Homélie du 23e dimanche du Temps Ordinaire

10 septembre 2024

Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »
Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement.

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie

Frères et sœurs, quel est le premier commandement ? Il s’agit d’écouter :

« Écoute Israël, le Seigneur est ton Dieu, le Seigneur est un. »

Écouter pour accueillir la Parole de Dieu et ce décentrer de soi-même. A travers cette écoute, nous découvrons aussi que nous sommes créature, que nous avons à nous dépouiller de nous-même. Et c’est intéressant de voir le rôle des cinq sens en général et de l’ouïe en particulier. L’ouïe a cette faculté d’être le sens de l’apprentissage. Par conséquent, c’est elle qui nous permet d’être disciple : c’est parce que l’on entend qu’en entre en confiance avec le Seigneur. Et Saint Paul nous le dit :

« La Foi rentre par l’oreille. »

Être disciple de Jésus, on le voit dans la règle de Saint Benoît dès le début car elle commence par ces mots :

« Écoute mon fils les enseignements de ton Père… »

Écouter, c’est le premier des commandements, c’est ce qui nous fait devenir disciples, c’est ce qui nous fait accueillir la parole du Seigneur.

Il y a une surdité qui ne vient pas du handicap ou de la vieillesse, mais du péché : on n’écoute pas, on n’accueille pas, on n’obéit pas à la parole de Dieu. Vous le savez, « obéir » vient de « écouter », de « obaudire ». On voit donc bien que cette surdité qui vient du péché est ce non accueil de la Parole de Dieu.

On a un exemple de cette surdité dans le nouveau testament qui entraîne l’empêchement de la parole : le mutisme caractérise l’empêchement de la parole. Vous vous rappelez de Zacharie, le père de Jean-Baptiste, qui, tout comme la Vierge-Marie, a eu son annonciation. Mais, à l’annonce par l’ange de la venue de Jean-Baptiste, il a douté. Et par conséquent, il a été muet jusqu’au jour de la naissance de Jean-Baptiste où il a confirmé que le prénom de cet enfant nouveau-né était Jean.

Et je trouve intéressant le lien qu’il y entre l’ouïe et le fait de parler : c’est physiologique. Vous le savez, les personnes qui sont sourdes de naissance ont souvent du mal à parler : il leur faut un accompagnement particulier car naturellement, elles vont parler comme elles entendent. Il y a tout un travail à faire avec l’orthophonie.
Spirituellement, c’est encore plus vrai : je parle comme j’entends.

Et parfois, il y a un déficit de parole dans la transmission de la Foi. Nombre de jeunes que j’accompagne n’ont pas eu de parole pour dire pourquoi et comment ils croyaient. C’est une certaine forme de mutisme qui s’installe. Et c’est bien dommage que, dans les familles, il n’y ait pas cette parole qui soit transmise.

Nous avons commencé cette célébration avec le signe de Croix qui est l’invocation de la Trinité : savons-nous dire pourquoi nous croyons en la Trinité ?

De même, qu’est ce qui fait que je suis disciple de Jésus ? Il me semble que ce déficit de parole dans les familles est une source de non transmission de la Parole de Dieu, une source de déperdition de la Foi à travers les générations.

Il est vrai que cette parole du Seigneur est attendue. Jésus traverse le territoire de Tir et de Sidon, il est sur celui de la Décapole. Peut-être que cela n’évoque pas grand chose pour nous, mais c’est un territoire païen, et là, Il fait entendre un sourd et parler un muet, comme il ouvre les oreilles de celles et ceux qui sont autour de Lui, qui sont Ses interlocuteurs. Ce sont les païens qui n’ont pas écouté la Parole de Dieu, et qui découvrent une nouveauté à travers elle. Elle rend possible ce qui était impossible, et au fond c’est une espérance.

A travers ce miracle que Jésus a accompli en territoire païen, Il veut leur transmettre la Révélation. C’est déjà l’anticipation du Christianisme, qui ne sera pas simplement réservé aux Juifs mais qui sera distribué largement au monde entier.

Peut-être y a-t-il une autre manière de lire le fait que Jésus parle dans le territoire de la Décapole. Certes, c’est une région païenne, mais c’est aussi un lieu où plusieurs langues se rencontrent. Et cela nous invite à nous demander si écouter, ce n’est pas aussi accueillir la langue de l’autre, c’est à dire la vision du monde que l’autre a. Car une langue, c’est une vision du monde.

Et vous, chers jeunes qui êtes en discernement dans votre couple, n’est-ce pas le lieu où vous accueillez la vision du monde de celui ou celle avec qui vous cheminez. On le sait bien, même si vous vous mariez avec des personnes qui sont dans la même ville, dans la même rue, chaque famille est une vision du monde.

Ainsi, êtes-vous attentifs à ce décentrement qui est nécessaire dans la vie de couple, singulièrement au moment du discernement.

Chers jeunes, vous n’échapperez pas à un travail sur vous-même car écouter, c’est un travail. Ce n’est pas simplement un son qui frappe mon oreille. Écouter, c’est entrer dans une logique de don, opérer un décentrement de soi-même.

Au fond, écouter, c’est accueillir l’autre tel qu’il est, accueillir l’altérité, comme il y avait dans ce territoire de la Décapole nombre d’altérités, nombre de langues et de convictions religieuse.

Vous aussi, dans cette étape de discernement, vous serez à écouter, c’est à dire à accueillir cette vision du monde de l’autre. Et cela demande un travail sur soi.

Aucun d’entre nous n’échappe à ce travail sur soi-même pour accueillir l’autre tel qu’il est dans son altérité. Que l’autre soit autre que moi nous attire mais c’est complexe à la fois : il a peut-être une autre manière de s’organiser, une autre culture et d’autres convictions. Et l’on voit bien, dans le couple, il y a un enjeu à savoir dire à la fois « Je » et « nous », à dire sa propre identité et accueillir l’identité de l’autre car c’est à travers cette diversité que vous constituez votre couple.

Ainsi, il est intéressant de voir que, à travers ce miracle survenu à travers cette parole « Effata ! » « Ouvre-toi ! », le Seigneur demande à chacun d’entre-nous de nous ouvrir à celui qui n’est pas comme nous, d’accueillir une parole qui ne vient pas de nous. La Parole du Seigneur, puisque nous sommes dans une démarche de Foi, mais ça peut être, d’une façon plus large, la parole de celle ou de celui avec qui je suis en couple, en communauté ou au travail. Tout cela demande un accueil, une écoute et un travail sur soi-même, et c’est le fruit du Saint Esprit.

Sans doutes avez-vous remarqué qu’il y a un moment où, avant de prononcer « Effata ! », Jésus lève les yeux au ciel et soupire. Autrement dit, Il inspire et Il expire faisant ainsi appel à l’Esprit-Saint. Jésus répand Son souffle sur cet homme qui est empêché d’une parole parce qu’Il est empêché d’une écoute. Il répand sur lui le souffle de Son Esprit-Saint. Et c’est l’Esprit-Saint qui nous fait accueillir l’autre comme différent de nous.

C’est difficile, ce n’est pas spontané et on le sait très bien car on aimerait tellement que tout le monde pense comme nous, que l’on soit dans une même manière de s’organiser, dans un même rapport au temps. Ce n’est pourtant pas la réalité, et ce n’est pas ça aimer. Aimer, c’est accueillir l’autre comme différent.

Dans notre vie religieuse, nous avons aussi une expérience de cette altérité : nous ne nous sommes pas choisis comme religieux, nous nous sommes accueillis, nous avons obéi à l’autre qui porte aussi ce charisme des Serviteurs de Jésus et de Marie différemment de la manière dont je peux le porter. C’est ainsi que nous nous rappelons que chacun porte une part de la grâce et du charisme qui a été donnée à notre fondateur.

Il y a quelques semaines, nous avons enterré Père Hubert-Marie, et lui aussi portait un charisme particulier, une grâce particulière d’être disciple du Père Lamy, fondateur des Serviteurs de Jésus et de Marie.

Il est vrai que la vie religieuse est une pédagogie pour tous, et c’est pour cela qu’avec autorité, nous osons organiser des retraites pour couples même si ça n’a pas été notre choix de vie. Mais notre choix de communauté nous aide à vous aider car, dans la vie religieuse, nous avons comme un logiciel qui permet d’accueillir l’autre différent, avec des instances…
Tout cela demande beaucoup de travail, beaucoup de conversions intérieures, car il y a des choses que je n’aurais pas choisies, des frères que je n’aurais pas choisis, tout comme il y a des frères qui ne m’auraient pas choisi, et il se trouve que l’on chemine ensemble vers l’Éternité, vers une écoute glorieuse.

Je trouve cela beau de voir qu’à travers le miracle de« Effata ! », Jésus nous invite à nous décentrer de nous-même. Il nous invite à voir les choses d’un autre point de vue, à voir une manière différente d’appréhender événements et personnes. C’est ce que le Seigneur nous donne à vivre, et Il nous le dit à travers cet « Effata ! » et Il le prononce à chacun d’entre nous : « Ouvre-toi à une réalité et une manière de voir que tu n’as pas choisies, car il y a là quelque chose de la grâce de Dieu qui se donne. »

Puissions-nous en vivre si nous voulons répondre à l’appel d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 35,4-7a.
  • Psaume 146(145),6c.7-8.9a.9bc.10.
  • Lettre de saint Jacques 2,1-5.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 7,31-37 :

En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler et supplient Jésus de poser la main sur lui.
Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue.
Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »
Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement.

Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »