ainsi dire que le célibat est un phénomène de société, avec un épiphénomène à Paris…
Est-ce une bonne nouvelle, synonyme de liberté, ou au contraire un moment d’épreuve ?

On peut se demander comment vivre ce temps du célibat particulièrement s’il n’est pas choisi.

Père Pierre-Marie

Résumé de la conférence :

Faut-il être deux pour être heureux ?
Comment vivre ce temps, en particulier lorsqu’il n’est pas choisi, qu’il est subi.
Le célibat est-il une bonne nouvelle, ou plutôt un moment difficile ?
Comment le vivre ? Que peut-on en tirer de bon ?

Voici des question que nous allons aborder dans cet enseignement.

Face à ce phénomène de société, on peut s’interroger s’il n’y aurait pas comme un gène du célibat, qui n’empêcherait pas cependant de connaître un jour les joies de la vie en couple mais qui n’associerait pas solitude à tristesse. Le célibat ne serait alors pas synonyme de manque mais plutôt de découverte, de rencontre avec soi et d’ouverture sur les autres.
Pour un certain nombre e nos contemporains, il est cependant vécu comme un temps positif.

En regard de la dimension chrétienne, on peut se demander si cette vie en solo serait une troisième voie : on connaît bien l’appel à la vie consacrée – le célibat consacré – que l’on met couramment en face de l’appel à la vocation au mariage.
Sachez-le, étant donné que l’on se marie avec une personne, l’appel au mariage est associé à une personne. Il ne faut pas le confondre avec le désir de se marier car ce n’est pas une vocation au sens large.

Si le célibat – qu’il soit choisi ou pas – ne peut être considéré comme une troisième voie, c’est qu’il n’est pas une voie du don de soi. La vision chrétienne nous dit que nous sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu, d’un Dieu qui est offrande de Lui-même, qui ne regarde pas à la dépense, comme on le voit avec Jésus.
Si je veux vivre à l’image d’un dieu qui est don, il est important que moi aussi je rentre dans cette dimension. Ce qui fait la beauté d’une personne, c’est précisément.

Vous le savez, ce qui est séduisant chez une personne, c’est de la voir se donner. La beauté plastique peut attirer un temps, mais ce n’est une beauté éphémère.
Il est important de rappeler que la vocation au don se fait dans un célibat qui est choisi dans la vie consacrée ou dans la vie de couple. Mais il n’y a pas d’entre deux si ce n’est sans doutes pour laisser un part à l’égoïsme avec une zone de confort certaine, avec une forme d’autosatisfaction sur un fond d’immobilisme.
J’ai lu ce témoignage : « Je suis une espèce rare, célibataire endurcie. Je n’ai jamais supporté la vie de couple plus d’un an. Je me sentais prisonnière avec un seul centre d’intérêt : l’autre et notre couple. »

Cette façon de vivre peut-elle rendre heureux, peut-elle être source de joie ?

Par ailleurs, notons que dans le célibat, il y a un rapport au temps qui peut être source d’angoisse, en particulier chez les femmes.
Dans notre société avec tant de célibataires, il y a tout de même une forme de culpabilité, de peine de ne pas avoir été préféré par quelqu’un. Même si certains le présentent comme la vie parfaite, on voit que dans la réalité, il y a des avantages à être à deux : on est plus accueillis et valorisés que seul.

Un temps pour accueillir la réalité

Il faut commencer par accueillir cette réalité et reconnaître sa situation de célibataire. Il faut éviter le déni qui nous empêcherait de nous replacer face à notre but : quel est le bonheur de ma vie, où est-ce que je me donne ? C’est le combat des sens et des vraies valeurs.
Le fait d’être seul – et donc de ressentir un manque – est aussi une manière de se questionner sur le sens de la vie : qu’est-ce qui me rend heureux, où sont mes vraies valeurs…

Pour fuir cette situation de célibataire, attention à ne pas tomber dans la falsification du don, avec une sorte d’agitation et d’activisme : cela peut arriver dans le travail par exemple. C’est assez commun, et cela empêche de se poser la question où est la fécondité, le lieu où je peux porter du fruit.

Le célibat est aussi un moment où l’on peut se demander où l’on veut se donner. Comme nous sommes à l’image d’un dieu qui est don, quel est le lieu où je peux m’enraciner et connu pour ce que je suis ? Il y a bon exemple avec le milieu associatif qui nous permet de mettre à profit et de développer nos talents au service des autres (communication, organisation…)
En effet, ce temps où vous n’êtes pas en couple est aussi un temps du don, le temps de fleurir là où l’on est planté, et non pas d’attendre…

Le célibat est le temps du discernement par excellence : où est-ce que le Seigneur m’appelle ? Et ce n’est pas avec le zapping et les compensations que l’on pourra entendre ce qu’Il veut nous dire.

Un temps pour la connaissance de soi

Le célibat est aussi le temps de se connaître soi-même : quels sont mes talents, quelles sont mes blessures ? il est nécessaire de relire car on reproduit des schémas sans s’en rendre compte. Il faut prendre conscience de nos manières de fonctionner et devenir l’ami de soi-même. On se couvre aussi dans nos rapport avec d’autres, sans pour autant être en couple.

Il faut prendre garde à d’autres pièges comme la fuite de ses sentiments, ou la fusion, la colère notamment lorsque l’on voit les autres ses marier ou sentir l’appel à la vie consacrée. Il y a une forme de combat spirituel auquel il ne faut pas renoncer, même si cela peut susciter du ressentiment vis à vis des relations passées, des parents : laisser cela émerger participe au chemin de guérison.

Il faut également faire le deuil de la perfection car il est un vrai obstacle à l’accueil de l’autre et c’est le moment d’en prendre conscience dans ce temps de construction de soi-même.

On demandait à Robert Schumann pourquoi il ne s’était pas marié et il a répondu :
— « Je cherchais la femme parfaite »
— « L’avez-vous trouvée ? »
— « Oui, mais elle cherchait l’homme parfait… »

Apprendre à déraciner de notre cœur toute forme de victimisation. Cela va de pair avec l’accusation. N’oublions pas que le célibat peut aussi être le temps du pardon, de la guérison des blessures et de la réconciliation. Il est bon d’être accompagné par une personne bienveillante pour cheminer.

Un temps pour la purification de l’amour

Celles et ceux qui sont célibataires ont bien souvent eu des relations amoureuses et je demande toujours dans mon ministère de préparation au mariage de faire mémoire des relations qui ont compté. Qui y a mis fin et pourquoi. Se remémorer cela pendant le temps du célibat peut nous aider à cheminer et à envisager cela de façon positive, même lorsque ce n’était pas le cas.
Cela peut nous permettre de distinguer des fausses conceptions de l’amour, notamment au sujet d’être comblé par l’autre, de vivre un amour romantique et narcissique : qu’est-ce que cela nous a appris de l’amour, même si ce n’était pas positif.

Dans notre société, on est trop dans la performance : mettre trop la pression peut éteindre l’amour. Le temps du célibat est un moment choisi pour purifier notre façon de vivre la relation amoureuse : l’amour peut naître, diminuer, ou au contraire grandir.

N’ayons pas peur de mettre de la raison : le rationnel n’est pas l’ennemi de l’amour. On se fonde sur la connaissance de l’autre qui donne une force volontaire de l’ordre de la décision. On sort ainsi d’une idéalisation de l’autre qui est finalement inatteignable.

Le temps privilégié de l’amitié

Aristote nous dit que les critères de l’amitié sont la bienveillance et la convivialité. Cette bienveillance doit être réciproque et il y a un désir de vivre les choses ensemble.
Posez-vous la question de votre premier cercle d’amis : avez-vous des amis intimes auxquels vous livrer ? ce n’est pas parce que nous ne vivons pas en couple que vous n’avez pas des proches qui vous comprennent, auprès desquels vous pouvez épancher votre cœur et recevoir également leurs confidences.

Il faut prendre le temps de faire l’état de nos amitiés et de nos connaissances. Et derrière l’absence de premier cercle, n’y a-t-il pas la peur de se laisser approcher, de se révéler dans son intimité ?
Comment alors tomber amoureux si l’on est pas vraiment prêt à oser une relation à deux ?

Il est évident que chaque vie de couple commence par une amitié : les amoureux sont d’abord des amis. Entre l’amour et l’amitié, il y a une différence de degré mais c’est la même nature de sentiment. Bien entendu, on va aller plus loin dans la confidence, dans l’attraction du corps de l’autre, mais ce n’est pas parce que l’on devient un couple que l’on cesse d’être des amis.
Et c’est cette amitié qui va jusqu’au partage de toute la vie.

Il est important de prendre conscience que ce temps de l’amitié permet de porter du fruit, d’oser les relations à d’autres, de diversifier les réseaux, de savoir demander de l’aide, parce qu’il y a un risque d’enfermement dans cette période du célibat.
Il faut aussi prendre le temps d’avoir des relations avec des couples. Voici une autre bonne question : quels sont les couples amis que vous avez ?

Comment sait-on que l’on passe de l’amitié à l’amour ?

Après toutes ces premières étapes : se connaître soi-même, être l’ami de soi-même, avoir un premier cercle, qu’est-ce qui va faire que l’on se sent amoureux ? Il y a plusieurs signes :

  • l’absence de l’autre me coûte
  • la présence de l’autre me donne de la joie.

Quand la personne revient régulièrement dans votre cœur, que vous souhaitez la rencontrer, voici un des signes que l’amour est naissant.

En amitié comme en amour, il y a ensuite la question de la réciprocité : est-ce que le désir de se rencontrer est commun ? Et qu’en est-il de l’attrait physique, même si ce n’est pas le premier critère.
Il faut parfois s’avouer à soi-même que l’on est amoureux, c’est parfois suite à plusieurs déceptions passées et l’on hésite à se lancer. Parfois, il suffit juste de dire que l’on aimerait bien faire plus connaissance…
Il faut se donner des raisons de l’amour que l’on ressent ou au contraire que l’on ne ressent pas. Qu’est-ce qui fait que telle personne m’attire ?
Quel est le style de personne qui m’attire est aussi une bonne question à se poser, et le temps du célibat est le bon moment. Autant je ne crois pas qu’il y ait une personne prédestinée- imaginez que l’on attende toute sa vie quelqu’un parti à l’autre bout de la planète – autant je crois qu’il y a des styles de personnes qui m’attirent. Essayons de mettre des mots sur ces sentiments.

Le célibat est le temps de la patience

Cette patience est liée au combat spirituel. On le vit également dans la vie consacrée : cela aide à porter du fruit.

Il faut être attentifs aux signes, tout en se méfiant du providentialisme, c’est à dire de voir des signes partout. Par exemple, le fait de se retrouver à la même retraite, de tirer la même parole.
Oui, le Seigneur nous parle à travers des signes, mais il est bon que ces signes soient validés par une tierce personne, afin de prendre le recul nécessaire.

Passer de l’amour à l’engagement

Il est important de se rappeler que dans une dimension chrétienne, une relation amoureuse ne peut pas être synonyme de consommation de l’autre. De même, on ne commence pas une relation amoureuse en excluant le mariage : ce n’est pas de Dieu, on est dans l’utilisation de l’autre. Il ne s’agit pas de joindre l’utile et l’agréable ni d’un échange de services…
La question de l’engagement fait partie de l’ADN du Chrétien, du disciple de Jésus, vous le savez bien. Notre foi porte une forte culture de l’engagement et l’on se sent responsable de l’univers qui nous entoure.
De même, lorsque le panneau « fin » s’affiche dans notre cœur, il est bon d’arrêter la relation puisque l’on sait qu’elle n’ira pas jusqu’à sa fin qui est le mariage.

Quand on parle d’engagement, il faut aussi envisager le risque qu’il comporte. Il arrive que l’on repousse un engagement par peur de souffrir, de se révéler, d’échouer. Il y a aussi les peurs de dire son affection et de ne pas être accepté. Ce sont des réticences qui sont à l’inverse de la confiance ; or, le croyant ne se sent jamais seul, il a confiance car il prend conscience d’une présence dans sa vie.
Il y a une présence dans ma vie qui m’accompagne, ce qui me permet de franchir des pas dans la confiance qui est le remède.

Quand on commence une relation amoureuse, il faut avoir une idée de jusqu’à quand elle doit durer, quelle orientation lui donner. Cela mériterait une autre conférence…
Il en va de même pour l’engagement professionnel, car il y a aussi des métiers vocationnels, quand il s’agit du don de soi.

Quand le célibat est le signe de l’amour

C’est le cas du célibat consacré : comme jeune chrétien, il est important que vous puissiez vous poser la question si vous n’êtes pas appelé au célibat consacré. Cet appel retentit-il dans mon cœur ?
Comme le disait Saint Jean-Paul II : « Le prêtre est seul pour que les autres ne le soient pas. »

Cette question du mariage des prêtres – ou d’ordonner des hommes mariés - revient sans cesse comme une ritournelle, alors que le mariage est lui aussi en crise, avec tous les divorces que l’on observe autour de nous : cela n’a pas de sens…

Le fait d’accepter de se consacrer dans le célibat est une forme de compassion, une manière de rejoindre celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de vivre une vie de couple pour quelque raison que ce soit (maladie physique, psychique, précarité), et de partager cet état de vie avec eux.
Il est certain que l’on renonce ainsi à la tendresse d’une épouse, mais ce manque n’est pas fermeture à l’autre mais au contraire, ouverture, capacité d’accueillir.
Il y a là une vraie parole pour notre monde : ce n’est pas parce que je ne suis pas en couple que je ne suis pas dans une relation de don et d’accueil de l’autre. C’est ce célibat qui est le signe de l’amour, qui permet d’accueillir et d’être attentif.

Pour terminer cet enseignement, je vous propose un passage du livre du Père Pascal Ide : « Célibataires, osez le mariage », dont je me suis inspiré et avec lequel je voudrais terminer cette méditation.

« Le célibat n’est pas une fatalité. Il est une promesse, telle est la conviction que je porte. Il n’est pas fatal car il n’est jamais sans raison.
On ne peut accueillir la première affirmation qui réjouit sans accepter la seconde qui attriste, inquiète, culpabilise. Pourquoi ? La connexion est logique moyennant deux précisions essentielles : la première est que raison ou cause ne signifie pas faute. La faute engagerait la responsabilité. »

Il est possible qu’il y ait une responsabilité car nous avons un certain nombre de peurs, mais cela ne veut pas dire qu’il y ait une culpabilité.

« La seconde est que le plus souvent se mêlent des causes subies, des circonstances et des blessures, ou des causes voulues comme l’égoïsme ou l’orgueil…
Le discernement est important car les premières causes supposent souvent un chemin de reconstruction, les secondes demandent le pardon et la conversion du cœur. »

Voyons le célibat comme un temps d’appel au bonheur, un temps de gestation, un moment de préparation pour aller plus loin.